L>es Japonais sont connus, entre autre, pour leur approche assez idiosyncratique des choses. Celle-ci est souvent une source d'intérêt, mais aussi parfois de confusion chez les observateurs non-issus de l'archipel. L'un des clichés les plus répandus au sujet des Japonais est celui de bus bondés traversant pays après pays et déversant des hordes de touristes, le temps d'arrêts express, afin de prendre des photos avec des appareils dernier cri, et d’acheter des friandises locales.
Les japonais prennent évidemment beaucoup moins de vacances que nous et pour eux, une semaine à l'étranger est considéré comme un « long » séjour que tout le monde ne peut pas se permettre. On peut donc comprendre que lors de séjours si brefs, chaque minute doit être mise à profit pour faire de nouvelles expériences, qu'elles soient sensorielles ou matérielles. L'une des meilleures façons de comprendre le tourisme à la japonaise, qu'il soit domestique ou international, est de feuilleter un guide de voyage.
De suite, on s'aperçoit que l'un des formats les plus populaires est moins celui d'un livre que celui d'un magazine, et que l'on l’achète d'ailleurs chez le marchand de journaux et pas nécessairement le libraire. Dans un monde qui change à toute vitesse, on peut comprendre le caractère éphémère d'un guide de voyage mais on peut tout de même s'interroger sur ce qui donne aux guides de voyage japonais des durées de vie si courtes (le plus souvent mensuelles). Les Japonais sont très soucieux du fait d'avoir des informations les plus à jour possible, afin d’être sûrs de ne jamais rater la dernière mode. Ils sont également très sensibles aux saisons et ne mangeront pas les même choses en fonction de la période de l’année. Les guides touristiques doivent donc se renouveler encore plus régulièrement que les nôtres s'ils veulent satisfaire les attentes de ce public particulier.
L'explication de ce qui rend les guides Japonais touristiques uniques tient en trois syllabes « Ru - Ru - Bu » (るるぶ). Il s'agit du nom d'une série de guide touristique très célèbre au Japon qui est la contraction des mots « Miru », « Taberu », « Asobu », c'est à dire, en français, « Regarder », « Manger », « S'amuser ». Avec un tel nom, on comprend tout de suite qu'au niveau culturel, la balance va clairement pencher du côté Lonely Planet des choses plutôt que de celui du Guide Vert, mais les Japonais, comme souvent, vont pousser le concept encore plus loin, et il est clair que ce n'est pas dans ces livres que l'on apprendra grand chose sur sa destination du point de vue historique.
Couvertures des RuRuBu pour Paris et Osaka
Ces guides sont au format A4 très similaire à celui des magazines féminins, et pour cause, puisqu'ils trouvent leur origine dans la presse de mode féminine, « Taberu » (manger) ayant remplacé le « Kiru » (porter un vêtement) initial. Dès ouverture, on est immédiatement assailli par une masse énorme d'information dont la mise en page est aussi criarde que chaotique. Il faut noter que les femmes Japonaises ont beaucoup plus tendance à voyager que les hommes, et que ce sont les femmes entre 20 et 30 ans qui partent et dépensent le plus. On peut donc comprendre que les guides touristiques essaient de s'adapter en particulier aux attentes de cette tranche d'âge de la population. Le tout est un joyeux mélange de quelques sites touristiques, de pas mal de conseils d’achats pour des articles de mode ou des souvenirs, et de beaucoup, beaucoup, beaucoup de nourriture. Tout tient souvent en une double page et les japonais en suivent les conseils de façon quasi-religieuse.
Présentation typiquement chargée d'un guide RuRuBu
Je me souviens d'un des mes séjours à Bruxelles et de ma surprise lorsque je suis entré dans un salon de thé très connu de la Grand Place. Je me suis aperçu en m'asseyant que les autres tables étaient pratiquement toutes occupées par des petits groupes de japonais (souvent des femmes, et souvent par deux). Suite à mes interrogations, deux d'entre elles m'ont montré avec enthousiasme leur guide RuRuBu. Dedans, on y recommandait avec insistance de déguster des gaufres dans cet établissement, et pas un autre. Je me suis ensuite rendu compte que touts les autres Japonais avaient sur leur table soit le même livre, soit l'ouvrage de l’éditeur concurrent : Mapple (マップル).
Découvrir le Japon à la façon RuRuBu
La raison pour laquelle j'ai décidé d'écrire ce billet est que je suis tombé récemment sur une version Anglaise des guides RuRuBu. Le nom complet de ces guides est « RuRuBu Omotenashi Travel Guide ».
Couverture du Rurubu Omotenashi Travel Guide Tokyo en édition anglophone
A l'intérieur, on retrouve la même organisation chaotique et la même emphase sur la mode, les fast-food, et les endroits touristiques les plus éculés. Le cycle de parution semble être mensuel et les conseils d'achats pour vêtements donnent même le prix que vous aurez à payer. Bien que personnellement, je sois un inconditionnel du Guide Vert, en y réfléchissant, je me suis dit qu'il pouvait être intéressant de voyager au Japon de la façon dont une jeune Japonaise de 25 ans le ferait, et ce faisant, de tenter une expérience culturelle au sein même d'une expérience culturelle...