J'ai récemment commencé à réfléchir sur le sens et les implications de la relation entre sempai et kohai suite à une expérience un peu bizarre que j'ai eue durant un récent séjour à Tokyo. J'avais prévu d'aller boire un verre avec des vieux amis que je n'avais pas vu depuis des années, alors qu'ils étaient en séjour eux aussi dans la capitale nippone. Nous avions rendez-vous dans un bar et lorsque je suis arrivée, pendant que je saluais l'assemblée, je me retrouvai devant une femme que je n'avais rencontrée qu'une seule fois auparavant. Elle ne me serra pas la main, ni me pris dans ses bras comme nous le faisons d'habitude aux États-Unis, mais au lieu de cela, elle me fit face et s'inclina à la japonaise en disant "Je suis contente de vous revoir sempai". Pour une raison que je ne compris pas sur le moment, je trouvai son attitude très énervante et je fis de mon mieux pour éviter cette femme pendant tout le reste de la soirée. Plus tard, je me senti coupable d'avoir été si impolie, et j'essayai de réfléchir à ce qui m'avaient tant énervée sur le moment.
Il y avait bien sur la tournure artificiellement formelle de ses salutations; j'avais eu envie de lui crier "Je ne suis pas japonaise nom de Dieu!" J'ai toujours cette impression d'artificialité lorsque je vois des étrangers adopter des maniérismes japonais entre eux, en particulier hors du contexte du dojo. En y réfléchissant un peu plus, je me suis rendu compte que ma réaction était surtout due aux implications de son utilisation du terme sempai pour me designer. Elle et moi ne sommes pas membres de la même organisation, encore moins du même dojo, et nous ne nous étions jamais entrainées ensemble. Pourtant, elle m'avait appelée sempai, terme qui implique une relation étroite et un lourd fardeau d'obligations mutuelles.
La meilleure façon dont je peux décrire la façon dont un sempai considère un kohai en français se résume à "quelqu'un que l'on prend sous son aile"; ce qui implique des responsabilités réciproques entre les deux. Personnellement, il y a peu de personnes que je considèrerais comme des sempai au sens strict. Robert Savoca [NDT : dojo-cho du Brooklyn Aikikai] est l'un de ceux-ci, et si je devais parler avec lui ou à propos de lui devant un groupe de sensei japonais, j'utiliserais certainement le terme "Savoca sempai". Robert a beaucoup donné de lui-même pour m'aider dans ma pratique et mon développement en tant qu'aikidoka, et il a toujours été de très bons conseils au niveau technique ou lorsque j'étais bloquée dans ma progression. Réciproquement, je fais de mon mieux pour prendre soin de lui lorsqu'il y a quelque chose que je peux faire que ses propres élèves ne peuvent pas. Il existe aussi une amitié profonde entre nous bien entendu, et nos actions l'un envers l'autre ne sont pas uniquement basées sur le grade, elles se sont développées naturellement dans le temps. Ceci étant dit, en temps normal, je l'appelle par son prénom, je ne lui dis pas "Savoca sempai". Si je l'appelais comme ça, cela créerait instantanément une barrière de formalité entre nous. Par contre, lorsque je parle de lui à ses propres élèves, je l'appelle "Savoca Sensei".
Même dans les rares cas ou ils sont utilisés, les termes japonais sempai, kohai, et dohai sont souvent mal compris dans les dojos occidentaux. De la même manière, le concept culturel de supériorité peut être mal compris. De façon littérale, sempai veut dire "le membre antérieur/précèdent [d'un groupe]"; kohai, "membre tardif/récent"; et dohai, "membre égal". Ce dernier est bien moins souvent employé et se réfère à ceux qui sont arrivés au dojo en même temps que nous. Me basant sur mon expérience du Japon, je dirais qu'il n'est pas très commun en dehors du milieu universitaire de s'adresser à quelqu'un directement en utilisant le terme sempai. Hors de ce système particulier, les termes sempai/kohai/dohai sont généralement utilisés pour décrire à quelqu'un notre relation par rapport à une autre personne, par exemple: "Charlie est mon sempai, il était 3e Kyu lorsque je suis arrivée au dojo", "Alice est ma kohai, elle a commence à travailler dans l'entreprise trois ans après moi", et "James et moi sommes dohai, nous avons commencé l'université en même temps". Dans un contexte martial, l'utilisation de ces termes dépend énormément des circonstances et de la culture au sein du dojo lui-même. Il est par contre important de comprendre qu'ils n'illustrent les relations qu'au sein de ce groupe particulier et qu'un certain nombre d'attentes et d'obligations y sont attachées.
Lorsque je suis arrivée au hombu dojo en 2004, j'étais 4e Dan et je possédais le certificat de Shidoin au sein du Birankai. Pourtant, lorsque j'ai commencé à pratiquer au dojo, on m'a signifié de façon très claire que j'étais la cadette (kohai) de tous ceux qui étaient arrivés au dojo avant moi, quel que soit leur grade. J'ai très rapidement compris pourquoi cela était logique. Je ne connaissais ni les règles, ni les usages du dojo - comment faire le nettoyage, comment s'aligner avant le cours, comment tel ou tel professeur voulait que l'on fasse shomen uchi ikkyo - et il était donc logique qu'il faille que j'observe les plus expérimentés de mes pairs afin d'apprendre toutes ces choses. Si personne à part une ceinture blanche 5e kyu n'était disponible, j'allais voir ce 5e kyu pour solliciter une instruction.
En sept ans au hombu dojo, personne ne m'a jamais appelée sempai, et je ne me suis jamais adressée à personne en ces termes non plus. Le terme est beaucoup utilisé dans le contexte des clubs sportifs universitaires, où il y a un sens aigu de la hiérarchie, et c'est peut-être là que les Occidentaux ont appris le terme. Les étudiants des clubs universitaires sont sensés s'adresser à leurs ainés en utilisant le mot sempai, et se réfèrent toujours à eux pour guidance et direction. C'est en partie fait pour les préparer au monde de l'entreprise, qui au Japon est beaucoup plus hiérarchisée qu'en occident, mais c'est aussi une façon de préserver la dynamique des clubs universitaires puisque le flux des membres est rapide et constant. Hors de ce contexte universitaire, l'utilisation des termes sempai et kohai est beaucoup plus variable. Certains dojos encouragent leurs élèves à employer le terme sempai pour se référer à leurs ainés, d'autres pas (on ne s'adresse jamais à un cadet en utilisant le terme kohai, car il est considéré très impoli de souligner le statut inférieur de quelqu'un).
Si on veut décrire la relation entre sempai et kohai en termes plus généraux, je dirais qu'il est attendu d'un sempai - c'est-à-dire un membre aine du dojo - de faire preuve d'incitative, de démontrer la forme correcte, une étiquette convenable, et d'aider les nouveaux membres à comprendre comment les choses se passent dans le dojo, allant de la façon d'attaquer jusqu'à celle de nettoyer les toilettes. Certains pensent que lorsqu'on atteint le statut de sempai, on n'est plus tenu d'effectuer les basses besognes comme le nettoyage ou le pliage de notre hakama, mais ce n'est pas ce que j'ai vu au Japon. Quelque soit le rang, tout le monde est sensé prendre en charge une partie de ce genre de responsabilités, et s'il ne s'agit pas du nettoyage, on s'attend a ce que ce soit autre chose, mais certainement pas une dispense de devoirs. Tout le monde au hombu dojo plie son propre hakama. Les kohai, de leur coté, demandent généralement à leur sempai de pratiquer avec eux, les regardent et cherchent des pistes pour comprendre comment de comporter. Ils se portent également volontaires pour effectuer les taches "faciles" comme le nettoyage du tatami et des parties communes.
J'ai vu faire aux États-Unis des choses que je considère comme bizarres ou même néfastes par rapport à la hiérarchie au dojo, souvent sous l'ombrelle de la relation sempai/kohai. L'anecdote que j'ai donnée au début de cet article montre comment ces termes, s'ils sont employés sans réfléchir, peuvent créer des barrières. Si par exemple, un yudansha arrive dans un dojo et considère qu'il devrait recevoir des responsabilités d'enseignement simplement parce qu'il a un grade plus élevé que les autres membres du dojo, ou qu'un professeur confie la charge de l'enseignement à quelqu'un sans prendre le temps de vérifier que ce nouveau membre effectue les techniques d'une façon qui est en accord avec celle du dojo, la dynamique globale du dojo peut êtres affectée. Évidemment, il est du ressort de l'instructeur en chef d'assigner les responsabilités, et ses décisions doivent être acceptées sans discuter. Pourtant, en général, j'ai l'impression que c'est la personne qui a été membre du dojo depuis le plus longtemps qui devrait être en charge. Si vous êtes un invité dans un dojo, il est par exemple de bon ton d'être uke en premier lorsque vous vous entrainez, afin que vous puissiez ressentir comment la technique est effectuée dans ce dojo.
Évidemment, c'est n'est pas un cas de tout ou rien, et l'idée de l'"ainé" par rapport au "cadet" est très dépendante du contexte. Un élève qui est entré dans un dojo en 2002 et qui s'est entrainé une fois par semaine depuis aura une compréhension de la technique du professeur beaucoup plus médiocre qu'une personne qui s'entraine cinq fois par semaine depuis 2003. Dans de tels cas, la hiérarchie en termes de grade devient plus logique. Durant des stages et autres évènements où les participants sont tous plus ou moins égaux dans leur capacité de "membre", le grade est plus déterminant que le rôle d'ainé/cadet. Ceci dit, le fait que les grades sont parfois donnés pour des raisons autres que techniques complique encore un peu plus les choses.
Pour conclure l'analyse, il semble que la meilleure façon de procéder est d'être flexible en fonction de la situation, et de comprendre que le rôle d'ainé (ou cadet) est toujours relatif, et qu'il change en fonction du contexte. Quelque soit le grade, vous devriez toujours vous appliquer à prendre vos responsabilités - pas seulement envers vos ainés, mais aussi envers vos cadets et vous-même - dans un respect sincère.
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