Kimura Jiro Shihan est un professeur d'Aïkido japonais, successeur de Kobayashi Hirokazu Shihan au Japon et directeur de Buikukai, l'une des plus grandes organisations affiliées à la Fondation Aikikai. Kimura Shihan est l'une des principales figures de l'Aikido de la région du Kansai. Il a reçu son 8e dan lors de la cérémonie du Kagamibiraki 2016, en même temps que Christian Tissier et Miyamoto Tsuruzo Shihan. Pour couvrir les nombreux aspects de la pratique de Kimura Sensei, je me suis associé à Jordy Delage - qui a commencé l'Aikido dans un groupe affilié à Kobayashi Hirokazu - pour une interview conjointe tenue au dojo du maître à Osaka. Nous vous invitons à découvrir une partie peu connue de la pratique et de l'histoire de l'Aikido avec l'un des plus gentils messieurs que nous ayons eu l'occasion de rencontrer.
Jordy Delage : Sensei, pouvez-vous vous présenter ?
Kimura Jiro : Je m'appelle Kimura Jiro. Je suis actuellement président de l'association Osaka Buikukai, et à un niveau plus officiel, je suis le président de la Fédération d'Aikido de la préfecture d'Osaka.
Jordy Delage : Quand avez-vous débuté l'Aikido et qui était votre sensei ?
Kimura Jiro : J'ai commencé en 1963 auprès de Kobayashi Hirokazu Sensei et pratique l'Aïkido depuis lors.
Jordy Delage : C'était donc avant le décès d'O Sensei. L'avez-vous rencontré ? Comment était-il ?
Kimura Jiro : J'ai ne l'ai rencontré que deux ou trois fois. A l'époque je n'étais qu'une ceinture blanche, je venais juste de débuter. Pour vous dire la vérité, je ne l'ai donc vu que de loin. C'était quelqu'un de merveilleux. Il était très digne. J'en ai gardé une forte impression.
Guillaume Erard : Quelles relations aviez-vous avec Kisshomaru Doshu ?
Kimura Jiro : Kisshomaru Sensei se trouvait bien sûr au Hombu à Tokyo. Nous, nous étions à Osaka, et donc on ne le voyait pas souvent. J'ai quand même pu à quelques occasions recevoir son enseignement. Ce dont je me rappelle le plus de lui, c'est que lors du décès de Kobayashi Sensei, il m'a fallu renouveler l'enregistrement du Buikukai auprès du Hombu à Tokyo. Je devais me rendre sur place avec les documents nécessaires. Mais à cette époque, Kobayashi Sensei et Kisshomaru Sensei étaient un peu en froid et cela posait donc un problème. Au moment d'écrire la lettre nous étions plutôt mal à l'aise. J'ai donc décidé d'aller voir en personne Kisshomaru Sensei ansi que l'actuel Doshu. Alors il a hoché la tête.
Kisshomaru Sensei était un calligraphe passionné, et nous avons donc demandé à un maître renommé qui était également membre du Buikukai de brosser notre lettre. Je l'ai emportée avec moi à Tokyo mais malheureusement, un typhon est passé sur le Japon le même jour et je suis arrivé très en retard pour mon rendez-vous au Hombu, peut-être plus d'une heure… Pourtant, Kisshomaru Sensei et l'actuel Doshu m'ont attendu. Je me suis précipité au dojo et j'ai remis les documents à Kisshomaru Sensei. Il a lu notre lettre d'accompagnement. Au début, il a surtout évalué la qualité de la calligraphie… Mais il a finalement hoché la tête et a gentiment dit : « Il s'est passé beaucoup de choses entre Kobayashi Sensei et moi… Je repense à ces jours avec nostalgie cependant. Vous n'avez à vous soucier de rien. Veuillez vous référer à partir de maintenant à l'instructeur en chef de ce dojo.Kisshomaru fait référence au Dojo-cho d'alors, son fils Moriteru, qui est l'actuel Doshu. » À ce jour, je me souviens encore de l'expression sur son visage. Il a ensuite pris congé... Il est mort quelques mois après. Je ne peux oublier son visage bienveillant...
Comme Kisshomaru Sensei me l'avait annoncé, l'actuel Doshu nous a alors beaucoup aidé. D'abord, il a conféré à notre instructeur, Hibuse Masafumi, le grade de 8e dan. L'année suivante il l'a recommandé pour recevoir le plus prestigieux prix des arts martiaux, le "Budo Korosho"Le prix du mérite des arts martiaux (武道功労者表彰, Budo Korosha Hosho) décerné par le Conseil des arts martiaux japonais (日本武道協議会, Nippon Budo Kyokai).. Il est rare que Doshu vienne enseigner au même endroit plusieurs années de suite, mais il est venu cinq années de suite pour enseigner à Osaka, et c'est grâce à cela que le Buikukai a pu se développer puis perdurer. C'est pourquoi, en retour, je demande à mes successeurs de contribuer le plus possible au développement de l’Aikikai à Osaka et dans la région du Kansai.
Certificat de reconnaissance de l'Aikido Osaka Buikukai Yao Dojo par la Fondation Aikikai. Signé en 2017 par Ueshiba Moriteru Doshu.
Jordy Delage : Pourquoi avez-vous décidé de consacrer votre vie à l'Aikido ?
Kimura Jiro : En vérité, j'ai voulu apprendre l'Aikido car j'étais d'une carrure plutôt faible étant enfant. A mon entrée au collège, je n'étais pas très grand et je me suis dit qu'il fallait que je fasse quelque chose. A cette époque j'ai découvert l'Aikido par hasard ; je crois que c'était dans un magazine. Ça m'a plu. Une personne peu robuste comme moi pouvait, avec de l'entraînement, devenir plus forte. C'est à ce moment là que j'ai commencé avec Kobayashi Sensei.
Jordy Delage : Étiez-vous professionnel ou aviez-vous un autre métier ?
Kimura Jiro : J'aidais mon père à son travail, mais je savais que je consacrerais ma vie à l'Aikido. Pour cela il faut bien sûr s'entraîner beaucoup et je passais donc la plupart de mon temps à faire de l'Aikido. C'était de toute façon à une époque où il était très difficile d'en vivre. Cela ne pouvait suffire et je continuais donc à aider mon père à son travail. Je m’entraînais quand même quasiment tous les jours.
Jordy Delage : Aviez-vous des compétences dans d'autres budo ?
Kimura Jiro : La première fois que j'ai enseigné, c'était en tant que responsable de la section Aikido au Centre des Arts Martiaux d'Osaka. On y côtoyait de nombreux experts dans différentes disciplines. J'en ai profité pour étudier leurs techniques mais je n'ai jamais reçu directement leur enseignement.
Jordy Delage : Que vous a apporté l'Aikido ? Comment vous a-t'il transformé ?
Kimura Jiro : Quand on parle d'Aikido, on pense à quelque chose de continuel, une voie... Pour avancer sur un chemin il faut continuellement marcher. Pourtant, marcher seulement n'est pas forcément synonyme de progrès. L'Aikido selon moi c'est une répétition au quotidien, mais dans laquelle il faut tous les jours trouver quelque chose de nouveau. Bien sûr, le mot keiko veut dire : retour à la source, sans jamais s'arrêter, transmettre la connaissance des anciens. Vous n'arriverez à rien si vous survolez les choses par vous-même. Pour avancer, il faut donc répéter inlassablement ce qu'on nous a enseigné. C'est ça selon moi une vie passée à étudier l'Aikido. Répéter continuellement la même chose n'est pas aisé, mais c'est comme cela que l'on gagne en ténacité.
Jordy Delage : Pour vous, que signifie « Aikido » ?
Kimura Jiro : Si l'on parle d'une « voie », alors il faut l'arpenter jusqu'à sa mort. Ce qu'il y a d'important dans une voie et dans le fait d'avancer... Comment dire... Jusqu'où souhaitez-vous aller ? Jusqu'à ce que votre corps ne puisse plus bouger ? Serez-vous alors toujours animé de la même passion ? Il faut de toute façon avancer... C'est-à-dire, il faut continuer.
Kobayashi Hirokazu avec ses élèves. Kimura Jiro est assis à sa gauche.
Dans mon cas, et en tant que représentant de Buikukai, je me dois de guider les jeunes. Je souhaite donc devenir leur modèle. Dans ce but, je dois continuer à étudier les enseignements de la « voie » qui nous ont été transmis depuis les temps anciens. C'est un chemin sans fin. Comment l'arpenter ? C'est le problème que je dois résoudre. Ensuite, je ne sais pas encore combien d'années mon corps sera en mesure de bouger. Je dois transmettre ce que j'ai appris. En reconnaissance de ce que Ueshiba Sensei a fait pour moi. C'est donc mon rôle de diffuser autant que possible l'Aikido. C'est la raison pour laquelle je continue à pratiquer.
Jordy Delage : Qu'est-ce que le Buikukai ? Il s'agit de l'une des plus grosses organisations affiliées à l'Aikikai, n'est-ce pas ?
Kimura Jiro : C'est ce qu'on dit. Toutefois, le Buikukai n'est pas une pyramide dans le sens où il y aurait un sommet et une base. C'est en quelque sorte une fédération dans laquelle il y a de nombreux enseignants. Mon rôle est surtout de l'administrer. Je ne suis donc pas au sommet d'une pyramide comme l'était à l'époque Kobayashi Sensei. J'organise une structure qui reste horizontale. Le Buikukai est une très grande organisation mais elle n'est pas dirigée par une unique personne chargée d'enseigner et de diffuser ses principes. Cela ne fonctionne pas comme ça. Ceux qui ont appris avec Kobayashi Sensei ou ceux qui sont venus par la suite ont collaboré à mettre en place une très large structure qui est devenue ce que l'on nomme Buikukai. Je ne suis donc pas le « maître » au sommet d'une pyramide.
Jordy Delage : Le but du Buikukai est-il de transmettre le style d'Aikido de Kobayashi Sensei ?
Kimura Jiro : L'un des buts est effectivement de diffuser l'Aikido de Kobayashi Sensei. Nous sommes bien sûr redevables à Ueshiba Sensei. Tout d'abord, l'objectif est de faire comprendre l'Aikido de l'Aikikai et d'élargir sa base. Pour cela, nous utilisons les techniques développées par Kobayashi Sensei. Nous voulons continuer à transmettre aux générations futures les techniques très précises qu'il nous a léguées. Il ne s'agit pas par contre de transmettre un « style Kobayashi » séparé de l'Aikikai, mais plutôt d'enseigner sa « pédagogie » de l'Aikido et d'offrir à ceux qui l'ont apprise un espace d'échanges. J'espère ainsi que notre groupe contribue du mieux possible au développement de l'Aikido.
Jordy Delage : Que voulez-vous transmettre à la prochaine génération ?
Kimura Jiro : Je pense qu'aujourd'hui, tous les enseignants sont confrontés au même problème : le désintéressement des jeunes pour les budo et le sport en général. Il reste bien sûr les clubs universitaires mais les événements sportifs ainsi que les pratiquants sont de moins en moins nombreux. L'Aikido essaie de mettre l'accent sur l'aspect self-defense de la discipline. Pourtant, son étude requiert de nombreuses années et de nos jours les gens veulent des résultats rapidement. Il semble alors difficile d'expliquer les bienfaits d'une discipline qui s'étudie le temps d'une vie. Les jeunes ne s'intéressent plus qu'aux résultats. Comment leur transmettre le profond attrait que peut exercer l'Aikido ? C'est, je pense, la tâche qui nous incombe, à moi et à ceux qui sont au sommet de la discipline.
Kimura Jiro en cours au dojo de Yao d'Osaka (uke : Guillaume Erard)
Jordy Delage : Kobayashi Sensei était beaucoup présent en Europe. Qu'en est-il du Buikukai de nos jours ?
Kimura Jiro : On me pose souvent cette question... Kobayashi Sensei passait environ six mois par an en Europe. En d'autre termes, il avait autant de disciples en Europe qu'au Japon. Il y a donc beaucoup de gens qui ont reçu son enseignement sur le continent, pas seulement dans un seul pays, mais dans toute l'Europe. Chacune de ces personnes pratique désormais avec ses propres principes. Je ne me considère pas comme l'héritier au Japon des techniques de Kobayashi Sensei, mais plutôt comme le successeur et régisseur de son organisation. Depuis que Kobayashi Sensei est décédé, je suis allé à de nombreuses reprises en Europe. Là-bas, beaucoup de dojo sont affiliés au Buikukai. Les anciens disciples européens de Kobayashi Sensei sont désormais indépendants. Ils ont suivi des chemins parfois différents et il n'est pas toujours facile d'établir entre eux des relations. J'aimerais pouvoir collaborer plus avec eux, que je considère comme « frères de pratique ». Seulement, j'ai conscience que nous avons pris des trajectoires différentes...
Jordy Delage : Vous êtes venu rendre visite au Stage International de Kyoto en juin dernier. Quelles sont vos relations avec Christian Tissier et Miyamoto Tsuruzo Shihan ?
Kimura Jiro : Selon le vœu du Doshu, Tissier Sensei, Miyamoto Sensei et moi-même avons reçu ensemble notre 8e dan. Miyamoto Sensei est un enseignant de premier plan au Japon. Tissier Sensei est très actif non seulement en France mais aussi dans toute l'Europe. Ils sont tous les deux des « phares » pour l'Aikido et leur cheminement est un parfait exemple de la voie à suivre. Ma position est cependant différente. Si l'Aikido est une pyramide, alors je prépare sa base en quelque sorte. Je pense que mon rôle est de poser l'asphalte pour faciliter le chemin. J'essaie de transmettre l'Aikido aux enfants, aux femmes et aux personnes âgées, d'élargir la base...
Miyamoto Tsuruzo au stage international de Kyoto (uke : Guillaume Erard)
Tissier Sensei et Miyamoto Sensei possèdent une technique extraordinaire et sont donc en mesure de diffuser l'essence de la discipline plus avant. Quant à moi, je souhaite avant tout consolider et élargir la base, si je puis dire... C'est mon vœux le plus cher. Je les côtoie régulièrement ; il sont vraiment extraordinaires, et ils continuent de m'inspirer même sur le plan technique.
Christian Tissier, Miyamoto Tsuruzo & Kimura Jiro - Promotion 8e dan au Kagamibiraki 2016
Jordy Delage : Quel genre de personne était Kobayashi Hirokazu Shihan ?
Kimura Jiro : Humainement parlant, il était vraiment très intimidant. A la manière de ces grands budoka d’antan. C'était un homme très strict. Mon sentiment était, comment dire... Il suffisait qu'il entre dans une pièce pour que l'ambiance change complètement. C'est un charisme que je ne n'ai pas. C'est un charisme que nombre d'enseignants de cette époque possédaient. Ce sentiment de ressentir une certaine énergie émaner de leurs corps... une certaine forme de dignité. Pour moi, c'est cela qui caractérise un véritable budoka... Lorsque le corps dégage une impression de force et de puissance... Techniquement, ce n'était pas non plus aussi démonstratif que dans les films Hongkongais, mais il pouvait tout a fait projeter sur deux mètres. Les techniques de Kobayashi Sensei étaient puissantes et caractérisées par d'importantes absorptions suivies de projections. Comme une vague puissante qui s'écrase sur le port. C'est comme cela que l'on qualifiait sa technique. Cela pour dire qu'il développait le maximum de puissance dans la phase « absorption » de la technique. Et... BAM !, on se faisait projeter à deux metres en arrière.
Kobayashi Hirokazu projetant Kimura Jiro
Un jour, Yabuuchi Sensei m'a dit : « Sa technique doit être outrageusement efficace »Yabuuchi Hirotoshi, président du Yamato Buikukai, 7ème Dan. Il faisait du karate, alors il s'est dirigé vers Kobayashi Sensei et lui a lancé un tsuki. On n'a pas vraiment compris ce qu'il s'est passé. Il a été projeté en l'air à la verticale et il est retombé sur place. Après cela, on s'est dit : « Il est vraiment fort ». C'était un homme de grand savoir avec beaucoup d'expérience.
Jordy Delage : On dit que Kobayashi Sensei fut enrôlé dans l’armée à l’âge de 15 ans durant la Seconde Guerre Mondiale et y a vécu des choses difficiles. Comment pensez-vous que cette expérience militaire a influencé son interprétation de l’Aikido d’O Sensei ?
Kimura Jiro : Kobayashi Sensei semblait peu enclin à parler des années de guerre, et je ne sais donc pas grand chose sur le sujet. Je sais juste qu'une personne lui présenta Ueshiba Morihei Sensei, à l'Aikikai, peu de temps après la guerre. En ce qui concerne la période de guerre, je n'ai jamais voulu l'importuner avec ça et il m'est donc impossible de dire si ce que les gens racontent est authentique ou non. La plupart des gens à l'époque, et ce contrairement à nous, ne s'inquiétait que de survivre à ces temps difficiles. Je pense toutefois que Kobayashi Sensei était heureux : il rencontra alors un modèle, quelqu'un qu'il suivit toute sa vie, et il parvint à faire de l'Aikido son métier pendant de nombreuses années. Il fit la rencontre d'un homme incroyable qui lui permit de trouver sa voie... Oui, je pense qu'il trouva du bonheur dans tout cela. La guerre fut une période chaotique. Mes parents m'ont souvent dit comme ils avaient souffert. Ils n'avaient quasiment rien pour se nourrir... Kobayashi Sensei vécut durant ces heures sombres, mais il rencontra O Sensei qui lui montra une voie à suivre... Oui, je suis sûr qu'il était heureux.
Guillaume Erard : Il a passé environ neuf ans à Tokyo. Fut-il un uchi deshi à un moment donné ?
Kimura Jiro : Je ne sais pas s'il était un uchi deshi ou non. Kobayashi Sensei était un artisan laquier. Ceci est une parenthèse mais, une fois, en privé, j'ai parlé à Tada Sensei au Nippon Budokan pendant environ 20 minutes. Il m'a dit : « Kobayashi-kun utilisait de l'urushi, n'est-ce pas ? Quand nous nous entraînions ensemble, il devait avoir des éruptions cutanées ! » Sensei allait bien alors il dit : « Ca va ! » Il pratiquait à Tokyo tout en travaillant en même temps. Il semble qu'il a souvent accompagné le fondateur, presque tous les jours, mais je ne sais pas quel statut il avait en tant qu'éleve.
Guillaume Erard : Je crois que Kobayashi Sensei a rencontré André Nocquet alors qu'il était uchi deshi au Hombu. Étaient-ils des amis proches ?
Kimura Jiro : Oui, je suppose qu'ils étaient proches au Hombu. Je pense qu'ils se sont un peu séparés quand il est rentré en France. Au début, je pense qu'ils se sont beaucoup entraînés ensemble. J'ai visité plusieurs fois le groupe de Nocquet Sensei en Europe après le décès de Kobayashi, mais j'ai entendu dire qu'il y a plusieurs organisations en France. Par conséquent, Yokota Sensei du Hombu de Tokyo va maintenant au groupe Nocquet au Royaume-Uni.
Kobayashi Hirokazu remettant le 7e dan de sa propre organisation, le Osaka Hombu Aikido à André Nocquet le 6 juillet 1973.
Guillaume Erard : Le groupe de John Emmerson ?
Kimura Jiro : Oui
Guillaume Erard : Je suivais ses stages lorsque j'étais enfant !
Kimura Jiro : Vraiment ? Parce que le groupe Nocquet est une organisation assez large. C'est pourquoi je pensais que Kobayashi s'entendait bien avec Nocquet au début, mais je ne connais pas les détails.
Kimura Jiro avec ses élèves et John Emmerson, Claude Cébille, Jacques Mosbeux et Michel Desroches.[
Jordy Delage : Kobayashi Sensei expliquait-il comment il percevait O Sensei ?
Kimura Jiro : O Sensei semble avoir eu quelque chose qui a beaucoup attiré les gens. Il semble qu'il était le genre de personnes que vous pouviez suivre toute votre vie. De nombreuses personnes ont consacré leur vie à le suivre et à l'appeler « Grand Maitre ». Je pense que Kobayashi était l'un de ceux-là. Il semble que quelque chose ait fortement attiré les gens. Et à son tour, Kobayashi était vraiment attiré par le fondateur, du fond du cœur.
Kobayashi Hirokazu avec O Sensei et sa femme.
Guillaume Erard : Kobayashi Sensei a-t-il pratiqué à Iwama ?
Kimura Jiro : C'est ce qu'on entend souvent, mais je ne pense pas qu'il y ait eu d'échange du tout. Chaque année, Kobayashi se rendait à Iwama pour l'Aiki Taisai et même après son décès, nous avons continué à assister à l'événement. Cependant, je ne sais pas s'il y a eu une coopération. Saito Sensei avait sa propre forme d'armes et la forme des armes de Kobayashi était un peu différente. Je ne sais pas trop de quelle forme il s'agissait, mais c'était un peu différent. Kobayashi était certainement aussi haut gradé en kendo, donc ses mouvements d'épée étaient extrêmement vifs et rapides. Une fois, quand j'ai pratiqué avec Saito Sensei, j'ai été vraiment surpris par la pression qu'il exerçait. J'étais maîtrisé, mais sans aucun heurt des armes. Il y avait une pression vraiment incroyable, mais c'était différent de ce que j'ai ressenti avec Kobayashi. Je ne le comprends pas très bien moi-même.
Jordy Delage : Le ken était-il très important pour Kobayashi Sensei ?
Kimura Jiro : En Europe, il faisait beaucoup pratiquer le ken et le jo à ses élèves, donc je pense que comparé à ses disciples japonais, ils l'ont pratiqué davantage. Son kiri kaeshi avait une vitesse incroyable. Il s'est beaucoup entraîné à gauche et à droite devant le miroir. Il est devenu très rapide. Je soupçonne qu'il essayait de prendre la ligne centrale avec son épée mais j'étais trop jeune pour le comprendre à ce moment-là, car il était beaucoup plus avancé que moi. Je ne sais pas où il portait son attention sur le centre quand il faisait ça, mais il est certain qu'il le faisait. Il soulignait cela.
Kobayashi Hirokazu
Guillaume Erard : On sait que Kobayashi Sensei connaissait Hisa Takuma. Comment se sont-ils rencontrés ?
Kimura Jiro : Il n'en parlait pas souvent. L'histoire raconte que Hisa Sensei était assez âgé et que Kobayashi était encore jeune. Hisa l'aimait bien. Il y avait une grande université à Osaka appelée Momoyama Gakuin Daigaku. Hisa Sensei y avait créé un club d’Aïkido. Le premier capitaine était Kobayashi Kiyohiro Sensei. C'était le Kobayashi Sensei qui est maintenant le secrétaire général du Daito-Ryu Takumakai. À ce moment-là, Hisa Sensei a déclaré : « Kobayashi Hirokazu-kun, vu que je suis vieux, s'il te plaît, occupe-toi de Momoyama. » C'est pourquoi Kobayashi Kiyohiro Sensei et Kawabe Sensei, du Takumakai ont également appris l'aïkido à l'université Momoyama auprès de Kobayashi Hirokazu, en plus d'apprendre le Daito-ryu [avec Hisa].
Kobayashi Kiyohiro (à gauche) et Kobayashi Hirokazu (à droite) devant le panneau du club d'Aikido de l'Université Momoyama Gakuin
Guillaume Erard : Kobayashi Sensei a-t-il appris le Daito-ryu de Hisa Sensei ?
Kimura Jiro : Plutôt que d'apprendre de lui, il doit avoir vu certaines techniques et les a utilisées comme référence. Par exemple, sur nikyo, il prenait comme ça, pas comme ça. Je pense que ce sont des preuves du fait qu’il a obtenu des choses de lui, comme comment connecter votre adversaire. J'ai moi-même beaucoup partagé avec Kawabe Sensei du Daito-ryu lorsque nous avons fait des démonstrations ensemble. Leurs merveilleux mouvements des mains sont une grande inspiration. C'est pourquoi, même si je ne connais pas de lien formel, il existe des indices à ce sujet.
Kimura Jiro (deuxième à gauche) et Kawabe Takeshi (troisième à gauche)
Guillaume Erard : Kobayashi Sensei a-t-il déjà été impliqué dans le Kansai Aikido ClubContrairement à ce que son nom indique, le Kansai Aikido Club était en fait un dojo de Daito-ryu Aiki-jujutsu. Il a été créé à Osaka en 1959 par Hisa Takuma. ?
Kimura Jiro : Le club de Daito-ryu ?
Guillaume Erard : Oui, le club Daito-ryu.
Kimura Jiro : Kobayashi avait l'habitude d'aller aux démonstrations, en tant que représentant de l'organisation Buikukai, donc je pense qu'il y avait un lien.
Guillaume Erard : André Cognard, qui était un élève de Kobayashi Hirokazu prétend que ce dernier était instructeur en chef du Daito-ryu dans le Kansai, et qu'il était un shihanL'article dans lequel cette affirmation a été faite est disponible sur Aikido Journal..
Kimura Jiro : Mon impression est que bien que je n'ai rien entendu formellement, il semblait y avoir une certaine forme dans l’enseignement que j’ai vu. Je pense que la forme de Kobayashi était la sienne propre. Bien que je pense qu'il ait pris des choses, plutôt que appris formellement, je ne sais pas si Hisa Sensei lui a appris séparément. J'ai fait cette hypothèse moi-même, à en juger par ce que j'ai vu, mais je ne sais pas si c'est vrai.
Membres du Kansai Aikido Club autour de Hisa Takuma
Guillaume Erard : Il n'y a aucune preuve pour appuyer cette affirmation, non ?
Kimura Jiro : Non, il n'y en a pas. En ce qui concerne le fait qu'il aurait pu être invité par Hisa Sensei en tant que professeur, je n'ai jamais rien entendu à ce sujet des anciens élèves de Hisa Sensei. Donc je ne pense pas que ce soit vraiPour plus d'informations à ce sujet, ma réponse à M. Cognard concernant le manque de preuves entourant ses allégations est également disponible sur Aikido Journal..
Guillaume Erard : Quelle est votre relation avec le Takumakai ces jours-ci ?
Kimura Jiro : Le Takumakai est un grand groupe de Daito-ryu. Je pense que Mori SenseiMori Hakaru (森 恕) est le somucho du Takumakai est en train de bâtir une organisation forte et je pense qu’elle est maintenant reconnue comme une fondation à but non lucratif. Il y a beaucoup d'éleves dans la région du Kansai. Kobayashi Kiyohiro Sensei et Kawabe Sensei ont appris de mon maître Kobayashi, je pouvais donc voir beaucoup de choses lors de diverses manifestations du Daito-ryu. J'ai été capable de voir immédiatement des choses significatives et de les ajouter comme un atout dans mon Aikido. Je suis content de ça. Bien que j'ai peu d'expérience avec Kobayashi Kiyohiro Sensei, il y a des similitudes entre ses techniques et celles de Kawabe Sensei, et la technique de Kawabe Sensei est celle que je connais le mieux. En dehors de l’Aikido, la technique de ces enseignants est ce que j’aime le mieux. Ce sont des gens merveilleux.
Kobayashi Kiyohiro et Guillaume Erard à Tokyo
Guillaume Erard : Je ne sais pas si c'est dû à la proximité avec tous ces gens, mais ton Aikido est assez intéressant, c'est sûr.
Kimura Jiro : Je suis vraiment content que mes techniques vous intéressent. Mais mes techniques de base sont... comment puis-je le dire ? Eh bien, tout simplement, elles sont brutes. Peu raffinées, ce qui signifie qu'elles ne sont pas très gracieuses. Ce sont des formes, techniques sur lesquelles j'ai travaillé tout au long de ma formation. Il n'y a pas d'autre moyen d'améliorer votre kata que la répétition. Faire des pauses aura une incidence sur votre technique. Votre kata ne sera plus bon après une pause d'un an, par exemple. La vraie difficulté réside dans la pratique. Je pense vraiment que c'est curieux que mes techniques s'intéressent aux gens.
Kimura Jiro et Guillaume Erard à Osaka
Jordy Delage : Quelles sont les particularités de l'Aïkido de Kobayashi Sensei ?
Kimura Jiro : Comme vous vous pratiquez aussi l'Aïkido, je suis sûr que vous comprenez déjà cela : en Aïkido on se défait de son adversaire en utilisant des kuzushi soit horizontaux soit verticaux. Quand vous travaillez dans l'horizontalité, vous voulez soit aspirer votre adversaire, soit lire ses intentions et rentrer dans son espace de façon efficace. Dans la verticalité, vous pouvez soit tirer l'énergie de votre partenaire vers le bas, soit essayer de le déséquilibrer. Kobayashi Sensei aimait travailler dans l'horizontalité et aspirer ses adversaires. Il excellait dans ces techniques et les utilisait souvent. Il se déplaçait aussi beaucoup en tsugi-ashiTsugi-ashi (次足) est l'acte de ramener la jambe arrière sous le centre après un mouvement vers l'avant.. Vous savez, quand le pied avant jaillit et que le pied arrière le suit immédiatement...
Jordy Delage : Comme en kendo...
Kimura Jiro : Tout à fait, comme quand ils attaquent "men" ! Des pas chassés, en somme... Le hakama cache nos pieds, hein ? Il cache aussi leur écartement. Quand il était jeune, l'écartement de ses pieds était très large, mais plus tard, l'écart s'est très fortement réduit. Que vous avanciez ou reculiez, le deuxième pied n'était jamais loin derrière. Quand Kobayashi Sensei reculait, il était puissant. Il pouvait aussi passer de façon incroyable de nikyo à kotegaeshi et vice versa. Ou alors de sankyo à kotegaeshi... Ce genre de techniques... Il évoluait même de yonkyo à ce kotegaeshi. Ce type de rotation caractérisait son style. Toutefois, ces techniques demandent énormément d'entraînement et de subtilité. Je suis sûr qu'il s'est entraîné beaucoup afin d'acquérir ce niveau de souplesse et de force. Mais la souplesse seule ne suffit pas...
Vous ne pourriez par exemple pas projeter un Européen de forte stature. Il vous faut de la puissance aussi. Dans l'école Daito-ryu il y a des techniques où l'on se colle au maximum à l'adversaire. Kobayashi Sensei en utilisait quelques unes. Je me sers moi aussi de ces parties du bras pour coller à mon partenaire... Il existe beaucoup de techniques de ce style. Il ne faut surtout pas perdre le contact... Vous restez collé et pivotez avec votre corps autour. Moi j'utilise souvent ce genou comme point de pivot. Kobayashi Sensei était très fluide ; comme ça... C'est ce qui le caractérisait : il ne cédait jamais à la facilité de n'utiliser que les mains. L'essence est dans les déplacements, c'est ce tsugi-ashi...
Jordy Delage : Et pour les kaeshi-waza ?
Kimura Jiro : Il adorait ça. Vous le savez, les kaeshi-wazaKaeshi-waza (返し技) sont des contre-techniques où l'on inverse la technique de l'adversaire, à son avantage. sont des techniques très difficiles à maîtriser. Parvenir à contrer les techniques d'un pratiquant expérimenté demande beaucoup de connaissances. Mais si vous arrivez à anticiper la force de l'adversaire et à utiliser des mouvements fluides... Kobayashi Sensei adorait ces techniques et les utilisait tout le temps.
Jordy Delage : Il pratiquait le suwari-waza en seiza n'est-ce pas ?
Kimura Jiro : La question est de savoir si nous pratiquons assis en seiza ou avec les orteils relevés ? Moi, oui, je plie mes orteils ; mais Kobayashi Sensei non. Et pourtant il arrivait à passer toutes ces techniques. Je pense qu'il y arrivait car il était très puissant. Là, un amateur utiliserait uniquement ses bras ; en tirant. Mais pas Kobayashi Sensei. Il se servait de ses coudes et de ses épaules comme des pivots. Et puis bien sûr, son hara. Pas seulement les bras... Du coup, orteils relevés ou pas, cela ne faisait pas de différence : vous étiez projeté de la même manière.
Jordy Delage : Kobayashi Sensei a-t-il appris l'Aiki shin taiso, et leur a-t-il enseigné ?
Kimura Jiro : C'est une bonne question. Comme vous le savez, avec l'aïkido Nous faisons torifune de droite à gauche, non, de gauche à droite. Kobayashi le faisait aussi. Il parlait de relâcher le corps et généralement faire les choses dans l'ordre. Je n'ai jamais vraiment demandé à ce sujet moi-même. La façon traditionnelle de le faire est beaucoup de tapoter, frapper et se pencher et s'étirer complètement. Honnêtement, je ne suis pas sûr que cela ait un sens réel. Fait complètement, le processus entier prend environ 30 minutes. Cela prend beaucoup de temps. Nous ne consacrons pas autant de temps ici actuellement mais j'aimerais voir comment cela se fait en Europe.
Jordy Delage : Oui, en Europe, ces taiso peuvent prendre jusqu'à 30 minutes.
Kimura Jiro : Ça a du sens. L’entraînement se déroule actuellement en séances d’une heure au Japon. Et je pense qu'il est préférable de faire ces échauffements même si c'est juste pour des raisons de santé pendant dix à trente minutes. En supposant que nous nous entraînions dans une classe d'Aikido - pardonnez-moi - un dojo. Je crois que ces échauffements ressemblent à du misogi.
Guillaume Erard: Ces exercices n'avaient peut-être pas besoin d'être enseignés explicitement puisque l'ancienne génération de budoka les avait appris à l'école, et les aurait fait individuellement avant de commencer la pratique.
Kimura Jiro : Je suis d'accord avec vous. Avant même de commencer l'entraînement vous auriez besoin de marcher dans le dojo, de vous incliner et de vous nettoyer. Après avoir fini tout ça, c'est à ce moment-là que vous envisagez de vous échauffer ou de faire nos exercices modernes. Ensuite, lorsque le professeur arriverait, vous le salueriez assis correctement. Ce sont nos traditions d'arts martiaux. La bonne façon de faire les choses. Maintenant, nous n'avons plus assez de temps pour rien. Les choses ne sont plus comme avant.
Jordy Delage : Comment étaient les relations avec les autres cercles d'Aïkido d'Osaka à l'époque ?
Kimura Jiro : A l'époque, Tanaka Bansen Sensei, Abe Seiseki Sensei et Kobayashi Sensei avaient beaucoup d'influence dans le Kansai. Tanaka Sensei est depuis décédé, mais sa fondation, Osaka Aikikai, est toujours très active de nos jours. Houn Sensei, le fils d'Abe Sensei, a succédé à son père et travaille maintenant dur pour enseigner son style. Le Buikukai s'est transformé en une fédération après la mort de Kobayashi Sensei mais du point de vue du nombre, il a en effet beaucoup de membres. C'est probablement le deuxième groupe après l'Aikikai d'Osaka. Au début les gens disaient : « L'Osaka Aikikai d'Abe Sensei et le Buikukai se détestent ; ils n'arriveront jamais à établir une fédération unie à Osaka. » Et bien, nous en avons parlé et peu de temps après nous sommes parvenus à la créer ! On était tous d'accord pour enterrer les vieilles querelles. Nous savions qu'il était temps de nous unir et d'aider Ueshiba Sensei. Il n'y a jamais un seul problème depuis.
Jordy Delage : Quelle est l’origine du nom Buikukai ? Est-ce de Kobayashi Sensei lui-même ?
Kimura Jiro : Pas du tout ! Buikukai est la contraction de Buiku Center et de Yudansha-yai. Et donc on s'appelle officiellement Buikukai. Non loin de là où vous avez dormi hier soir à Tenno-ji, il y avait un grand centre d'arts martiaux et de sport. Le dojo s'appelait Osaka Buiku Center. Le collège des ceintures noires a pris le nom du dojo et a créé le « Buikukai ». Ensuite, à Tokyo, ils ont commencé à utiliser ce nom lors des attributions de grade. Bref ! Il n'y a pas de sens caché, rien de tout ça.
Jordy Delage : Pendant les démonstrations montrez-vous votre véritable Aïkido ou l'adaptez-vous à votre public ?
Kimura Jiro : Joker ! Vous, qu'en pensez-vous ? Comment le voyez-vous ? C'est ma réponse... Est-ce que je montre mon vrai Aïkido ou non ? Je vous laisse juge. On a passé les deux derniers jours à s'entraîner ensemble. Ne trouvez-vous pas que mes techniques diffèrent quelque peu de quand je suis en démonstration ?
Kimura Jiro enseignant à Osaka (uke : Guillaume Erard)
A votre avis, quel est le but de ces démonstrations ? Vous avez deux ou trois minutes pour montrer votre personnalité et votre Aikido. Une démonstration n'est pas un spectacle. Les gens confondent très souvent... Ce sont deux choses très différentes. Ce n'est pas une représentation. Chaque instant, chaque image de la pellicule doit être vrai. Bien sûr vous pouvez vous relâcher un peu à certains moments, mais... Une démonstration permet de montrer l'Aikido que l'on maîtrise déjà et l'Aikido sur lequel on travaille. Personnellement, je souhaite montrer comment l'Aikido anime ma vie. J'ai participé à de nombreuses démonstrations. Pourtant, j'ai toujours une sensation bizarre quand je suis au Budokan. J'y ai toujours un peu le trac... La "peur de la scène" m'est normalement étrangère, mais étrangement je suis toujours nerveux au Budokan. J'admire le Doshu qui y pratique comme s'il était chez lui !
Kimura Sensei au 57e All Japan Demonstration (2019)
Le Budokan est un endroit sacré, on se doit d'y pratiquer avec un sentiment de gratitude. Je ne sais pas comment les autres voient les choses, mais j'essaie d'utiliser ces quelques minutes pour montrer qui je suis et comment l'Aïkido influence ma vie. Je ne sais pas si ça a l'air bon, mais je donne en tout cas tout ce que j'ai pendant mes démonstrations.
Jordy Delage : En plus, les gens attendent beaucoup des 8e Dan...
Kimura Jiro : C'est vrai !
Jordy Delage : Les haut-gradés doivent avoir la pression...
Kimura Jiro : Naturellement A mon avis, les techniques les plus simples fonctionnement le mieux en démonstration. De toute façon, les techniques martiales les plus efficaces sont toujours les plus simples. En Aikido, ikkyo ou irimi... Les choses comme kotegaeshi, etc. sont en fait plutôt compliquées. Forcer l'adversaire vers le sol est simple et très efficace. Les 8e dan on généralement tendance à se concentrer sur un aspect particulier de l'Aikido. Par exemple, Takenaka Sensei - qui démontrait en même temps que moi cette année, et moi créons un contraste intéressant : Takenaka Sensei a un style très personnel.
Takenaka Hideo au 57e All Japan Aikido Demonstration (2019)
Guillaume Erard : Le Takenaka de Kyoto ?
Kimura Jiro : Non, de Wakayama, qui a donc démontré en même temps que moi cette année. Il a son style, mais j'ai aussi le mien ; par exemple mon concept de « contact instantané ». C'est quelque chose que j'applique aussi à ma vie de tous les jours. En tout cas, je ne suis pas intéressé par le spectacle. Mais j'aime faire des démonstrations, même si j'ai parfois peur de faire des erreurs. Oubliez le spectacle. Il s'agit en fait d'exprimer sa vraie personnalité à travers l'Aikido... Comment les gens perçoivent mes démonstrations ? Ce n'est pas à moi de le dire. C'est au contraire à moi de vous demander ce que vous ressentez.
Guillaume Erard : J'ai été vraiment surpris de voir autant de jeunes, dont beaucoup de filles dans votre dojo. Comme vous l'avez mentionné précédemment, ce type de démographie devient assez rare en Aikido. Faites-vous quelque chose de particulier pour attirer les jeunes ?
Kimura Jiro : C'est probablement une coïncidence. Pour tout vous dire, je considère hommes et femmes à égalité : je n'altère pas mon enseignement parce que je fais face à des femmes ou des enfants. Le plus important dans les arts martiaux, c'est l'enthousiasme et le sérieux, à mon avis. Je n'accepte pas ce genre de commentaires : « Je suis trop fort, je ne veux pas travailler avec les filles ». Par contre j' accueille avec grand plaisir les gens motivés et ouverts d'esprit.
Guillaume Erard avec les élèves du Buikukai
J'ai bien entendu un grand respect pour Okamoto Yoko Sensei. C'est une enseignante qui a des résultats phénoménaux. Il n'y a pas beaucoup de femmes professionnelles au Japon. Je souhaite vraiment que les jeunes filles qui viennent dans mon Dojo rencontrent dans leur vie le même succès qu'Okamoto Sensei. Oui, je l'admire beaucoup. Malgré sa réussite, tout le monde l'adore, et elle a atteint une position très respectable. Elle est vraiment incroyable.
Bref ! ... Je ne sais pas pourquoi il y a beaucoup de jeunes au Buikukai, mais quand je pense au futur, cela me rend très heureux. Bien sûr, les seniors ont une place importante, mais sans enfants l'Aïkido n'a pas de futur. J'en suis vraiment reconnaissant. Je ne sais pas pourquoi il y en a autant mais je traite tout le monde de la même façon. Mes élèves me font face avec enthousiasme. Même des jeunes filles fragiles pratiquent avec beaucoup de sérieux. Ils sont géniaux ! Mais pour répondre à votre question, c'est je pense une coïncidence...
Guillaume Erard avec les élèves du Buikukai
Jordy Delage : Ne pensez-vous pas que c’est grâce à votre façon d’enseigner, la manière dont vous interagissez avec les gens ?
Kimura Jiro : J'espère... Un enseignant doit être impeccable. D'autant plus s'il est 8e dan. Il doit devenir un modèle. En vieillissant on a tendance à devenir obtus, ça énerve sûrement les jeunes. Les arts martiaux doivent cependant demeurer sévères. Cela nécessite de la discipline et une hiérarchie. La façon de s’adresser aux autres est également importante. Le harcèlement moral est devenu un problème de société. Dans le temps, les instructeurs pouvaient être agressifs, véhéments : « Vous êtes tous des crétins, des bons à rien ! », etc. On appelle ça maintenant du harcèlement moral. Personnellement, je ne pense pas qu'harceler quelqu'un aide en quoi que ce soit. Il faut savoir être strict, mais avec empathie.
Jordy Delage : Les Tokyoïtes sont souvent très froids...
Kimura Jiro : Vous exagérez un peu ! (rires) Quand je les rencontre ils sont plutôt amicaux. La façon qu'ont les gens de parler à Tokyo peu sembler froide en effet. Mais en général ils sont plutôt sympas. A Osaka, on s'exprime différemment... Ça surprend sûrement les Tokyoïtes quand ils descendent ici.
Jordy Delage : Les Français s'entendent souvent mieux avec les gens d'Osaka...
Kimura Jiro : Surement ! En tout cas je suis content que vous soyez descendus vous entraîner avec moi. Je suis aussi heureux que mes élèves aient pu pratiquer avec des haut-gradés comme vous. Je vous remercie du temps passé avec eux.
Jordy Delage avec les élèves du Buikukai d'Osaka
Jordy Delage : Voudriez-vous dire quelque chose en particulier à nos lecteurs ?
Kimura Jiro : Grâce à l'Aikido, j'ai rencontré beaucoup de gens. Grâce à l'Aikido, je me suis fait beaucoup d'amis hors du Japon. C'est grâce à l'Aikido que j'ai pu rencontrer autant de monde, et que j'ai pu croiser votre route. L'Aikido fait partie de ma vie. Je ne sais pas combien de temps il me reste mais j'ai bien l'intention de pratiquer jusqu'à mon dernier jour. J'espère que mes réponses vous satisfont. Dans le cas contraire, pardonnez-moi.
Jordy Delage : Auriez-vous des conseils pour les générations futures concernant leur vie personnelle et martiale ?
Kimura Jiro : L'Aikido est un art martial subtil, qui n'a pas de fin. Nous, les Japonais, l'appelons « Voie ». Il appartient à chacun de découvrir pourquoi l'Aikido l'attire et comment avancer. Quoi qu'il puisse se passer, le chemin n'a pas de fin. Avant je disais : « La Voie est longue et étroite ». Maintenant je dis : « continuez le plus longtemps possible, quoi qu'il arrive ». Vous pouvez faire une pause en chemin mais revenez ensuite et continuez aussi longtemps que possible. L' Aïkido vous apportera des choses merveilleuses. A de nombreuses reprises... Et un jour vous vous direz : «Je suis heureux d'avoir l'Aïkido dans ma vie ». Enfin, je ne peux pas non plus vous donner toutes les clefs... Tout ce que je peux dire c'est : « Continuez ».