Au moment où le Ministère de la Jeunesse et des Sports souhaite vivement la réunification de l'Aikido français, la réponse que fit le Doshu au cours d'une interview à Tokyo est une invitation à accueillir et à reconnaître comme partenaires, d'abord ceux qui nous ressemblent, mais surtout les « autres », ceux qui sont différents de nous, par leur origine, leur style, leur grade, leur âge, leur ancienneté, leur morphologie, leur façon de « Vivre l'Aikido ». À nous tous, Aikidokas de France, que nous appartenions à la Fédération Française d'Aikido et de Budo ou à la Fédération Française d'Aikido Aikibudo et Affinitaires, l'occasion est offerte, grâce à la déclaration de Doshu, de vérifier l'acuité de notre regard et la finesse de notre écoute pour le respect absolu de nos « Différences ».
Question posée à Maître Ueshiba Kisshomaru
J'aimerais vous demander ce que vous envisagez pour l'avenir de l'Aikido au niveau international ? Je comprends que le but actuel de la Fédération internationale d'Aikido est de répandre une méthode d'enseignement unique pour servir de base à ce qu'on peut appeler l'Aikido véritable. Il y a de nombreux Maîtres qui excellent au HONBU DOJO en utilisant une technique personnelle. Dans ces conditions, comment, à votre avis, le véritable Aikido peut-il se répandre à travers le monde avec une méthode d'enseignement uniforme ?
Réponse de Maître Ueshiba Kisshomaru
Attaquer quelqu'un en déclarant : « Ce que vous faites est faux, où vous ne deviez pas pratiquer de la sorte, ce n'est pas le véritable Aikido », c'est quelque chose à éviter. Donc, si les uns pratiquent avec des différences techniques, il s'avère cependant que tous pratiquent avec leur style propre, conscients de l'Unité qui les relie à la Fédération. J'espère par-dessus tout que par le biais de l'Aikido, chacun s'y rencontrera et fera fi des différences de style et de technique, ainsi que les nationalités qui ont conçu des méthodes d'enseignement différentes, dont la pratique est quotidienne.
Qu'en retirer?
Dans le but d'améliorer les techniques, il est nécessaire de modifier petit à petit les méthodes d'enseignement. Je ne pense pas que nous ferons quelque chose d'insensé comme commencer à fixer un cadre au mur avant d'y intégrer l'image !
La Voie de l'Aikido réside avant tout dans la « Spontanéité » et le « Naturel » de chaque pratiquant. Les techniques de l'Aikido sont à l'infini et comportent de multiples facettes. Bien qu'elles semblent séparées en fonction du style particulier de chaque expert, il existe cependant une unité entre elles et un ordre. C'est en considérant l'unité de ces techniques que réside la beauté de l'Aikido.
Voilà pourquoi nous n'avons pas l'intention d'englober l'Aikido dans une structure, qu'elle soit politique, idéologique ou économique, c'est-à-dire construire une organisation pour tout y inclure. Le but de la Fédération internationale d'Aikido est avant tout de répandre et de développer l'amitié internationale.
Conclusion
Grâce au point de vue exprimé par le Doshu Ueshiba Kisshomaru ; cette similitude des Aikidokas qui pratiquent dans le Monde un art et un sport est rassurante et reposante. Elle apparaît comme le signe de l'unité idéale, c'est-à-dire la reconnaissance des autres, de leur droit à la différence. Elle les pousse à s'organiser pour être capables de l'exercer effectivement.
C'est l'attitude, de tolérance que nous propose le Doshu Ueshiba Kisshomaru, une vue pluraliste de l'Aikido, ouvrant à l'expression des différentes sensibilités et des divers courants de pensée de quiconque aime l'indépendance et la liberté. Le Maître Moriheï Ueshiba, lui-même, avec sa grande expérience des hommes et du monde, n'ignorait pas que des groupes naîtraient et se combattraient à cause des différences de techniques des experts. Comme son fils Kisshomaru, il insistait, en déclarant que ces différences de styles étaient secondaires, et que seuls l'esprit d'amitié sincère et le respect absolu de chaque expert: étaient essentiel.
Le Maître était contre la codification des techniques en méthode. « Avec une Méthode, » disait-il, « il n'y a plus d'originalité dans la création d'un Geste. Il ne reste que la maîtrise de gestes figés ».
L'Aikido, selon le Maître fondateur, est avant tout liberté et indépendance, et la codification des techniques en méthode se fait au, détriment de la liberté individuelle et de la volonté d'expression de chaque pratiquant. Pour un débutant, certes, une classification est utile comme aide-mémoire, mais elle devient vite un barrage diamétralement opposé au concept de spontanéité dans l'application d'une technique.
« Il faut apprendre pour désapprendre » disait le Maître, c'est à dire, abandonner les structures. Le Maître avait créé l'Aikido pour les Intellectuels, de manière à les désintellectualiser.
Maître Mitsugi Saotome, que j'ai bien connu à ses débuts à l'Aikikai en 1955, a déclaré récemment dans la revue Karaté Bushido n° 110 : « Il faut bien voir que les gens qui viennent à l'Aikido n'ont pas tous les mêmes motivations, ni la même structure physiologique. Chacun apprend une forme de base, mais l'adapte en fonction de ces données ».
Monsieur Jean-Paul Avy, dans une organisation Fédérale a dessiné les perspectives de structure, permettant aux Experts d'Écoles d'Aikido différentes de conserver leur originalité, morale, spirituelle et technique. Il a créé les conditions d'une conjonction harmonieuse des grands courants techniques, en garantissant la richesse d'enseignements différents. Cette conception marie l'union et la liberté et rejoint entièrement le point de vue de Doshu Ueshiba Kisshomaru, concernant le développement de l'Aikido dans le Monde.
Au moment de la création d'une Fédération Française d'Aikido unique, il nous serait utile, dirigeants et pratiquants de nos deux organismes, de méditer ces quelques orientations, plutôt que de feindre de les ignorer, comme nous avons tendance à le faire pour ce qui nous dérange, pour ce qui nous fait peur.
En Aikido, il faut dépasser notre peur, pour aller vers ceux qui en sont la cause. Nous avons peur des autres, parce qu'ils ne sont pas comme nous, c'est pourtant pour cela qu'ils sont une richesse pour nous. N'ayons pas peur de ceux qui ne nous ressemblent pas et dont les propos ont des résonances inconnues à notre niveau d'entendement.
C'est avec eux-mêmes que nous sommes appelés à nouer des relations nouvelles et fructueuses. Découvrir que les autres sont nos semblables en dépit de leurs différences, voilà l'essentiel de la pensée profonde du Fondateur de l'Aikido, Ô Sensei Moriheï Ueshiba. Nous découvrirons alors : La Richesse de nos Différences.