En juin dernier, juste avant de me rendre en Europe pour ma série de stages d'été, je me suis rendu à Kyoto pour assister au 14e stage international d'Aikido organisé par Aikido Kyoto. L’organisation fêtait ses 15 ans d’existence et son fondateur, Okamoto Yoko Shihan, a été la première enseignante à accepter de me laisser venir filmer à son dojo. Grâce à sa confiance et à la vidéo qui en a résulté, de nombreuses opportunités se sont ensuite présentées pour d'autres interviews. Il m'a donc semblé très important de lui montrer mon soutien et d'assister à cet événement. J'avais bien entendu prévu de faire un reportage sur l'événement mais l'idée est aussi venue de profiter de la présence de Miyamoto Tsuruzo Shihan, Christian Tissier Shihan et Okamoto Shihan sous le même toit pour conduire une interview commune, à laquelle tous ont gracieusement accepté de se soumettre. La perspective de filmer dans une configuration aussi complexe était intimidante et j'ai eu la chance de pouvoir bénéficier du soutien de mon ami Jordy Delage, le fondateur de Seido Co. Ltd., qui a lui aussi été très productif ces dernières années et créé des vidéos de haute qualité. Nous avons préparé les questions, mis en commun notre équipement, et nous nous sommes assis pendant environ une heure avec les trois Sensei, qui ont généreusement accepté de sauter leur déjeuner afin de respecter le planning serré. Ce qui en résulte est une merveilleuse discussion entre ces experts sur certains points essentiels de la pratique, que toute personne sérieuse au sujet de l’Aikido, au-delà de toute frontière ou culture, devrait envisager.
Guillaume Erard : Vous êtes tous des élèves de l’Aikikai, certains dans des générations différentes, cela constitue-t-il un lien entre vous, et s’il existe, comment se manifeste-t-il ?
Uchi Deshi
Le terme uchi deshi (内弟子) veut littéralement dire « élève du dedans ». En Aikido, ce terme désigne uniquement les élèves ayant vécu au dojo avec Ueshiba Morihei et/ou Ueshiba Kisshomaru. Les derniers uchi deshi en Aikido sont donc Chiba Kazuo, Kanai Mitsunari, Saotome Mitsugi, et Kurita Yutaka. Avec la construction du nouveau bâtiment, Doshu n'a plus vécu au dojo, mais dans une maison à côté. A partir de cette époque, le terme sumikomi shidoin (住み込み指導員, instructeur à domicile) a donc remplacé le terme uchi deshi.Miyamoto Tsuruzo : J'ai rejoint le Hombu Dojo en avril 1975. Il y avait beaucoup de Français comme Tissier Sensei à l'époque. Je viens de la région de Kyushu, donc je n'avais pas vu beaucoup d'étrangers, je me suis dit : « Wow, c'est tellement différent. » De plus, je ne pratiquais qu'avec des Japonais et la pratique avec les étrangers était vraiment difficile pour moi car ils étaient plus grands et plus forts. Au Hombu Dojo, je me suis entraîné avec Tissier Sensei sous Kisshomaru Sensei pendant environ un an, jusqu'à son retour en France en 1976. En ce qui concerne Okamoto Sensei, je pense qu’elle est arrivée quand j’étais sumikomi shidoin (住み込み指導員, résident instructeur), elle est venue de France...
Okamoto Yoko : C'était en 1978.
Miyamoto Tsuruzo : 1978... Cest donc quand je vivais au Hombu.
Okamoto Yoko : Oui, j'ai commencé au Hombu.
Miyamoto Tsuruzo : Je me souviens avoir vu Yoko Sensei pendant le cours de Yamaguchi Sensei.
Okamoto Yoko : Oui, à peu près à cette époque. Ce n'est qu'après que je suis allée en France et que je suis revenue.
Miyamoto Tsuruzo : Oui c'est vrai. Je me souviens que Tissier Sensei pratiquait avec un grand nombre de professeurs, en commençant par Kisshomaru Sensei du lundi au dimanche.
Christian Tissier : Oui c'est exact, je ne vais pas rebondir sur ce qu'il dit mais c'est ça. Lui et moi nous sommes rencontrés en 1975. Quand il est arrivé de Kyushu, il était déjà gradé. Il était très « vivant » pendant la pratique. J'ai eu beaucoup de plaisir à pratiquer avec lui. C'était souvent un peu intense, mais c'était l’époque. Miyamoto Sensei, Shibata Sensei, Seki Sensei, Iwagaki Sensei étaient là. C'était un groupe très solide. J'ai eu énormément de plaisir à m'entraîner avec eux. Nous avions de la technique et nous étions jeunes, il y avait donc une sorte d'émulation qui existait entre nous. Pour Yoko, c'est un peu différent parce que nous nous sommes connus avant qu'elle ne commence l'Aikido puisqu'elle étudiait le français, donc nous avions des amis communs. C'est une longue histoire. Elle a commencé l'Aikido après mon départ mais nous nous sommes retrouvés à Paris. Elle est venue s’entraîner à mon dojo pendant quelques années. La vie c'est ça. Dans la vie, il y a beaucoup d’opportunités de rencontres. Certaines sont plus importantes que d'autres. Certaines ne sont pas importantes sur le moment alors que d’autres le sont. Nous ne pouvons pas prévoir comment les choses vont se passer mais au final, il y a quelque chose qui nous unit, même si nous ne savons pas ce que c'est. À un moment donné, cela ressort. J'ai eu cette expérience avec énormément de gens. Nous avons quelque chose en commun, mais nous ne pouvons pas le définir. Pour nous, cela pourrait être notre amour pour l'Aikido.
Mais avec des gens comme Miyamoto Sensei et Yoko, je pense que c'est plutôt une connexion de cœur. De mon côté, j'aime l'homme. J'aime ce que Yoko représente, en particulier dans un environnement japonais. Ça doit être difficile pour elle. Les choses sont difficiles pour les femmes en Europe aussi, mais ici, c'est encore plus difficile. Elle est quelqu'un qui a trouvé sa place et les gens donnent ici cet endroit parce que c'est la sienne. Miyamoto Sensei est très humble, et très engagé dans l'Aikido. Je ne veux pas prendre trop de temps, mais je pense que ce qui nous unit encore plus chez certains Shihan est notre fidélité à la maison Ueshiba. Je pense que si Ueshiba Kisshomaru était toujours avec nous aujourd'hui, il serait heureux. Il serait heureux de voir que les jeunes qu'il connaissait à la fin de leur adolescence font toujours des choses ensemble à 60 ans, 67 ans pour moi, avec respect, joie et, j'espère, qualité.
Christian Tissier Shihan (uke : Guillaume Erard)
Okamoto Yoko : J'ai commencé en 1978, c'était environ trois ans après l'arrivée de Miyamoto Sensei. Christian était déjà parti au moment où j'ai commencé, mais quand je suis partie en France pour apprendre la langue, je suis allée à son dojo pour pratiquer. Pour revenir à la question de Guillaume sur ce qui nous relie tous les trois, bien sûr, c'est comme l'a dit Christian, notre passion pour l'Aikido, mais il y a plus. Lorsque j'ai commencé, Miyamoto Sensei était un uchi deshi. Miyamoto Sensei, Yokota Sensei et Osawa Sensei étaient tous des uchi deshi. Ils étaient considérés comme les trois premiers uchi deshi et nous n'osions jamais les approcher. [rires] Ce sont eux qui m'ont tout appris. Et quand je suis allée en France, Christian m'a appris tout ce qu'il avait appris au Hombu Dojo. Nous, les trois générations, y compris moi, Christian et Miyamoto Sensei, assistions aux cours de tous les professeurs, et bien sûr ceux du Doshu, et c'était complètement différent chaque jour. Nous avons tous appris l’Aikido en apprenant de tous les différents enseignants et je pense que c’est ce qui nous relie. Bien sûr nous avions tous nos professeurs préférés, en fonction des affinités humaines, mais nous étions tous sur ce même bateau appelé le Hombu. Je pense que l'apprentissage de chaque enseignant était une force certaine.
Guillaume Erard : Vos parcours sont très long et vos expériences diverses. Malgré vos différences, vous arrivez à vous retrouver lors d'événements comme celui-ci, alors que beaucoup de gens se séparent avec le temps. Comment entretient-on une relation à long terme comme vous le faites ?
Miyamoto Tsuruzo : Bien, dans les années 70, quand l'Aikido n'était pas aussi développé au monde qu'aujourd'hui, il y avait seulement une ou deux personnes par an qui partaient du Hombu à l'étranger. Dans les années 90, cependant, nous avons commencé à recevoir des demandes pour envoyer des instructeurs. Et je pense que j'ai commencé à venir en France au cours des 15 dernières années environ. J'ai commencé dans la ville de Lyon. Quand je suis arrivé pour la première fois, Tissier Sensei est venu à Lyon et nous avons mangé ensemble. Et à partir de ce moment-là, j'y suis retourné après. Quand j'étais au Hombu, j'étais avant tout l’élève de Kisshomaru Sensei, et je suis resté là-bas pendant qu'il faisait la promotion de l'Aikido partout dans le monde. Je pense que c'était il y a 15 ans que je suis arrivé en France et que j'ai retrouvé Tissier Sensei. Okamoto Sensei est également allée aux États-Unis à un moment donné pour promouvoir l’Aikido, avant de retourner au Japon où elle a fondé son dojo à Kyoto. Il y avait des Français parmi nous, et j'ai eu l'honneur d'être approché par eux, et cela a conduit à cette amitié. Le Hombu Dojo a évidemment son propre protocole et je ne pouvais pas les contacter moi-même. Nous parlons parfois du bon vieux temps, en particulier de notre pratique. Je ne vais pas dire de noms mais nous avons également été attirés par les même Sensei. C'est comme ça que nous avons formé cette relation unique et j'en suis heureux.
Christian Tissier : Ce qui est important c'est que malgré des pratiques différentes, nos bases et nos principes sont les mêmes. C’est la façon dont nous les exprimons et les enseignons qui est différente. Ce qui est intéressant, c'est de voir comment nos élèves réagissent. Je regarde comment mes propres élèves réagissent. Quand Miyamoto Sensei est à Lyon, ou maintenant qu’il se rapproche de chez moi à Puget quand il a un peu de temps, mes élèves vont y assister. Les jeunes, ceux qui font beaucoup d'Aikido, montent tous dans une voiture et y vont. Ils ne sont pas concernés par nos différences, pour eux, c'est de l'Aikido. Ce qui est important, c'est les bases que je leur ai données. Je reviens souvent à l'essentiel, y compris pendant ce stage. Hier, j'ai essayé de faire de nouvelles choses, même pour moi, alors qu'aujourd'hui, j'ai montré des bases, avec une évolution. Si les bases sont solides, on peut lire l'Aikido des autres. Nous avons les clés pour le comprendre. De cette façon, nous pouvons voir les aspects les plus subtils de la personne. Nous ne le voyons pas comme « un autre style ». C'est la même chose mais les interprétations peuvent être différentes.
Pour Yoko, c'est un peu différent parce que nous sommes en contact permanent depuis longtemps. Chaque fois qu'elle enseigne en Ecosse ou en Allemagne, elle vient à Paris si elle a le temps. On se voit un jour ou deux, les liens qui nous unissent sont très forts. Je connais bien sa famille, ses enfants, donc c'est à un niveau différent.
Cependant, ce qui me plait c'est que quand Miyamoto Sensei se rend en Argentine, mes élèves argentins y vont parce que c'est important pour eux. Même chose quand Yoko va au Brésil ou en Argentine. Pour les gens, après un point, cela ne fait aucune différence. Nous sommes heureux de voir tout le monde, nous ne sommes pas obligés mais nous y allons si nous le voulons, nous appartenons tous au même groupe. Les gens suivent ce groupe et je pense que c'est génial.
Okamoto Yoko : Bien sûr, je vois Miyamoto Sensei ou Christian de temps en temps si j'en ai l'occasion, mais évidemment je ne les vois pas tous les jours. Mais quand je pratique, ce qui arrive tous les jours, je vois toujours quelque chose qui me fait penser à eux, comme : « Oh, j'ai vu Christian faire ça, j'ai vu Miyamoto Sensei faire ça... », « il le faisait aussi au Hombu, tout comme Yasuno Sensei et Yamaguchi Sensei », etc. Je vois ces personnalités sortir, différentes nuances d'Aikido apparaissent tout le temps. Quand j'y pense, je peux peut-être voir Miyamoto Sensei seulement tous les deux mois, Christian une ou deux fois par an, mais ils sont toujours dans ma tête, tous les jours. Donc ils sont très proches de moi en ce sens. C'est la première chose, même si nous sommes physiquement très éloignés, je peux toujours sentir leur présence. De plus, comme Christian vient de le dire, je suis heureuse que mes élèves aillent aux cours de Miyamoto Sensei ou de Christian. Je veux juste qu'ils obtiennent le meilleur enseignement possible, y compris en allant au Hombu. Christian a mentionné cela, je crois que notre rôle est de leur montrer une variété d'Aikido et leur enseigner les compétences de base pour qu'ils puissent s'adapter à ces différents styles. Désolée je suppose que c'était hors sujet, mais de toute façon, c'est cela.
Jordy Delage : En fait, cela nous mène à la question suivante. Okamoto Yoko : Oh la prochaine question, vraiment ? [rires]
Miyamoto Tsuruzo : Quand je vais en France, à Lyon, je peux voir les élèves de Tissier Sensei. Ils prennent l'ukemi pour moi et c'est très bien. De plus, je vois des élèves de Yoko Sensei au Hombu et ils ont aussi un très bon ukemi. Cela m'assure qu'ils reçoivent une très bonne instruction. Je peux le dire par leur ukemi sans voir leur technique.
Christian Tissier : Il y a deux façons de comprendre ce que veut dire « bon ukemi ». Est-ce quelqu'un qui sait prendre des chutes plaquées ? Ou est-ce quelqu'un qui comprend la connexion pendant le mouvement ? Il est important de le souligner car ceux qui lisent l’interview peuvent ne pas comprendre. Nos élèves qui font du « bon ukemi » ne sont pas des acrobates. Nous voulons qu'ils soient présents, fluides... qu'ils soient compressés quand ils doivent... En même temps, cette connexion doit être ressentie. J'espère que les gens qui lisent cette interview comprennent que ce que nous entendons par « bon ukemi » ne consiste pas seulement à faire des chutes, mais comment établir une relation avec la personne qui fait la technique...
Guillaume Erard : Et développer une sorte de perception ? Christian Tissier : Absolument oui.
Shuhari
Le terme shuhari (守破離) décrit les trois étapes dans le processus d'apprentissage à la japonaise. Littéralement, obéir (守), digresser (破), et se séparer (離). Il s'agit donc de suivre les règles, pour pouvoir comprendre les règles, et enfin pouvoir transcender les règles, tout en respectant toujours les fondamentaux.Guillaume Erard : Vous êtes tous les élèves de Ueshiba Kisshomaru et des professeurs de l’Aikikai mais avez tous les trois des Aikido différents, et ils sont différents de ceux de vos professeurs, doit on y voir des émanations de ce Shuhari ? Quel sens donnez-vous à ce Shuhari et est-ce important ?
Miyamoto Tsuruzo : Eh bien, ce Shuhari, c'est assez compliqué. L'ukemi est un élément crucial de la pratique. C'est le fondement de la technique et cela vous permet d'apprendre à utiliser votre corps. Ces deux Sensei [Note : il montre Tissier et Okamoto Sensei] font un excellent travail en leur enseignant cet aspect important. Les enseignants du Hombu Dojo comme moi ne peuvent pas avoir leurs propres élèves. Ils sont tous des élèves du Doshu Ueshiba.
Miyamoto Tsuruzo Shihan (uke : Guillaume Erard)
Christian Tissier : Bien sûr, il y a le Shuhari mais l'enseignant qui veut instruire les élèves doit naviguer entre ces trois états. Il peut avoir atteint le « Ri », la déstructuration car il a intériorisé les principes, mais il doit constamment revenir pour montrer le kata aux étudiants. Sinon, il ne pourrait pas aller plus loin, il doit donc retourner sans cesse au « Shu » de la construction du kata. Nous n'avons pas le choix, même parfois, nous pourrions faire autre chose. C'est un peu un piège pour l'enseignant. Parfois, je n’enseigne pas l’Aikido que je voudrais faire moi-même. J'enseigne l'Aikido dont vous avez besoin. Nous naviguons donc entre ces états. Parfois, nous ne savons plus où nous sommes. Parfois, nous sommes un peu confus. Je pense qu'il est très important de comprendre ces trois états. Je les définis comme le kata, la forme, puis, le pétrissage du corps, puis revenir au kata, et quand tout cela est fait, les hanches sont faites, la position des mains est correcte, le corps peut s'exprimer, mais nous avons besoin de limites, c'est pourquoi nous avons besoin de modèles.
Cela m'est arrivé dans ma vie en tant qu'Aikidoka. Je voyais souvent Yamaguchi Sensei mais il m’écrivait aussi pour le Nouvel An. Un jour, il a écrit quelque chose comme ceci : « Bonne année. Attention, en faisant trop d'épée, tu risques de perdre les principes. » Je ne pensais pas que je faisais tant de sabre que ça et je me suis demandé pourquoi il disait ça. Alors j'ai pensé que peut-être, mon travail au sabre était trop, ou pas assez rigide, ou peut-être trop basé sur la forme ou la vitesse. J'ai donc commencé à me poser des questions et j'ai décidé de laisser le sabre comme une chose secondaire. Je ne suis pas un professeur de kenjutsu, je suis un professeur d'Aikido. En faisant trop de kata, peut-être craignait-il que mon Aikido devienne trop rigide, je ne sais pas. Donc ce qui est intéressant, c'est que nous pouvons être 6e, 7e, voire 8e Dan, mais quelqu'un qui était notre modèle peut encore nous guider. « Ça va tu peux aller là un peu... mais arrête, reviens un peu ». Nous avons besoin de cette orientation. Nous aussi donnons des conseils aux autres, c'est notre responsabilité. C'est aussi notre légitimité à dire ces choses, nous avons la légitimité de dire « c'est bon, mais jusqu'à aujourd'hui seulement ». « Tu le fais bien jusqu'à aujourd'hui, mais à partir de demain, ça doit être autre chose. « Tu vas trop dans cette direction, fais attention ». C'est pourquoi le terme « Shihan » a beaucoup de sens pour moi parce que vous êtes un modèle pour les autres, mais aussi pour vous-même. Un enseignant navigue entre toutes ces choses. Je ne sais pas si vous voyez les choses de cette façon mais moi je le vois.
Okamoto Yoko : Oui c'est vrai. À la question de savoir pourquoi tout le monde est différent même si tous reçoivent la même instruction au Hombu, c'est parce que tout le monde a sa propre personnalité. Dans le cadre des cours de thé japonais, nous apprenons à positionner nos mains et cette position ne doit pas être différente de celle du professeur, même légèrement. Mais peu importe à quel point vous essayez de les façonner, les élèves montreront toujours leur personnalité. C'est la même chose avec l'Aikido, peu importe depuis combien de temps nous participons au même cours, on voit le caractère et les expériences de chaque personne. Donc, pour moi, nous essayons tous de réaliser la même chose, mais de différentes manières.
Je ne suis pas Miyamoto Sensei, Christian, Yamaguchi Sensei, Yasuno Sensei ou quelqu'un d'autre, donc il m'est impossible de faire la même chose qu'eux. Mais comment faire la même chose avec le corps que j'ai ? C'est la question à laquelle je dois réfléchir et que je dois résoudre. Nous sommes tous différents, d'origine, de sexe, de structure corporelle... C'est ma réponse à la première question. Et aussi, nous avons parlé de l'ukemi plus tôt. Christian a dit que nous devions expliquer d’une manière plus facile à comprendre pour le public. Qu'est-ce un bon uke ? Un bon uke ne consiste pas à prendre un ukemi. Je pense que si vous vous attendez à prendre un ukemi, ce ne sera pas un bon ukemi. Il y a un uke et un tori, et plutôt que de prendre un ukemi, vous devez être capable de ressentir instantanément ce qui se passe dans la dynamique du tori à travers la technique. Je pense que c'est ce que c'est la clé d'un bon ukemi. Tout le monde peut prendre l'ukemi, surtout si cela fait des années qu’ils font de l’Aikido, mais pour que les uke et les tori apprennent, il faut aller au-delà.
Christian Tissier : C'est vrai.
Miyamoto Tsuruzo: C'est tellement vrai. En tant qu'instructeur, pouvez-vous exprimer ce que vous voulez, que ce soit vos expériences, votre âge, votre force physique et aussi comment vous interprétez l'Aikido, mais tout cela dépend d'un bon ukemi. Nous avons vraiment besoin de l'aide d'uke pour exprimer ce que nous voulons exprimer.
Guillaume Erard : Nous voyons dans vos réponses que la terminologie est très importante. Est-il nécessaire de parler japonais ou de connaître la culture Japonaise pour devenir compétent en Aikido ?
Miyamoto Tsuruzo: Peu importe la technique, mais quand il y a un élément culturel, il est préférable de parler la langue. Et d'après ce que j'ai entendu de mes aînés qui ont toujours été au Hombu Dojo, les professeurs n'ont jamais expliqué les techniques du tout. Vous deviez apprendre en regardant, en prenant l'ukemi. Votre capacité à regarder et à copier sans mots est importante quel que soit votre rôle. Donc la langue elle-même n’est pas si importante, mais apprendre la langue est essentiel pour apprendre la culture de ce pays. Vous pourrez peut-être apprendre les techniques, mais ne pourrez pas aller au-delà.
Christian Tissier : Il est toujours intéressant d’apporter une autre culture à sa propre culture. Je pense que les gens qui font de l'Aikido et qui ne sont pas japonais s'intéressent à la culture japonaise. Ils lisent des livres et montrent un intérêt. Je suis parfois surpris par le niveau de connaissance des gens, même s'ils ne parlent pas japonais. Quand je regarde ici, la plupart des gens font des efforts pour parler un peu le japonais. « Bonjour », « au revoir », et ainsi de suite. C'est compliqué quand on enseigne parce qu'il y a beaucoup d'éléments. On peut évidemment faire comme Tamura Sensei quand il disait « vous devez voler mes techniques ». Il voulait dire que vous devez faire attention. C'est important et on peut enseigner sans parler, mais il est important de comprendre que lorsque vous traitez avec des personnes du Japon, de l’Italie ou de la Suède, ce n'est pas la même chose. En Suède, ils ne réagissent pas de la même manière qu'en Afrique du Nord en Algérie. Ils ont aussi leur propre culture et en tant que professeur, vous pouvez dire : « Je suis le patron, vous devez vous adapter à ma culture », ou vous pouvez vous adapter à ce dont chacun a besoin. Je n'ai pas le même vocabulaire en Serbie par exemple. En Serbie, l’Aikido est assez nouveau, les gens sont forts, donc je n'utilise pas le même vocabulaire qu'à Stockholm où l'Aikido est plus doux et plus fluide. Les mots ne sont pas les mêmes et parfois, un mot peut débloquer une situation. Pour revenir à la culture, les gens s'intéressent beaucoup à la culture, car l'Aikido s'adresse à des personnes déjà bien éduquées.
Okamoto Yoko : Connaitre la langue ne signifie pas que vous connaissez l’Aikido, donc la langue n’est pas tout. Je pense aussi que cela aide dans une certaine mesure, comme l'a dit Christian. Par exemple, nous n'avons utilisé aucune traduction pour ce stage, et nous ne l'avons pas fait pour une raison simple. Nous voulions le faire au départ, mais il y avait un problème sonore, et l'insertion de traductions affectait aussi le rythme. La façon dont le Sensei se sentirait serait différente, et le résultat serait différent. Nous avons donc finalement décidé de ne pas le faire. Et si vous vouliez vraiment écouter Miyamoto Sensei et Christian, vous deviez vraiment aller devant eux. Ou si vous avez manqué un point important, vous pouvez toujours leur demander plus tard ce qu’ils ont dit. Nous pouvons travailler autour de cela.
Okamoto Yoko Shihan (uke : Kumazawa Miyuki)
Et comme l'a dit Miyamoto Sensei, les Sensei du Hombu Dojo n'expliquaient jamais rien. Ils disaient : « Arrêtez, ce n'est pas bien », mais n'expliquaient jamais pourquoi. Tout ce qu'ils disaient était « Ce n'est pas bon ». [rires] La question était donc : « Faut-il apprendre la langue ? »
Jordy Delage : Et la culture aussi.
Okamoto Yoko : Eh bien, cela aide un peu. L'exemple que j'aime utiliser est la façon dont Yamaguchi Sensei disait toujours : « Monte dessus ». Et que « Monter dessus » (乗る, noru) peut être très difficile à traduire en français ou en anglais. Si vous savez que noru en japonais signifie surfer sur de la vague, laissez-le faire ce qu'il veut, cela pourrait avoir plus de sens pour vous. Mais encore une fois, être capable de visualiser aide, mais cela ne signifie pas que vous pouvez réellement le faire. C'est mon opinion au sujet du langage.
Guillaume Erard : Merci beaucoup.