Le samedi 28 mai 2022, la 59e démonstration du All Japan Aikido est revenue au Nippon Budokan après une interruption de trois ans en raison des rénovations entreprises avant les Jeux olympiques de Tokyo en 2020, suivies des restrictions imposées au milieu de la pandémie de coronavirus. Pour rendre l'événement possible tout en garantissant une sécurité maximale, il s'est déroulé avec un public restreint.
Revenir au Budokan après trois ans a évidemment rendu cette édition assez particulière et tout au long de la journée, j'ai été submergé par les souvenirs de mes visites passées, aussitôt que je suis sorti de la gare de Kudanshita et ai marché le long de Yasukuni Dori sous un glorieux soleil printanier. Je suis certain que je n'étais pas le seul à ressentir cela, et en fait, lorsque j'ai ouvert le livret de l'événement, j'ai remarqué que Doshu lui-même a exprimé un tel sentiment dans son message de bienvenue lorsqu'il a écrit :
Organiser l'événement au Nippon Budokan, c'est comme rentrer à la maison, et je suis rempli de soulagement et de joie.
Ueshiba Moriteru Doshu - 59e livret de démonstration d'aïkido au Japon
Le fait que ce soit la première fois que j'assistais à un événement majeur depuis le début de la pandémie en février 2020 a probablement renforcé ces sentiments. La première personne que j'ai pu saluer a été Ozaki Sho Shihan, le président de la Fédération japonaise d'aïkido, alors que nous passions tous deux la porte Tayasumon. Au fil des années, sa présence, et peut-être plus important encore sa voix (il fait la plupart des annonces de la journée), sont devenues indissociables de l'événement.
Ozaki Sho Shihan effectueant les annonces.
Alors que je passais devant l'entrée et que je passais le contrôle de température, j'ai été accueilli par certains membres du personnel et des enseignants du Hombu Dojo, dont Satodate Jun Shidoin. J'ai eu la chance de le voir entrer au Hombu Dojo en tant qu'uchi deshi et nous nous sommes entraînés de nombreuses fois ensemble. Aujourd'hui, il est un instructeur de Hombu Dojo 5e dan très respecté et il a su conserver toutes ses merveilleuses qualités humaines.
Porte Tayasumon
Ayant déménagé à Yokohama, j'ai été touché par les restrictions successives de l'état d'urgence concernant les trajets et, par conséquent, je n'avais pas vu beaucoup de mes amis du Hombu Dojo depuis plus de deux ans. C'était merveilleux de renouer avec ces personnes qui, pendant de nombreuses années, ont été ce que j'avais de plus proche d'une famille ici au Japon. Au fur et à mesure, de plus en plus de souvenirs me sont venus, accompagnés d'un fort sentiment de nostalgie.
Suzuki Toshio Shihan
Puis la première annonce a été faite et nous nous sommes tous levés pour l'hymne national du Japon. Entendre tout le Budokan résonner au son de milliers de voix me donne toujours la chair de poule mais cette fois était étrange, jusqu'à ce que je réalise que bien sûr, tout ce que j'entendais était la piste enregistrée puisque les gens s'abstenaient de chanter à cause du virus. En m'asseyant, j'ai commencé à réfléchir sur la signification de ce genre d'événements importants.
Réflexion sur le sens des démonstrations
En 2011, dans le cadre de l'équipe de bénévoles du Hombu Dojo.Pour de nombreux pratiquants en dehors du Japon, les opportunités de se former avec un professeur de japonais peuvent être rares. Quand j'étais enfant, je n'avais jamais rencontré de professeur de japonais, alors je regardais inlassablement les cassettes VHS et les DVD de la démonstration du All Japan, émerveillé par les performances exceptionnelles qu'ils contenaient. Pour moi et de nombreuses personnes à travers le monde, c'étaient les premières et parfois les seules fenêtres sur ce que beaucoup appellent à l'étranger « l'aïkido japonais ». De nos jours, grâce à Internet, de nombreuses personnes prennent des vidéos et les mettent en ligne afin que toujours plus de personnes puissent en profiter gratuitement, presque en temps réel. Je pense que c'est une merveilleuse opportunité pour que le message de l'Aïkido soit vu dans le monde entier.
J'ai assisté à la démonstration All Japan pour la première fois en 2009. C'était une expérience merveilleuse mais c'était aussi une journée beaucoup plus longue que ce à quoi je m'attendais ! En effet, j'ai réalisé qu'il y avait beaucoup plus de démonstrations que seulement celles des shihan de haut rang qui sont généralement présentées sur des cassettes et des DVD.
En tant que directeur de l'information de la Fédération internationale d'aïkido en 2017Au fil des années, j'ai eu la chance de participer à cet événement sous plusieurs rôles différents. J'y ai participé en tant que membre du public, en tant que membre du Hombu Dojo pour la démonstration générale, en tant que membre de l'équipe organisatrice des bénévoles du Hombu, puis en tant que directeur de l'information pour la Fédération internationale d'Aïkido. Ces expériences m'ont permis de mieux comprendre cet événement majeur et les différents éléments qui entrent dans sa mise en place.
En Occident, les gens pensent souvent que les démonstrations sont destinées à afficher l'excellence. Cependant, j'ai réalisé que pour participer à une démonstration au Japon, il n'est pas nécessaire d'avoir un haut niveau de compétence technique, mais au contraire, il suffit d'être un membre enthousiaste d'un dojo, peu importe la durée. M. Suematsu Shinsuke, le ministre de l'éducation, de la culture, des sports, de la science et de la technologie a exprimé un aspect très important des manifestations au Japon dans ses propres félicitations :
Nous espérons que tous les participants démontreront pleinement les résultats de leur entraînement quotidien et montreront leurs merveilleuses techniques d'aïkido et leur esprit.
Suematsu Shinsuke – 59e livret de démonstration d'aïkido au Japon
En tant que pratiquants, nous pouvons parfois nous dire que nous ne sommes pas assez bons pour faire une démonstration, mais comme le suggère M. Suematsu, la démonstration est justement censée donner un aperçu de la pratique véridique du dojo à tous les niveaux. C'est le plaisir de pratiquer qui compte plus que la maîtrise technique. Cela apporte aux démonstrations japonaises un sens de célébration et d'unité, où les pratiquants de tous âges, sexes et niveaux, présentent en toute honnêteté leur propre vision de la pratique de l'Aïkido. J'aimerais que cet esprit soit mieux compris en Occident.
Embu de la Fédération d'aïkido d'Ibaraki
Une réflexion mise en pratique
Démonstration avec Mihaly Dobroka dans le cadre de la Fédération d'Aïkido de KanagawaJ'ai eu l'occasion de mettre cette réflexion en application très peu de temps après. Mon dojo, Yokohama AikiDojo, a eu l'honneur d'être sélectionné avec trois autres dojos pour représenter la Fédération d'aïkido de la préfecture de Kanagawa.
En raison du calendrier très chargé de fin d'année, mon assistant Mihaly Dobroka et moi n'avons pas eu le temps de préparer notre démonstration. Alors que nous nous retrouvions en bas quelques minutes avant notre passage, nous avons réalisé que nous n'avions même pas parlé de ce qu'on allait faire ! Alors que nous entrions dans l'arène, je me suis souvenu d'un article écrit par Ueshiba Kisshomaru Nidai Doshu il y a de nombreuses années intitulé « La rigueur des démonstrations », où il écrivait :
Il ne doit y avoir ni tentative d'impressionner le public, ni démonstration délibérée d'autoglorification. La démonstration est donc une forme véritablement rigoureuse d'expression de soi.
Ueshiba Kisshomaru ‐ La rigueur des démonstrations ー Aikido Newspaper, 10 novembre 1974
J'ai donc dit à Mihaly de penser à cette démonstration comme si nous étions dans notre cours habituel, rien de plus, mais rien de moins. Alors que nous nous sommes approchés du tapis, les choses sont devenues immédiatement claires, nous n'étions plus nerveux du fait que Doshu et les Shihan de l'Aikikai nous regardaient, ni de la présence des caméras ou du public, et nous avons juste profité ces 1 minutes 30 secondes d'Aïkido, comme si nous étions de retour dans notre propre dojo, devant nos propres élèves.
En tant que dojo, c'était merveilleux pour nous de pouvoir partager le tatami rouge avec d'autres membres de la Fédération d'aïkido de Kanagawa. C'était particulièrement important pour nous car ayant ouvert notre dojo au plus fort de la pandémie de coronavirus, nous avons dû travailler très dur afin de maintenir le dojo en vie, tout en restant dans un isolement relatif. Aujourd'hui, tous ensemble, nous avions l'impression de faire partie de quelque chose de plus grand, presque comme des membres d'une famille qui se retrouvent lors d'un grand événement familial. C'était une sensation merveilleuse. Je voudrais profiter de l'occasion pour remercier sincèrement Takeda Yoshinobu Shihan, Takeda Daiyu Sensei, Yamamoto Hiroshi Sensei et la Fédération d'aïkido de Kanagawa pour leur soutien et leurs conseils constants en ces temps difficiles de la pandémie de coronavirus.
Une journée de diversité des approches de l'Aïkido
Le reste de la journée, j'ai pu observer la grande diversité des diverses interprétations de l'aïkido. On peut souvent avoir une vision assez réduite dans notre propre approche de la pratique et il est toujours utile de prendre le temps de voir comment d'autres enseignants et écoles exécutent les techniques qui forment la base du programme d'Aikido.
Ayant pratiqué au Hombu Dojo pendant plus de dix ans, j'attends toujours avec impatience les démonstrations des professeurs de Hombu Dojo. Je suis toujours ravi de voir l'évolution de leurs approches respectives de la pratique. Au fil de la journée, vint le moment des démonstrations d'instructeurs seniors qui étaient des étudiants d'O Sensei, tels que Endo Seishiro Shihan, Suganuma Morito Shihan, Kobayashi Yasuo Shihan et Tada Hiroshi Shihan.
En plus d'être des expressions diverses des plus hauts niveaux d'Aïkido, leurs démonstrations montrent à quel point l'Aïkido est le fruit des efforts d'une vie. Ces maîtres montrent non seulement que l'on peut continuer à pratiquer l'Aïkido à un âge avancé, mais aussi que l'on peut garder son corps et son esprit en pleine forme malgré des décennies d'entraînement intensif. Le plus notable est bien sûr l'incroyable dynamisme de Tada Sensei, qui fêtera ses 93 ans cette année.
Enfin, est venu le moment du discours et de la démonstration de Doshu, qui représente justement pour moi l'incarnation de l'engagement de toute une vie au service de l'Aïkido. Au milieu de toutes les interprétations diverses de l'Aikido au fil de la journée, le Doshu agit comme une référence, une ancre par rapport à laquelle chacun est libre d'explorer son propre Aikido.
Une fenêtre élargie sur le monde
Je l'ai mentionné avant, le All Japan Aikido était un moyen pour les pratiquants hors du Japon de découvrir l'Aikido japonais. L'inverse est également vrai puisqu'il y a généralement des démonstrations mettant en vedette plusieurs groupes d'Aikikai étrangers représentatifs. Malheureusement, les restrictions de voyage ont rendu cela impossible cette année.
Dîner à Yotsuya avec Wilko Vriesman et Kei Izawa.
Pour la première fois, une équipe représentative de la Fédération Internationale d'Aïkido (IAF) devait démontrer lors de l'événement, mais malheureusement, cela n'a pas pu se produire non plus. Cependant, M. Wilko Vriesman et M. Kei Izawa, respectivement Président et Vice-Président de l'IAF ont pu y assister en tant qu'invités spéciaux et je suis très heureux de voir l'Aïkido international être ainsi invité et reconnu dans sa patrie d'origine.
Je collabore avec Izawa Sensei et Vriesman Sensei depuis de nombreuses années. Désireux de nous retrouver, nous sommes tous les trois allés dîner dans mon restaurant yakiniku préféré à Yotsuya après l'événement, où nous avons discuté des projets à venir pour l'aïkido au Japon et à l'étrange.
Retour à la pratique quotidienne
En retournant à Yokohama, j'ai réfléchi davantage sur le All Japan et j'ai réalisé à quel point c'était important, non seulement pour l'Aikido en tant que discipline et en tant que communauté, mais aussi pour moi, personnellement, en tant que pratiquant d'Aikido au Japon.
Il faut se rappeler que montrer l'Aïkido si ouvertement au monde a été un changement majeur par rapport aux arts martiaux traditionnels. Kisshomaru Nidai Doshu a été celui qui a compri ce besoin et il a du beaucoup insister pourconvaincre son père de présenter l'Aïkido lors de démonstrations publiques pour la première fois. Ueshiba Morihei a déclaré ce qui suit vers 1956, avant la première démonstration publique au grand magasin Takashimaya :
Si cela aide à nous dégager des eaux boueuses, alors moi aussi, je démontrerai l'essence de l'aiki. Je t'ai déjà confié les affaires de cette Voie. Je n'ai aucune objection à ce que tu fassess tant que tu ne t'écartes pas du grand chemin de la vérité et de la mission pour le bien du monde et des autres.
Ueshiba Morihei cité par K. Ueshiba, 植芝盛平伝, pp. 286-287.
Hombu Dojo-cho Ueshiba MitsuteruPrès de 70 ans plus tard, il est merveilleux de voir que Nidai Doshu, l'actuel Doshu Ueshiba Moriteru, et le Hombu Dojo-cho Ueshiba Mitsuteru sont restés fidèles aux idéaux d'O Sensei. Je crois que la nature non compétitive de l'Aikido aide vraiment à maintenir cette harmonie puisqu'en fin de compte, il n'y a ni gagnants ni perdants, seulement des personnes qui se sont jointes et ont aidé à peindre ensemble une image riche et diversifiée de l'Aikido. Cela apporte une dimension supplémentaire au fait l'Aikidoka a la chance de pouvoir réunir sous un même toit autour de la famille Ueshiba.
Alors que chacun se dirigeait vers ses préfectures et son dojo respectifs, je suis sûr qu'ils se sont tous sentis revigorés par le sentiment d'unité que nous avons ressenti aujourd'hui. L'année prochaine, j'espère que l'événement sera complètement ouvert au public et que je pourrai amener mes propres élèves afin qu'ils puissent vivre cette journée spéciale.
