Critique de film : Hachiko Monogatari (1987) / Hachiko, A Dog's Story (2010)

Critique de film : Hachiko Monogatari (1987) / Hachiko, A Dog's Story (2010)

Bien que datant de presque un siècle aujourd'hui, l'histoire de Hachikô, le chien fidèle, est connue à travers le monde entier. Cet Akita Inu qui avait l'habitude d'accompagner son maître à la gare tous les jours et de l'attendre au soir, a continué à le faire même après la mort de ce dernier, et ce jusqu'à sa propre mort dix ans plus tard. Véritable légende vivante déjà à son époque, son histoire a été adaptée au cinéma japonais en 1987 dans le film Hachikô Monogatari, réalisé par Kôyama Seijirô, avec Nakadai Tatsuya dans le rôle du professeur Ueno, le maître du chien, puis en 2010, dans son remake américain Hachi, a dog’s story, réalisé par Lasse Hallström, avec Richard Gere.

Hachikô est né le 10 novembre 1923 à Odate dans la Préfecture d'Akita, région d'origine de cette race, d'où son nom (Akita Inu, Inu 犬 signifiant chien en japonais). Il est alors envoyé à Tokyo, offert par un de ses amis au Professeur Ueno Hidesaburô, enseignant à l'Université Impériale de Tokyo et grand amoureux des canidés. L'origine du nom du chiot est difficile à établir avec certitude car différentes recherches amènent à deux versions différentes selon les sources. Selon la première, c'est le nom que lui aurait donné le Professeur car ses pattes fermement ancrées dans le sol rappelaient la forme du kanji hachi 八. Une autre version veut que le chien ait été appelé ainsi simplement car il était le huitième de la portée, hachi, du même kanji 八 signifiant le chiffre huit en japonais. Vient ensuite le suffixe kô (公) pouvant être traduit par prince, car il était issu d'une portée de pure race.

HachikoHachiko

Très vite, Hachikô va prendre l’habitude d’accompagner son maître tous les matins à la gare de Shibuya avant de rentrer chez lui, puis de revenir tous les soirs l’y attendre. Mais deux ans plus tard, le 21 mai 1925, le chien attendra en vain son maître, puisqu’il ne rentrera plus, ayant été victime d'un AVC pendant l’un de ses cours. La famille est contrainte au déménagement peu de temps après, mais Hachikô retournera régulièrement à son ancien domicile, et n'aura de cesse de retourner soir après soir devant la gare, attendant désespérément le retour de son maître, suscitant rapidement l'intérêt de tous. Devenu une véritable vedette locale, aimé et nourri par les locaux, l’histoire aurait pu s’arrêter là, mais il sera repéré par un journaliste du célèbre journal Asahi et ancien élève du Professeur Ueno, qui écrira un article sur lui qui paraîtra dans l'édition du 4 octobre 1932, l'élevant au rang de célébrité nationale.

L'article du Journal Asahi du 4 octobre 1932 intitulé « L'histoire émouvante d'un vieux chien qui attend son maître décédé depuis 7 ans. »L'article du Journal Asahi du 4 octobre 1932 intitulé « L'histoire émouvante d'un vieux chien qui attend son maître décédé depuis 7 ans. »

Surnommé Chûken 忠犬, le chien fidèle, et admiré de tous, une statue sera même érigée en son honneur et inaugurée en sa présence devant la gare en 1934.

Dévoilement de la statue d’Hachiko le 21 avril 1934.Dévoilement de la statue d’Hachiko le 21 avril 1934.

Un an plus tard, le 8 mars 1935, Hachikô meurt non loin de la gare. Fidèle à son maître jusqu'au bout, il l'aura ainsi attendu pendant toute une décennie. L’engouement est tel que son corps sera autopsié par le professeur en pathologie vétérinaire Emoto Osamu qui attribuera la cause probable de son décès à une maladie du foie. 

Article du journal Asahi du 22 avril 1934 au sujet de l’inauguration de la statue d’Hachiko.Article du journal Asahi du 22 avril 1934 au sujet de l’inauguration de la statue d’Hachiko.

L'Akita Inu trouve ses origines au 17ème siècle, et il est initialement élevé pour la chasse, à l'ours, au cerf et au sanglier. Très vite utilisé également comme chien de combat, il est croisé avec d'autres races pour en accroître la taille. Il est souvent représenté avec son pelage roux et blanc, mais on peut le retrouver avec d’autres couleurs. Afin de préserver la race, les combats de ces chiens seront interdits en 1908 par le gouverneur de la préfecture d’Akita, qui créera même en 1927 la Société de préservation de l’Akita Inu. Dans la même idée, l’Akita Inu sera proclamé « monument naturel » en 1931 par le Ministère de l’Education Nationale.

Malgré tout cela, il est abattu en masse pendant la Seconde Guerre Mondiale pour l'exploitation de sa peau pour la fabrication de vêtements, et ne doit sa survie qu'à une poignée d'éleveurs cachés dans les montagnes. Particulièrement intelligent et robuste, ce chien au faux air de gros nounours est très indépendant et nécessite une grande connaissance de l'éducation canine pour pouvoir l'élever correctement. Dans ce cas, il se trouve alors très affectueux avec ses intimes, protecteur avec les enfants, mais la prudence doit rester de mise avec les étrangers. En termes d'intimité et d'affection, Hachikô est l'exemple extrême…

Une telle histoire devait inévitablement finir par être portée sur grand écran. Ce fut donc le cas une première fois en 1987 au Japon, film qui sera adapté au cinéma occidental dans un remake américain en 2010 avec Richard Gere. Mais comme toujours avec ce genre de film, difficile de faire la part des choses entre ce qu'il s'est réellement passé et ce qui est ajouté ou modifié pour les besoins du cinéma. On peut toujours noter que la version américaine étant le remake du film japonais, et non une autre version de l'histoire, il suit, à quelques détails près, assez scrupuleusement le film original, de la complicité entre les deux compères jusqu’aux flashback au moment de la mort du chien. Pas question toutefois de refaire un film à Tokyo avec des japonais mais un américain dans le rôle principal pour le plaisir des occidentaux : alors que le film japonais se veut historique et donc à priori aussi fidèle que possible à la réalité, l'histoire dans le film de Lasse Hallström est déplacée aux Etats-Unis dans les années 2000 avec d'autres personnages, mais le chien reste un véritable Akita Inu né au Japon. Ce dernier vient à croiser son futur maître alors qu’il errait dans la gare après que sa cage ait été accidentellement cassée.

Le choix du nom du chien est différent aussi, et on retrouve justement les deux versions historiques : dans le film japonais, le chien s’appelle Hachi à cause de ses pattes, et dans le remake, c’est parce qu’il était « peut-être » le huitième de la portée.

Les pattes fermement ancrées dans le sol font penser au kanji Hachi 八. Dans la version US, à droite, même s’il est le 8e de la portée, difficile de ne pas voir un clin d’oeil du réalisateur avec le positionnement de ses pattes.Les pattes fermement ancrées dans le sol font penser au kanji Hachi 八. Dans la version US, à droite, même s’il est le 8e de la portée, difficile de ne pas voir un clin d’oeil du réalisateur avec le positionnement de ses pattes. 

Toujours est-il que bien que l'acquisition d'un nouveau chien était exclue, le Professeur va très vite devenir littéralement « gâteux » avec son nouveau compagnon, et l'adoption va finalement s'imposer par elle-même. Il passe énormément de temps avec lui, trop selon son épouse, allant jusqu'à passer la nuit ou même prendre le bain avec lui.

Une grande complicité entre le Professeur et son chien, au grand dam parfois de son épouse.Une grande complicité entre le Professeur et son chien, au grand dam parfois de son épouse.

On connaît bien la suite tragique de l’histoire, avec le décès du Professeur et l’attente interminable du chien devant la gare. Les deux films arrivent bien à nous transmettre toute l’émotion que la situation engendre, à travers la mise en scène du chien, les différents personnages pris d’affection pour lui, et aussi une bande son assez douce et efficace. Tout est bien fait pour que le spectateur se prenne tout autant d’affection pour lui et peut-être même faire monter les larmes aux yeux des plus sensibles.

Aujourd’hui, la dépouille de Hachikô est conservée empaillée au Musée National de la Nature et des Sciences de Tokyo, et une partie de ses restes a été inhumée à côté de la tombe du Professeur Ueno au cimetière d'Aoyama, l’un des plus importants de Tokyo. Situé à proximité des quartiers de Roppongi et de Harajuku, il s’étend sur une superficie de 26 hectares et est divisé en plusieurs zones dont la plus grande zone réservée aux étrangers du Japon. Arboré de très nombreux sakuras, les japonais s’y rassemblent en nombre au printemps au moment de leur floraison pour célébrer la mémoire de leurs défunts dans la joie et, bien évidemment, le respect. Hachikô et le Professeur Ueno ne sont pas les seules célébrités à y être enterrées, on peut y trouver entre autres des politiciens ou des écrivains célèbres.

La statue de Hachikô, quant à elle, trône toujours fièrement devant la gare de Shibuya. Véritable point de repère et de rendez-vous incontournable et inratable, ce n'est plus celle d'origine, qui a été récupérée et fondue pour des besoins militaires pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cette nouvelle statue, érigée en 1948, fut d’ailleurs sculptée par le fils du créateur du premier modèle.

La statue de Hachikô à Shibuya. L’inscription dit : « Hachikô, le chien fidèle »La statue de Hachikô à Shibuya. L’inscription dit : « Hachikô, le chien fidèle »

D'autres statues du célèbre chien sont par ailleurs érigées à d'autres endroits, comme à Odate, dans sa ville natale, ou, plus surprenant encore, devant la gare ayant servi de décor au film américain. Véritable phénomène de société, Hachikô est omniprésent dans la culture japonaise, dans la littérature, la chanson, les dessins animés, les mangas, on le retrouve sur des plaques d'égout joliment décorées, des bus etc.

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À-Propos

Site officiel de Guillaume Erard, auteur, instructeur et vidéaste résident permanent au Japon - 5e Dan Aïkido du Hombu Dojo de l'Aïkikai de Tokyo / 5e Dan Kyoshi (professeur) de Daïto-ryu Aïki-jujutsu du Shikoku Hombu Dojo.