Christian Tissier Shihan est l'un des enseignants d'aïkido les plus célèbres non seulement en France, mais aussi dans le monde. Il est en outre l'un des plus hauts gradés non-japonais. J'ai eu la chance d'interviewer Christian Tissier il y a un peu plus de sept ans alors que je lançais un magazine en ligne sur l’Aïkido. Tissier Senseï avait eu la générosité d'accepter cet entretien afin de donner un coup de pouce au magazine. Bien que je ne fasse pas partie de ses élèves proches, je ne rate jamais une occasion d'aller le voir lorsque je suis de retour en Europe. C'est au cours de l'une de ces visites que j'ai pu mener ma deuxième entrevue avec lui, cette fois-ci en vidéo. Tissier Shihan pratique l'Aïkido depuis plus de 50 ans et j'ai pensé que ce serait une bon moment pour revenir sur sa carrière, parler de ses débuts à Paris, de ses sept ans passés au Japon aux côtés des maîtres du Hombu Dojo de l'Aïkikaï, de son actualité d'enseignant et de représentant international de l’Aïkido, et enfin d'aborder sa succession au sein de son école.
Guillaume Erard : Comment avez-vous commencé l'Aïkido ?
Christian Tissier : J'ai commencé l'Aïkido en France, à Paris, avec un professeur qui s'appelait Jean-Claude Tavernier. C'était ce qu'on appelait « le style Mochizuki », celui de Hiroo Mochizuki qui était le fils de Minoru Mochizuki. Ça a duré peut-être pendant un an, et ensuite on a rencontré Nakazono Senseï qui arrivait de Marseille. C'était une révélation parce qu’il avait un travail très très différent, c’était vraiment de l'Aïkido. Et donc j'ai suivi Nakazono Senseï jusqu'au grade de deuxième Dan, et à l'âge de 18 ans j'ai voulu partir au Japon et me perfectionner en Aïkido. Dans mon idée, c'était pour partir quelques mois, je pensais que c'était largement suffisant de faire de l'Aïkido pendant 6 mois au Japon, voire même de seulement de poser le pied au Japon. Tous les gens qui sont allés là-bas connaissent un peu le système, on est vite pris par le rythme japonais, la facilité aussi quelques fois, c'est peut-être un peu différent maintenant, mais à l'époque, ce n'était pas évident de trouver du boulot, mais assez rapidement les relations sont assez simples au Japon. Pour quelqu'un qui est jeune, qui n'a pas trop de demandes, qui va être gourmand d'apprendre des choses, assez rapidement, tu te sens bien, tu fais ta vie. Pour moi, Tokyo, par rapport à Paris, c'était presque un village de campagne, un grand village, mais un village de campagne, les petites rues, les maisons, il n'y avait pas d'immeubles. Dans le quartier de l'Aïkikaï, le plus grand immeuble, c'était l'Aïkikaï lui-même donc c'était encore la campagne quelque part. C'était ce rythme qui me plaisait, l’entraînement puis en même temps le fait qu'on peut côtoyer les gens facilement.
Guillaume Erard : Avec quels maîtres avez-vous étudié ?
Christian Tissier : Quand je suis arrivé, je n'avais pas grand-chose à faire, donc je faisais tous les cours du matin au soir. C'était intéressant à l'époque car il y avait encore Saito Senseï qui donnait cours le dimanche matin, il y avait Tohei Koichi Senseï, et Tohei Akira qui est parti aux États-Unis ensuite, donc voilà, je faisais tous les cours. Après, on a forcément des préférences pour certains professeurs bien sûr, même si je ne comprenais pas leur Aïkido. Je ne comprenais rien à l'Aïkido du Doshu parce que c'était tellement différent de ce que j'avais appris. Je doutais même de ses qualités et il m'a fallu un peu de temps pour me dire « Oui, voilà, j'ai une vision qui est fausse ». Ça ne ressemblait pas à ce que j'avais appris donc forcément, ce n'était pas bon.
Guillaume Erard : Comment se sont comportés les professeurs avec vous lorsque vous êtes arrivé ? j'avais l'âge de son fils, l'actuel Doshu, qui était encore ceinture blanche et qui n'avait pas de hakama, on pratiquait souvent ensemble
Christian Tissier : C'est intéressant parce qu'ils se demandaient un petit peu ce que je faisais là, surtout le Doshu. Yamaguchi Senseï savait parce qu'il avait reçu une lettre de Nakazono Senseï. Il n'y avait pas beaucoup d'étrangers, le Doshu se demandait un petit peu qui j'étais, un gamin comme ça, à 18 ans, il était un peu timide, donc il tournait un peu autour de moi, et puis une fois, il est venu me parler. Je ne parlais pas trop le japonais donc forcément la communication était difficile, puis petit à petit, comme ça, les relations se sont instaurées. Comme j'avais l'âge de son fils, l'actuel Doshu, qui était encore ceinture blanche et qui n'avait pas de hakama, on pratiquait souvent ensemble, alors petit à petit, Doshu m'a pris un peu comme uke et les choses se sont faites et il est devenu un de mes Senseï à part entière. J'ai suivi ses cours tous les matins pendant des années. Parallèlement à ça, il y avait bien sûr principalement Yamaguchi Senseï, à la fois au Hombu Dojo et au Dojo de Shimokitazawa et à Meiji tous les jeudis matin. C'étaient des relations un peu plus filiales, j'allais chez lui, il m'avait pris sous son aile, il s'occupait vraiment de moi. Il y avait aussi tous les autres Senseï comme Saotome Senseï, Masuda Senseï avec qui j'était très proche, on sortait ensemble etc.
Guillaume Erard : Est-ce que ces personnes avaient déjà des cours réguliers à cette époque ?
Christian Tissier : À l'époque, Endo Senseï venait juste d'avoir le 4e Dan, Suganuma aussi, ils commençaient à donner des cours à l'Aïkikaï, mais pas encore là-haut. Saotome Senseï était 6e Dan, il enseignait bien sûr, il avait trois heures de cours tous les mercredis après midi je crois. Donc je travaillais avec tout le monde, à tous les cours, Watanabe bien sûr, donc comme on me voyait souvent, je faisais partie un petit peu du dojo.
Guillaume Erard : Avec autant de maîtres, les élèves sont parfois perdus techniquement. Avez-vous eu ce problème ?
Christian Tissier : Franchement je n'ai jamais eu cette difficulté. Je n'ai jamais essayé de mimer Yamaguchi Senseï, en tout cas pas dans ses formes, je ne dirais pas ses formes excessives, car on ne les voyait pas chez Yamaguchi Senseï, c'était de la pureté, mais on les voit chez certains de ses élèves. Pas chez Yasuno par exemple, mais chez certains, même étrangers qui étaient là à l'époque, et qui mimaient. Evidemment, on mime toujours le plus facile, il suffit qu'un prof se passe la main dans les cheveux et on va se passer la main dans les cheveux. Cette façon d'être un petit peu désinvolte, Yamaguchi ne l'était pas, mais l'idée que ça donnait, cette façon peut-être, de jouer avec le partenaire, Yamaguchi Senseï ne jouait pas avec le partenaire, il n'aimait pas jouer avec les partenaires, il disait toujours que « Waki ga nai » en Aïkido, il ne faut pas qu'il y ait d'ouverture, etc., mais ça les gens ne le comprenaient pas. Je pense que ce qu'il aimait bien aussi chez moi, c'est que j'étais authentique, je faisais mon Aïkido. Mais bon, quand il faisait ses cours, je faisais ce qu'il montrait et j'essayais de le faire du mieux que je pouvais parce que c'est ce que j'avais envie de faire, mais j'allais aussi aux cours d'Osawa Senseï, c'est totalement différent, et j'y faisais l'Aïkido d'Osawa Senseï, enfin au sens de la gestuelle. Et donc je n'ai jamais eu de problème, je pense. Peut-être que quelqu'un qui aurait eu un regard extérieur aurait pensé que c'était différent, mais je n'ai pas eu besoin d'adaptation puisque tous me prenaient comme uke de la même manière.
Même quand Tada Senseï est venu au Japon, il enseignait tous les mardis, à partir de 1974 ou 75, et j'étais très souvent son uke alors qu'on n'a pas du tout le même Aïkido. Je pense que ce qui est important dans l'Aïkido, c'est d'avoir une formation de base qui n'est pas discutable et c'est pour ça que c'est important d'aller aux cours du Doshu. On ne va pas parler d'Aïkido officiel, mais si par exemple, on prend des débutants, et si on veut avoir un langage commun, peut-être que c'est mieux de leur apprendre dans un premier temps sur shomen uchi de sortir de la ligne, de revenir sur la ligne, de repartir sur le côté, etc. Il faut faire ce genre de choses pour ikkyo, nikyo, sankyo, yonkyo, et après, chacun suivant sa sensibilité, ce qu'il ressent sur le moment, les créations qu'il peut avoir dans l'Aïkido, il va adapter. S'il veut faire une entrée droite, ou comme Endo Senseï ramener un petit peu la main, ou comme un autre qui serait peut-être plus direct. Mais si on n'a pas un langage commun, si on n'a pas des bases, c'est un peu différent parce qu'on n'est à l'aise nulle part. Donc ce qui est important quand on voit un nouveau Senseï, c'est surtout de voir l'ensemble et se dire « Tiens, ça je l'évacue parce que ça je le connais. Ah ça, par contre, c'est différent », mais à l'Aïkikaï, ils ont tous la même base.
Guillaume Erard : Aviez-vous déjà acquis ces bases en arrivant au Hombu Dojo ? je n'ai plus envie d'enseigner les techniques comme tachidori par exemple tellement ça me semble improbable Christian Tissier : Non. Moi quand je suis arrivé au Japon, je n'avais pas encore compris la différence entre omote et ura. Quand un Senseï japonais par exemple arrivait quelque part pour défricher, aller faire un ikkyo avec un changement de main requiert un ensemble de conditions, il faut expliquer au partenaire qu'il ne faut pas se retourner, etc., ou alors il faut appliquer. Donc c'était plus facile pour eux de dire « voilà, nikyo, crac, c'est ça », ah, ça fait mal, bon on comprend, ah, sankyo c'est comme ça, donc il n'y avait pas trop de omote/ura, à l'époque. Donc quand je suis arrivé au Japon, la structure qu'avait mise en place le Doshu, c'est-à-dire la codification, a été une grande découverte. Je dirais qu'à cette époque là, en France, on faisait plus un Aïkido d'application.
Guillaume Erard : Était-ce parce que les gens étaient uniquement intéressés par l'application en combat ? Christian Tissier : Non, c'est parce qu'il n'y avait pas le niveau. De façon similaire, je tourne beaucoup dans le monde entier, si tu vas dans un dojo où il n'y a que des kokyu nage, c'est que le professeur n'est pas bon, parce que c'est facile de faire des projections et des grandes chutes. Quand tu commences à vouloir faire un enseignement sur katatedori ikkyo, nikyo, sankyo, yonkyo, avec les bons changements de main, ne pas lâcher le coude, pour prendre le poignet, etc. tout ça c'est de la technique, ça s'apprend, ça prend du temps, et il y a une logique. Il fallait déjà qu'eux, les enseignants, connaissent cette logique, ce qui n'était pas le cas, parce que, même encore maintenant, si tu demandes à quelqu'un pourquoi on fait comme ça, on va te répondre « bien parce que c'est comme ça », mais est-ce que quelqu'un a vraiment réfléchit là-dessus ? Certains oui, Yamaguchi Senseï oui, à chaque fois que tu avais une question, tu avais une réponse. Il y a des choses que Yamaguchi Senseï ne voulait pas faire, tu ne l'aurais jamais vu travailler sur aïhanmi katatedori, peut-être simplement pour nikyo ura, mais pour lui ce n'était pas une saisie. En hanmi handachi, à part shiho nage, kaiten nage direct, ça ne lui serait jamais venu à l'esprit de faire shomen uchi irimi nage, parce que pour lui, ça n'avait pas de sens. Dans les passages de grade, il aurait pu le demander, mais dans son enseignement de 9e Dan, il ne voulait pas le faire lui-même.
Maintenant, c'est la même chose, il y a des choses que je n'ai plus envie de faire, je n'ai plus envie d'enseigner les techniques comme tachidori par exemple tellement ça me semble improbable, car j'ai une certaine expérience dans les arts martiaux. Je veux bien montrer quelques formes parce que c'est intéressant, c'est éducatif, mais à un moment tu n'y crois pas, et le couteau c'est pareil. Oui, il y a des passages de grade, on va faire kotegaeshi, deux ou trois techniques, donc c'est important que mes assistants l'enseignent pour former les gens, puis aussi parce que les armes, ce n'est pas apprendre à se défendre contre un couteau, c'est éveiller des priorités. Quand il y a un couteau même en bois, dans la technique il y a une autre priorité, par exemple si on fait shiho nage sans couteau sur yokomen, la main peut passer près du corps, c'est même mieux. Avec le couteau on ne peut pas parce qu'à un moment il y a une priorité donc voilà, c'est un côté un peu pétillant. Mais si on n'a pas ce sens-là, ça ne sert à rien. Donc ce côté pétillant, quelles sont les priorités dans une action, ça c'est important, mais, point de vue self défense, ce n'est pas ça, donc c'est bien que les enseignants, mes troisième, quatrième, cinquième, sixième Dan l'enseignent. Moi, avec le peu de temps qu'il me reste à enseigner, qu'il me reste à vivre, par rapport au message que je crois pouvoir apporter, enfin, je n'ai pas un message, je ne suis pas meilleur qu'un autre, mais si il y a des gens qui sont intéressés par ce que je fais, autant qu'ils soient intéressés par ce qui m'intéresse dans l'instant plutôt que par des choses auxquelles j'ai cru un moment, mais je ne crois plus maintenant.
Guillaume Erard : Et puis en plus j'imagine qu'il y a les stages aussi, ils n'ont pas autant d'accès à vous...
Christian Tissier : Voilà, il y a un ensemble de choses. Il y a des périodes dans la vie d'aïkidoka. Toi tu es aïkidoka, tu es plus jeune que moi, tu sens bien, tu as envie de faire autre chose. Pour moi, ça a commencé avec Saotome Senseï parce qu'on mettait des plastrons après les cours et je servais de punching-ball. Ça donne de l'expérience.
Après, il faut faire le tri de tout ça parce que le problème de l'Aïkido, c'est que c'est très très vaste mais ça se résume en une seule chose, c'est toujours le même mouvement finalement, toujours la même sensation à mon avis, quelle que soit la technique. Donc au départ, la technique est un éventail, c'est-à-dire que tu ouvres comme ça et tu apprends toutes les formes, un peu comme dans le kenjutsu ou dans le karaté, les katas. Tu apprends toutes les probabilités, enfin probabilités, tu apprends toutes les techniques qui un jour pourraient arriver, mais qui n'arriveront probablement jamais, mais on t'apprend tout. A un moment il faut que tu refermes ton éventail, et il n'y a plus qu'une seule technique.
Donc au départ oui c'est vrai on va travailler yokomenuchi ikkyo, tu fais ton entrée, et puis comme tu es un peu statique parce que tu apprends, tu te déplaces sur le côté pour ne pas rester devant et puis tu reviens, et puis après tu commences à avoir un mouvement qui emmène un peu le partenaire donc c'est l'autre main qui travaille pour joindre les deux mains parce que sans ça c'est trop statique. Et puis après tu vas plus vers l'application, tu vas davantage vers le point qui est derrière, puis après tu fais ikkyo un peu de la même manière et puis à un moment tu te dis que si tu travailles bien, sur yokomen ou shomen, tu peux faire exactement le même mouvement, parce que ce n'est pas la main qui est importante, c'est le point qui est derrière, donc si tu anticipes, tu es déjà dessus, et finalement tu t'aperçois que tu as eu besoin de toute cette ouverture, de toutes ces techniques pour finalement arriver à une seule chose. Par exemple, en ce moment je travaille à quelques petites choses sur ryotedori, les kokyu ho, et j'ai mis 50 ans pour comprendre que c'est comme ça qu'il faut faire, parce que c'est plus facile, et en fait que je fais ikkyo de la même manière, et donc tu te dis que c'est exactement le même principe. Ce sont les principes naturels, c'est tellement simple.
Guillaume Erard : Donc toutes ces techniques ne sont-elles que des outils pour former le corps ?
Christian Tissier : Là-dessus tu as tout à fait raison mais il y a aussi autre chose. Souvent les gens font de l'Aïkido pendant quelques années, 10 ans ou même plus, pour une raison précise à un moment donné, mais en fait, souvent ils se trompent, parce que les raisons précises viennent après. Tu dis : « Voilà, je fais ça maintenant, mais c'est à mille lieues de ce que je pensais que c'était, ou de ce que ressentais, ou de ce que j'ai voulu devenir, ça n'a rien à voir », dans mon cas au moins.
Guillaume Erard : Tu changes de but...
Christian Tissier : Oui parce qu'à un moment tu t'aperçois que tu ouvres des portes constamment. Tu ouvres des portes, et puis elles sont soit de plus en plus grandes, soit de plus en plus étroites. Alors si elles sont de plus en plus grandes, tu as de plus en plus d'intérêt en plein de choses, mais quand elles sont de plus en plus étroites, tu t'aperçois que c'est ça et il ne faut pas que tu le rates, et c'est toujours des perspectives. C'est ça la pratique, sans ça tu t'ennuies, parce que quand tu as fait le tour... Quelqu'un qui arrive à quatrième Dan ou cinquième Dan avec un bon niveau technique, qui n'a pas de blessure, si tu le revois 30 ans après et qu'il fait toujours la même chose, c'est qu'il a manqué le train quelque part. Il peut reproduire la même chose, parce qu'à un moment, tu as quelqu'un qui débute, ou on te demande de faire un « catalogue technique », oui, tu le refais, enfin, quand tu peux le faire si tu peux te mettre à genoux encore, mais bon tu fais ton truc. Moi si on me demande de faire ikkyo, nikyo, sankyo, yonkyo, je le fais souvent sur shomen uchi, les techniques classiques un peu comme on ferait à l'Aïkikaï, comme apprennent les Uchi deshi, oui, je vais le faire comme eux. Maintenant, c'est ce que je faisais il y a 30 ou 40 ans, donc il y a d'autres sensations qui rentrent en ligne de compte. à l'Aïkikaï il n'y pas de cours d'armes, O Senseï ne voulait pas, donc c'était ce flou qui a amené beaucoup de gens à aller à droite à gauche. Alors des fois tu as un mode opératoire qui fonctionne bien sur un moment.
Je fais du golf en ce moment, je ne suis pas bon, mais j'en fais beaucoup parce que j'y retrouve une grosse similitude avec ma recherche en Aïkido, mais des fois, en trichant un peu, j'envoie mieux la balle, mais le prof me dit « non, ton mouvement n'est pas bon ». Alors évidemment pendant deux mois ça va aller mieux parce que tu as trouvé qu'en mettant la main d'une certaine façon, ça va mieux, mais ça va te freiner dans ta progression, parce que ça devient quelque chose qui est hors des principes.
Guillaume Erard : Quelque part on est un peu obligé de faire ces erreurs-là au cours d'une progression non ?
Christian Tissier : Oui tu les fais forcément, mais le tout, c'est l'honnêteté que tu as. Tout aïkidoka sait ça, des fois tu peux passer ton mouvement en force, mais tu le sais. Si tu es honnête avec toi-même, tu le sais. Quand tu triches, tu le sais, si tu ne sais pas quand tu triches c'est grave. C'est ça le problème. Si tu ne sais pas quand tu triches, c'est grave.
Guillaume Erard : Pouvez-vous parler de votre pratique d'armes en Aïkido ? Inaba était élève de Yamaguchi Senseï en Aïkido et en fait il n'enseignait pas, il étudiait à l'époque, parce qu'il a très très peu appris avec Kunii Senseï
Christian Tissier : L'Aïkido de Yamaguchi Senseï était très incisif, ses mouvements, ses positions de mains, etc., c'était des coupes. Il avait un étudié différentes écoles d'armes, il s'y intéressait même s'il n'enseignait pas lui-même. On sait qu'à l'Aïkikaï il n'y pas de cours d'armes, O Senseï ne voulait pas, donc c'était ce flou qui a amené beaucoup de gens à aller à droite à gauche. Dans les systèmes d'armes, bon je ne sais plus trop maintenant, mais à l'époque soit tu allais au Katori, soit tu allais au Muso Shinden-ryu, différentes écoles de iaï, soit maintenant les gens vont au Kashima. Mais à l'époque, Kashima Shin Ryu, ce n'était pas connu, moi j'ai connu ça parce que j'étais chez Yamaguchi Senseï un soir, et il m'a passé une vidéo de démonstration d'Inaba Senseï qui à l'époque n'était pas Inaba Senseï, qui était simplement Inaba-kun, pour Yamaguchi Senseï bien sûr. J'ai vu cette démonstration et j'ai trouvé ça assez intéressant et il m'a dit : « Si tu veux, je te le présente ». Inaba était élève de Yamaguchi Senseï en Aïkido et en fait il n'enseignait pas, il étudiait à l'époque, parce qu'il a très très peu appris avec Kunii Senseï [NDR: Kunii Zenya, le 18e Soke de l’école Kashima Shin Ryu].
Guillaume Erard : Inaba Senseï faisait-il encore partie du Kashima Shin Ryu à cette époque ?
Christian Tissier : Oui, mais je ne sais pas si Kunii Senseï était déjà mort à l'époque, je ne me rappelle pas. En fait, c'est longtemps après qu'il m'a dit « mais je n'ai jamais enseigné à Christian », enfin, il m'enseignait, mais on s'entraînait
Guillaume Erard : C'était informel ?
Christian Tissier : C'était informel oui, on était quatre, donc on y allait trois fois dans la semaine et le dimanche matin pendant quatre ou cinq heures. Parfois, on faisait quatre heures de kesa giri comme ça, sans s'arrêter puis après il servait de uke pour les techniques. Moi, comme j'étais gamin, c'était mon professeur, même si en fait il n'est pas beaucoup plus vieux que moi. C'est quand on s'est revus il y a quelques années qu'il m'a dit « mais non, on s'entraînait ensemble », mais par le fait il m'enseignait. Donc j'ai beaucoup appris dans le Kashima, et c'était un peu mon caractère, ce côté direct. Enfin ce que je n'aime pas dans l'aïki-ken, enfin certaines formes de ken faites par des aïkidoka, le côté négatif, c'est-à-dire par exemple quand on fait une coupe en reculant comme un taï sabaki. Moi si je le fais, je coupe et je recule après. Peu importe car ce n'est que de la forme, et si les gens ont du plaisir à faire ça tant mieux, mais dans mon esprit, ce côté direct, comme par exemple sur certaines formes de Kashima où il y a l'attaque, hop on est directement dessous, pour moi c'est hyper important. Je l'ai retrouvé en kickboxing par la suite parce que c'est ça. C'est vraiment « paf » ça bouge, et on est déjà parti. En aïkido, c'est vraiment le sens d'irimi également, il n'y a pas besoin de bouger, mais il y a quelque chose qui part, et je trouvais ça merveilleux cette fulgurance dans le Kashima. Donc j'ai étudié les katas, etc., j'avais fait aussi un peu de iaï et de kendo
Guillaume Erard : L’école véritable de Kashima Shin Ryu contient des techniques avec différentes armes ainsi qu'à mains nues, mais vous ne faisiez que la partie de kenjutsu ?
Christian Tissier : Non, on faisait le yari et le jo etc., mais c’était très très peu. On faisait le yari awase, un peu de jo contre ken, mais c’était très très peu. J'ai fait beaucoup de batojutsu également, je n'en fais plus maintenant parce que, comme j'ai été opéré du coude, je n'ai plus du tout l'extension, et donc je n'ai plus les mêmes gestes, donc il faudrait que je refasse tout, parce que quand on a un geste qui est rentré, on sait exactement quand ça sort. Et puis très sincèrement, ça ne m'intéresse pas, enfin ça m'intéresse moins.
Guillaume Erard : Appreniez-vous les techniques à mains nues ?
Christian Tissier : À cette époque là, Inaba Senseï n'enseignait pas ça, mais de temps en temps, j'allais aux cours de Tanaka Senseï quand Inaba n'était pas là. Tanaka Senseï, lui, venait du Yoshinkan, et lui faisait des techniques à mains nues qui étaient différentes donc je le faisais également.
Guillaume Erard : Mais elles n’étaient pas celles du Kashima Shin Ryu n'est-ce pas ?
Christian Tissier : Non, c'était de l'Aïkido, c'était un peu différent, mais c'était de l'Aïkido. Maintenant, j'ai vu les techniques à mains nues d'Inaba Senseï, elles sont très souples, très fluides, mais ce n'est pas du tout ma recherche. Pas du tout. C'est autre chose.
Guillaume Erard : Dans quelle mesure est-ce qu'un koryu comme le Kashima Shin Ryu peut-il être mélangé à l'Aïkido ? je n'enseigne pas le Kashima Shin Ryu, je n'ai pas l'autorité pour l'enseigner même si à l'époque, quand je suis rentré du Japon, je le pensais
Christian Tissier : Il faut quand même que je précise : moi je n'enseigne pas le Kashima Shin Ryu, je n'ai pas l'autorité pour l'enseigner même si à l'époque, quand je suis rentré du Japon, je le pensais. Inaba Senseï, d'après les rumeurs, n'enseigne plus le Kashima Shin Ryu non plus. Moi, ça fait longtemps que j'ai décidé que je ne garderais dans mon ken que les katas qui sont utiles pour mon Aïkido. Il y certainement des katas qui sont très intéressants, mais qui n'amènent rien dans mon Aïkido. L'autre jour je regardais par exemple une vidéo du Soke de Kashima Shin Ryu, sur men tachi zuke par exemple, eux bloquent les mains près de la garde, et je le comprends, c'est certainement plus puissant, mais moi ça ne m'intéresse pas parce que ce n'est pas comme ça que je fais ikkyo. Je préfère avoir le bout du sabre qui est au contact. Je ne transforme pas cette école-là, ce que je fais, c'est, à partir de cette base-là, j'essaye de conserver les katas ou les formes qui sont utiles pour mes aïkidoka donc c'est vrai que les positions de pied ouvert, enfin d'une certaine manière, c'est typiquement la position de l'Aïkido. Le ken, j'en fais une fois par semaine ici parce que les gens ont de l'intérêt, et encore, c'est à onze heures du matin donc il n'y a pas grand monde parce que les gens travaillent, ça balbutie un peu. J'enseigne le ken et le jo dans les grands stages, c'est-à-dire que s'il y a une semaine de stage, je fais une heure par jour parce que ça détend un peu les gens, ils aiment ça, ça évite de ne faire que de l'aïki, et ils sont un peu moins cassés. je ne suis pas un Maître d'Armes Et pour le jo, j'ai beaucoup travaillé avec Saotome Senseï, c'est lui qui m'a tout appris. Les formes de jo que j'aurais apprises avec Inaba Senseï sont des formes de ken, c'est exactement les mêmes mouvements, mais avec un jo, alors que dans les techniques de jo qu'on faisait avec Saotome Senseï et qu'on voit d'ailleurs même chez Saito Senseï, il y a beaucoup de hasso gaeshi. C'est assez intéressant parce qu'il y a tout un travail comme ça qu'on peut répertorier, et puis il y a un côté ludique qu'il ne faut pas nier, les gens aiment ça, mais bon, je ne suis pas un Maître d'Armes.
Guillaume Erard : A votre niveau, ressentez-vous une envie, une obligation ou bien une légitimité pour apporter des changements à ce que vous avez appris ?
Christian Tissier : Écoute, j'ai 64 ans, je respecte de plus en plus de gens, je suis beaucoup plus respectueux que quand j'étais jeune, j'ai davantage de compréhension et de clémence pour tout un ensemble de choses. Je n'ai pas l'impression d'usurper ou de voler quoi que ce soit, si c'est le cas qu'on me le dise. Maintenant si dans mon Aïkido j'introduisais quelque chose vraiment de différent sur les principes, j'appellerais ça autrement, dans ce cas, je créerais une discipline, ce qui n'est pas du tout ce que j'ai envie de faire, franchement. Il y a des gens qui disent « Moi je fais de l'Aïkido style Tissier »... mais je n'ai pas de style !Il y a des gens qui disent « Moi je fais de l'Aïkido style Tissier », ou « Je veux faire votre style », mais je n'ai pas de style ! Moi, c'est le style de l'Aïkikaï, je veux dire que je ne suis pas plus différent dans mon Aïkido que Yasuno ne l'est, que Miyamoto ou Endo, que les jeunes que je connais moins comme Kanazawa.
Après, qu'on dise qu'il y a une ligne Tissier, dans ce cas-là c'est autre chose, ce sont des gens qui ont envie de se reconnaître, comme on dirait par exemple Birankaï. Mais moi mon Aïkido, c'est l'Aïkido de l'Aïkikaï, avec ma forme. Je n'ai pas l'impression ni de trahir ce que j'ai appris, ou alors ils me le diraient. j'ai fait Bercy, mais il fallait bien que quelqu'un le fasse, parce que de toute façon il y aurait eu quelqu'un Après oui, tu as des gens qui ont été un peu ulcérés, mais gentiment ulcérés. Je me rappelle par exemple de Fujita Senseï avec qui j'avais de très bons rapports d'ailleurs, dire « Oh, mais Christian, c'est un show man ». Oui, parce que j'ai fait Bercy, mais il fallait bien que quelqu'un le fasse, parce que de toute façon il y aurait eu quelqu'un. Moi Bercy, ça ne m'amuse pas, ça fait quatre ou cinq ans que je n'y vais pas, j'ai envoyé Bruno Gonzales. Ça ne m'intéresse plus parce que ce n'est pas ce que j'ai envie de faire. Ce que j'ai envie de faire, c'est quelque chose un peu plus comme ce que j'ai fait aux World Games, en plus là j'étais malade, je sortais d'un truc, je reprenais juste l'Aïkido, donc j'ai fait quelque chose de différent, et j'ai envie de faire ça, faire lentement. Je me suis quand même fait attaquer là-dessus. « Il marque des arrêts », je voulais montrer ce que c'était qu'un arrêt, les gens ont dit « Il a marqué des arrêts ! » Par contre, Ito de l'Aïkikaï m'a téléphoné et m'a dit « Ta démonstration était super ». Maintenant si tu fais ça à Bercy, tu te fais siffler, parce que juste avant tu as le krav maga, juste après tu as le Kyokushinkaï. Sauf que j'ai des centaines de personnes quand je vais dans des pays qui m'ont dit « Oh j'ai commencé l'Aïkido grâce à vous, je vous ai vu à la télé et c'est ça qui m'a donné envie de faire de l'Aïkido ». Après que je sois un show man, oui enfin bon, je suis bien obligé.
Christian Tissier aux SportAccord World Combat Games 2013.
Guillaume Erard : Vous dites avoir fait Bercy pour ne pas appliquer la politique de la chaise vide, en est-il de même pour les Combat Games ?
Christian Tissier : La Fédération Internationale d'Aïkido (FIA), c'est un peu compliqué parce que l'Aïkikaï a besoin d'une reconnaissance. Pourquoi, je n'en sais rien, mais ça semble important pour le Doshu, d'avoir une reconnaissance du Comité Olympique, de faire partie des organisations internationales, etc. Donc ils sont à la fois demandeurs et en même temps ils voudraient que ça se fasse sans y aller donc c'est un peu compliqué. Ça se met en place l'IAF, ça vaut ce que ça vaut, beaucoup de gens ont attaqué en disant « Il va y avoir des compétitions ! », jamais il n'a été question de compétition, il n'a jamais été question de donner des points, il était simplement question de dire, et j'ai trouvé ça assez intéressant, « On veut arrêter de présenter des vieux croûtons, on veut que ce soient des gens qui n'ont pas plus de 35 ans, maximum quatrième dan, des femmes, des hommes, et des jeunes », et pour dire « Voilà, l'Aïkido c'est aussi ça », etc. Ça se met en place l'IAF, ça vaut ce que ça vaut Moi, on me demande de superviser, on est deux à superviser avec Miyamoto, la dernière fois. Les gens viennent, ils nous montrent ce qu'ils font, on dit « Ça il faudrait que tu le changes un petit peu, ça, ce n'est pas bien, ça, c'est mieux », il y en a qui arrivent avec un bagage technique qui est super, d'autres un petit peu moins, ça dépend des pays parce que chacun a son vécu, mais on essaye de faire quelque chose. Bon, les premiers jeux, c'était plutôt moyen, mais à Saint-Pétersbourg j'ai trouvé qu'il y avait une belle qualité, des belles images de l'Aïkido. Après, c'est évident, tu te fais attaquer tout le temps, « Oui, mais ce n'est pas ça l'Aïkido », mais ceux qui disent ça, qu'ils me montrent déjà ce qu'est leur Aïkido, ensuite, qu'ils aient le courage de le faire, et puis qu'ils acceptent les critiques aussi. Moi j'y vais parce qu'on me demande d'y aller mais ça pourrait être n'importe qui car très franchement, je n'ai pas plus envie d'y aller que ça, je suis en « duty ». La dernière fois qu'il y a eu une réunion de l'IAF, à Cluj, en septembre dernier, Waka Senseï qui était là avec des uchi deshis et plusieurs jeunes, et moi je n'étais pas prévu. Je n'étais pas prévu parce qu'on ne m'avait pas demandé, donc c'était très bien parce que j'avais un autre stage. Sauf que l'Aïkikaï s'est un peu inquiété et Tani a dit : « Non non, on veut que Christian soit là-bas ».
Guillaume Erard : On vous voit un peu partout et vous communiquez très bien, à quel moment avez-vous fait votre plan de carrière ? je n'ai jamais téléphoné à un journal, tu peux te renseigner à Karate Bushido, jamais, jamais, c'est eux qui me demandent sans arrêt
Christian Tissier : Non il n'y a pas de plan du tout, franchement, il n'y a jamais eu de plan. Tu sais, les choses se sont faites comme ça, je n'ai jamais dit « Je veux faire ci, je veux faire ça », les choses se sont imbriquées comme ça petit à petit. C'est pareil quand les gens disent « Il est très médiatique ». Je n'ai jamais cherché à être médiatique, il se trouve que j'ai enseigné le français à l'Institut Franco-Japonais et ça se passait plutôt bien parce que je suis assez à l'aise en français. J'ai aussi fait de la télévision au Japon et j'ai été modèle. Ça passait bien avec les premiers journalistes qui sont venus m'interviewer quand je suis rentré en France parce que je ne bafouille pas. Il m'est arrivé, que les gens d'Antenne 2 me disent « Ah bien ça change des sportifs ! ». Après, oui, mais je n'ai jamais téléphoné à une télévision, je n'ai jamais téléphoné à un journal, tu peux te renseigner à Karate Bushido, jamais, jamais, c'est eux qui me demandent sans arrêt.
Christian Tissier au Festival des Arts Martiaux de Bercy 2004.
Guillaume Erard : Si vous pouviez remonter dans le temps, changeriez-vous quelque chose ?
Christian Tissier : [Tissier Senseï réfléchi un moment] Non, je ne sais pas si je changerais quelque chose... Non, je ne changerais pas parce que rien n'est jamais parfait...
Guillaume Erard : Y-a-t-il des choses qui n'ont pas été comprises ?
Christian Tissier : Ah ça oui, il y a toujours des choses qu'on ne comprend pas, je suis d'accord. Mais bon, ça, c'est tous les jours. Oui il y a certainement des relations que j'ai eues avec des gens à un moment donné que je n'aurais pas dû avoir, que je regrette, mais ce n'était pas très important. Des fois, j'ai pu prendre une position un peu radicale vis-à-vis de quelqu'un et ne pas me rendre compte que ça le touchait personnellement au point qu'il en arrête l'Aïkido. Oui, ce n'est pas bien de ma part parce que je n'ai pas été à l'écoute. Après, lui non plus, il n'a pas vu qui j'étais, mais ça, ça arrive tous les jours. Mais non, j'aurais fait quelque chose de pas bien, oui.
Guillaume Erard : Vous mentionniez votre blessure au genou un peu plus tôt, est-ce que cela a changé quelque chose à votre Aïkido ? en dehors de ça, c'est fini, ma carrière d'Aïkidoka est derrière moi
Christian Tissier : Je le vis bien parce que c'est comme ça, de toute façon ça n'ira pas en s'améliorant, ni ça ni autre chose. Non, ce que je regrette, c'est les erreurs que j'ai faites quand mon genou a commencé à péter. C'était une époque où on se tirait un peu la bourre avec Shibata et Miyamoto. J'avais le ménisque qui avait pété et je venais quand même, je ne pouvais pas travailler mais je restais une heure en seiza sur le tapis en bois, je souffrais le martyre, c’était complètement idiot. « Oui, mais je suis là quand même au cours », je faisais mon petit samouraï, ça plus ça et voilà. Quand je me suis fait opérer du ménisque ensuite, la première fois, le soir même j'étais sur le tapis et le lendemain j'étais à Dijon en stage. Ça, ce sont des idioties. Oui, ça a changé quelque chose parce que maintenant quand je vois quelqu'un qui commence à avoir mal aux genoux, je lui dis « Ecoute, le plus important c'est ton corps ».
Ça me rappelle ce que raconte Endo Senseï au sujet de sa discussion avec Yamaguchi Senseï. Moi quand j'ai connu Endo, il était dur et plutôt violent. Un jour il s'était cassé l'épaule dans une démonstration avec le Doshu, et il était au café avec Yamaguchi Senseï qui lui dit « Mais alors tu veux continuer à avoir les épaules bloquées comme ça à ton âge ? Si c'est ça l'Aïkido, tu ferais mieux d'arrêter, tu ne sers plus à rien ». Et là, il a commencé à réfléchir, il a changé son Aïkido. Je trouve ridicule de montrer à des gens qui ont 20 ans et qui sont en pleine possession de leurs moyens comment faire quand on n'est pas en possession, ça n'a pas de sens. Non, moi ça n'a pas changé mon Aïkido, j'aimerais pouvoir retravailler à genoux parce c'est très très frustrant d'expliquer quelque chose que tu ne peux pas faire quand tu enseignes et ça, c'est grave. Alors je demande à quelqu'un de le faire, j'explique, je donne des conseils, mais ça me gêne un petit peu. Ça me pose un problème parce que comme je ne peux pas mettre ce genou au sol du tout parce qu'il ne plie plus, il ne se tend plus, j'ai tendance à faire les techniques d'un seul côté. Si je fais ikkyo, nikyo, je les fais du même côté pour pouvoir poser le bon genou. Après, en dehors de ça, c'est fini, ma carrière d'Aïkidoka est derrière moi, je veux dire, j'ai beaucoup de plaisir à pratiquer et pour l'instant, je peux faire ce que j'ai envie de faire debout, mais le jour où je ne pourrai pas le faire, je pense que je ne le montrerai plus dans ce cas-là. Je trouve ridicule de montrer à des gens qui ont 20 ans et qui sont en pleine possession de leurs moyens comment faire quand on n'est pas en possession, ça n'a pas de sens.
Guillaume Erard : Quand vous regardez vos élèves voyez vous en eux ce que vous vouliez transmettre ?
Christian Tissier : C'est un peu ma réflexion actuelle, c'est amusant. J'ai eu plusieurs générations d'enseignants, presque tous les cadres de la Fédération française et puis un peu ailleurs bien sûr, dans le monde entier. Les premières générations, Gérard Dumont, etc., sont un petit peu en dehors de ça maintenant. Après il y a eu Patrick Benezi, Bernard Palmier, enfin tous ces gens que vous connaissez, après Philippe Gouttard, après il y en a eu d'autres comme Pascal Norbelly qui sont moins connus au Japon. Les deux dernières générations ont été Marc Bachraty, Bruno Gonzales et Pascal Guillemin qui font une belle carrière, il faut le dire. Et puis maintenant, j'ai Fabrice Croizé qui est passé cinquième Dan avec Hélène Doué. Et puis il y a des jeunes qui viennent maintenant, tu les verras peut-être tout à l'heure, des troisième Dan, qui ont vraiment envie de travailler.
Guillaume Erard : En tant qu'enseignant, qu'attendez-vous de vos élèves proches ? Je ne suis pas exigeant, les gens me demandent quelque chose, je leur enseigne.
Christian Tissier : Je ne suis pas exigeant, les gens me demandent quelque chose, je leur enseigne. Tant qu'ils seront là, je ferai des efforts pour être là, pour leur enseigner au maximum. Mais je ne demande rien en échange, je ne joue pas les Senseï, je ne demande pas à ce qu'on me porte mon sac, je n'ai jamais rien demandé. Pourquoi ? Parce que ma vie est belle, elle ne peut pas être plus belle à tous points de vue, mes enfants, ma vie familiale, c'est super, je suis heureux de ce que je fais, je n'ai pas de problèmes, donc je ne vois pas pourquoi j'irais demander quoi que ce soit. Si je peux aider des gens dans quoi que ce soit, j'essaye de le faire, mais je ne demande rien en retour
Je me suis aperçu que souvent en Aïkido, il y a une main mise sur les élèves, qui fait qu'effectivement les élèves restent, mais est-ce qu'ils restent parce qu'ils sont dominés ? Ou par intérêt ? Moi je ne suis pas comme ça, et donc j'ai beaucoup d'anciens élèves avec qui je suis toujours en contact mais que je vois très peu. Je les vois très peu parce qu'ils ont monté leur propre dojo, et puis maintenant ils ont 50, 55 ans, ils ont des enfants et puis voilà. Oui, ils viennent une fois de temps en temps, ce qu'ils font c'est bien, mais ce n'est pas ce que je fais maintenant non plus. Enfin c'est autre chose.
Guillaume Erard : Ils n'ont pas suivi le...
Christian Tissier : Ils n'ont pas suivi, mais ils ont leur évolution, je n'ai rien contre ça, mais c'est vrai que s'ils viennent dans un cours maintenant, certains auront l'impression de ne plus savoir faire, de ne pas être dans le coup. Souvent ça les éloigne, et donc on se voit moins, voilà, c'est comme ça. C'est pour ça que quand je suis rentré du Japon, en 1976-77, je suis retourné à peu près quatre mois par an au Japon, j'y ai passé deux mois en hiver et deux mois en été pendant une dizaine d'années afin de rester avec Yamaguchi Senseï. Il venait aussi deux fois par an en France. Après, mon fils est né en 1982, et puis quand tu arrives au cinquième ou sixième Dan, tu ne vas plus au Hombu Dojo de la même manière. Mais c'était important de garder ce fil, et je m'apercevais qu'effectivement, l’Aïkido de Yamaguchi Senseï était différent tous les trois mois. Si les principes étaient les mêmes, c'était différent, donc c'était important de garder ce fil.