J'ai récemment voyagé depuis Tokyo vers l'ancienne capitale impériale de Kyoto afin de tourner un documentaire sur Okamoto Yoko Shihan à son dojo, l'Aïkido de Kyoto. À cause de l'emploi du temps serré de Okamoto Shihan, j'ai seulement pu bénéficier d'une matinée pour tout faire, mais au final, le documentaire a été très bien reçu par le public. En raison du fait que Okamoto Shihan et moi avions décidé de garder le film court et le thème centré sur le dojo, nous avons dû laisser de côté une grande partie des sujets que nous avions abordé ce jour-là. Nous nous sommes donc remis au travail pendant l'été afin de peaufiner le tout et je suis heureux d'être à présent en mesure de présenter la transcription intégrale de notre conversation. Okamoto Sensei y évoque les aspects fondamentaux de sa conception de l'Aïkido ainsi que la façon dont elle estime qu'il devrait être transmis. J'espère que cette longue interview aidera les pratiquants curieux à comprendre son travail et peut-être, de les convaincre de se rendre au Kansai afin d'étudier à l'Aïkido de Kyoto.
Guillaume Erard : Quand et pourquoi avez-vous commencé l'Aïkido ?
Okamoto Yoko : On me pose souvent cette question. J'ai commencé à pratiquer l'Aïkido en avril 1978. Je m'intéressais au Budo et je voulais pratiquer quelque chose du genre Kendo ou Judo, mais un jour, par hasard, un de mes amis qui faisait de l'Aïkido m'a invitée à assister à un cours. Honnêtement, c'est la seule raison pour laquelle je suis arrivée à l'Aïkido.
Guillaume Erard : Quel âge aviez-vous à l'époque ?
Okamoto Yoko : J'avais 22 ans, j'étais étudiante dans un institut de formation professionnelle.
Guillaume Erard : Vous avez passé de longues périodes à l'étranger, quand et pourquoi avez-vous quitté le Japon ?
Okamoto Yoko : J'ai commencé à pratiquer à l'Aïkikaï et je me suis entraînée là pendant environ un an et demi. Après ça, j'ai déménagé en France en 1979 dans le but d'apprendre le français et afin de valider mon diplôme. Je suis restée là-bas jusqu'à 1981.
Guillaume Erard : Vous avez continué à pratiquer l'Aïkido pendant que vous étiez en France, a-t-il été difficile de trouver un Dojo ?
Okamoto Yoko : Je savais que je voulais continuer à pratiquer en France et j'ai donc demandé à mes amis Aïkidoka du Hombu Dojo de m'indiquer où aller pratiquer à Paris. Tout le monde m'a recommandé d'aller m'entraîner avec Christian Tissier Sensei. Je n'ai donc pas eu à chercher un Dojo quand je suis arrivée à Paris.

Okamoto Yoko en France à l'âge de 23 ans
Guillaume Erard : Avez-vous étudié avec Tamura Sensei pendant que vous étiez en France ?
Okamoto Yoko : Pas à cette époque. Je ne m'entraînais qu'avec Tissier Sensei quand je vivais en France. Évidemment, j'ai ensuite suivi plusieurs cours de Tamura Sensei lors de ses visites au Japon ou aux États-Unis.
Guillaume Erard : Avez-vous trouvé des différences dans l'Aïkido pratiqué en France par rapport à ce que vous aviez l'habitude de faire au Hombu Dojo ?
Okamoto Yoko : Je n'ai pas trouvé que c'était très différent. À l'époque, j'étais encore débutante, ceinture blanche 4e ou 3e Kyu je pense. Pour un débutant, la période entre le 3e et le 1er Kyu est la plus importante. On m'a donné l'opportunité de passer mon examen de Shodan en France, mais Christian Tissier Sensei m'a dit que compte tenu du fait que je m'apprêtais à rentrer au Japon, je devais plutôt passer l'examen là-bas.

Okamoto Yoko avec Christian Tissier
Guillaume Erard : Pourquoi êtes-vous retournée au Japon ?
Okamoto Yoko : À l'époque, Tissier Sensei encourageait beaucoup ses élèves à aller étudier l'Aïkido au Japon et beaucoup de mes amis français sont donc partis au Japon pour s'entraîner. Du coup, j'ai moi aussi décidé de me consacrer à l'Aïkido et je suis « partie au Japon » avec plusieurs d'entre eux, sans vraiment penser que j'étais « de retour au Japon ». C'est vraiment le moment où j'ai décidé de consacrer ma vie à l'Aïkido. J'étais sensée rester une année supplémentaire en France afin de valider mon programme de fac, mais je suis en fait retournée à Tokyo en septembre 1981 et j'ai repris mon apprentissage au Hombu Dojo.
Guillaume Erard : Comment s'est passé le retour au Hombu Dojo après ce temps passé avec Tissier Sensei, avez-vous pu vous réinsérer facilement ?
Okamoto Yoko : Comme il me l'avait conseillé, j'ai passé mon examen de Shodan au Hombu Dojo. Il n'y avait pas beaucoup de différence entre ce que j'avais fait en France et ce qui se faisait au Hombu Dojo, j'ai juste fait de mon mieux pour suivre les instructions des Sensei.
Guillaume Erard : Vous avez ensuite émigré aux États-Unis, quelle était la raison ?
Okamoto Yoko : Mon mari est Américain, nous nous sommes rencontrés au Hombu Dojo. Nous nous sommes mariés et avons eu des enfants au Japon, mais à un moment donné, il a senti qu'il voulait retourner en Amérique et nous avons décidé de déménager l'ensemble de la famille à Portland, Orégon. C'était en 1989.

Okamoto Yoko à Portland
Guillaume Erard : Quelles étaient vos activités à Portland ? Comment en êtes-vous arrivée à enseigner ?
Okamoto Yoko : Lorsque nous avons déménagé aux États-Unis, il y avait déjà un groupe d'Aïkido en activité à Portland, mais il était relativement petit et ce qu'ils faisaient était tout à fait différent par rapport à ce que nous voulions faire. Nous étions tous deux Sandan ou Yondan à l'époque et nous avons réalisé que si nous voulions amener les gens à pratiquer avec nous de la manière dont nous souhaitions, nous allions devoir les former par nous-mêmes. Nous avons donc décidé de lancer notre propre dojo. Je n'avais jamais pensé à devenir une professeure d'Aïkido et au moment où nous sommes arrivés en Amérique, je pensais que je serais juste femme au foyer.
Guillaume Erard : Quand l'Aïkikaï de Portland a-t-il officiellement été créé ?
Okamoto Yoko : Nous avons commencé le club en 1991 et l'Aïkikaï de Portland a été créé en 1992. Au début, j'ai enseigné à temps partiel et travaillé en tant qu'auteure, mais après quelques années, j'ai commencé à gérer le Dojo à plein temps.
Guillaume Erard : Le club était-il sous l'égide d'une organisation ou d'un Sensei en particulier ?
Okamoto Yoko : Le premier groupe avec qui nous avions pratiqué à Portland était affilié à l'United States Aïkido Federation (USAF) dirigée par Yamada Yoshimitsu Sensei, et nous sommes restés à l'USAF lorsque nous avons créé notre dojo. Yamada Sensei était à New York, mais il était très généreux et nous a accueillis dans son organisation en tant que nouveaux venus aux États-Unis. Il y avait cependant d'autres Shihan japonais qui vivaient comme nous sur la côte ouest, dont Shibata Sensei et Chiba Sensei et par conséquent, nous avons également appris beaucoup d'eux, ainsi que d'autres Sensei du Hombu Dojo en visite.

Okamoto Yoko à Portland (uke: Christopher Mulligan)
Guillaume Erard : Parlons un peu de Christopher Mulligan, votre mari. Quel est son parcours en Aïkido ?
Okamoto Yoko : Mon mari a commencé l'Aïkido à Syracuse, New York, et il a ensuite étudié avec Frank Doran Sensei à Stanford, en Californie. Après cela, il est venu au Japon en 1978, et a étudié pendant 11 ans au Hombu Dojo.
Guillaume Erard : Qu'est-ce qui vous a ramené au Japon ?
Okamoto Yoko : J'avais le mal du pays et je voulais rentrer à la maison. Nous avions l'intention de retourner au Japon tôt ou tard de toute façon.
Guillaume Erard : Quand avez-vous commencé l'Aïkido de Kyoto ?
Okamoto Yoko : J'ai commencé l'Aïkido de Kyoto il y a environ 10 ans, cette année marque le 11e anniversaire. J'enseigne au Nishijin Dojo, là ou nous nous trouvons actuellement, depuis 6 ans.

Guillaume Erard : En tant que femme, avez-vous dû faire face à des difficultés particulières dans votre carrière d'Aïkidoka ou lors de la création de votre propre Dojo ? l'Aïkido est un art très juste et égalitaire, et je pense en fait qu'il y a plus d'avantages à être une femme que de difficultés
Okamoto Yoko : Je n'ai pas vraiment rencontré de difficultés particulières. Toutefois, avant de parler de l'Aïkido, je dois dire que j'ai dû faire face à certains obstacles en raison du fait que je suis japonaise, et que je suis une femme. Plutôt que parler de difficultés, je dirais que c'était plutôt des préjugés sociaux. Donc, dans l'Aïkido lui-même, je n'ai pas eu de problème particulier. Je dirais que l'Aïkido est un art très juste et égalitaire, et je pense en fait qu'il y a plus d'avantages à être une femme que de difficultés. Un exemple de cela est la différence de force physique pure. C'est l'un des vrais problèmes auquel on a à faire face et qui provoque un sentiment de « peur ». Heureusement, les femmes doivent faire face à cet obstacle très tôt dans leur pratique de l'Aïkido, et par conséquent, elles doivent étudier et pratiquer d'une manière qui puisse les aider à surmonter cette peur. La réalisation de nos limites et de ce que nous ne pouvons pas faire nous aide à découvrir ce que nous pouvons faire et cela nous permet de développer nos capacités. Bien sûr, le travail doit être effectué dans les conditions du Tanren-keiko [NDR : l'effort quotidien correspondant à forger et à tempérer le corps]. En outre, la force physique n'est pas un simple mur, mais elle peut conduire à une illusion profonde que je pense.
Okamoto Sensei au 53e All Japan Aikido Demonstration
Guillaume Erard : Les techniques d'Aïkido sont-elles différentes pour les hommes et les femmes ?
Okamoto Yoko : Dans mon enseignement, les techniques sont fondamentalement les mêmes. Cela étant dit, il y a quelques différences dues au fait que certaines personnes sont grandes, petites, grosses, maigres, qu'il y a des enfants, des adultes, etc. C'est pourquoi je pense que la forme n'est pas quelque chose qui devrait être utilisé pour fixer les choses, mais qu'il devrait y avoir un certain niveau de flexibilité. Pour être plus clair, il y a certains éléments d'une technique qui doivent être changés, mais d'autres qui doivent rester constants. Si le partenaire change quelque chose, alors nous devons changer en conséquence. Les principes restent les mêmes, mais la forme devrait être adaptable.

Guillaume Erard : Vous avez beaucoup d'élèves étrangers dans votre Dojo, et les étrangers ont tendance à s'appuyer sur des moyens plus explicites dans l'enseignement, tandis qu'au Japon, la compréhension vient de la pratique. Faites-vous une distinction ou un effort particulier, d'une façon ou d'une l'autre ?
Okamoto Yoko : Fondamentalement, j'enseigne à tout le monde de la même façon. Certains jours, je donne aux étudiants des explications, si nécessaire, pour faciliter l'apprentissage, mais d'autres jours, on continue juste à pratiquer pour vider notre esprit.
Guillaume Erard : Quelle synthèse faites-vous de toutes les formes d'Aïkido que vous avez étudiées avec de nombreux enseignants au Japon, en France et aux États-Unis ? On apprend la forme et les bases de l'Aïkido, mais après un certain temps, on doit laisser la forme derrière. Okamoto Yoko : C'est très difficile ... En gros, j'ai digéré tout ce que j'avais appris de tous ces professeurs différents et j'ai décidé de transmettre / transformer le produit de ce travail à d'autres personnes.
Guillaume Erard : Êtes-vous consciente d'influences spécifiques dans les aspects internes ou externes de votre technique ?
Okamoto Yoko : Je ne sais pas, cela se produit naturellement. Certaines personnes me disent qu'elles voient des similitudes dans mon Waza avec celui de tel ou tel enseignant, mais de mon côté, ce n'est pas quelque chose de conscient. On apprend la forme et les bases de l'Aïkido, mais après un certain temps, on doit laisser la forme derrière. Mes principales influences sont Yamaguchi Sensei, Tissier Sensei, et Shibata Sensei. Parfois, quand je ne m'y retrouve plus dans ce que je fais, ou quand j'ai des problèmes, je reviens à ce qu'ils faisaient. Toutefois, dans mon Aïkido, il y a aussi des influences de nombreux autres Sensei. J'ai étudié avec la plupart des Shihan du Hombu Dojo. Par exemple, j'ai appris l'Ukemi de Ueshiba Kisshomaru Doshu. Je n'ai pas créé mon propre style, il est apparu naturellement basé sur ce que j'ai appris de ces enseignants.
Démonstration de Ueshiba Kisshomaru à Paris (uke: Ueshiba Moriteru, Christian Tissier et Osawa Hayato)
Guillaume Erard : Prenons la question dans l'autre sens, voyez-vous des parties de vous-même dans la technique de vos élèves ?
Okamoto Yoko : Cela arrive parfois, mais je ne veux pas que mes élèves copient bêtement ce que je fais. Ma façon d'exprimer cet art, disons ma « forme », si nous devons utiliser ce mot, vient de mes expériences passées, de ma sensibilité et de mes limites. Parfois, je vois de grands gars qui essaient d'imiter ce que je fais, mais c'est vide de sens. Alors je leur dis de ne pas le faire. C'est bizarre si un grand gars essaie de se déplacer comme une petite femme ou qu'une petite femme japonaise tente d'imiter un grand homme. Je ne cherche pas à copier la forme d'un Sensei particulier, mais j'essaie d'apprendre à intérioriser pour moi. Je me concentre sur la fonction plutôt que la forme.
Guillaume Erard : Vous avez réussi à faire une synthèse cohérente de toutes ces influences. D'un autre côté, on voit parfois des générations entières de clones de certains professeurs. Comment un élève peut-il éviter de simplement copier la forme d'un Sensei, comment peut-il trouver ce que vous appelez la « fonction » ? Je pense qu'il est de notre responsabilité de transmettre l'essence de l'Aïkido
Okamoto Yoko : Avant qu'ils atteignent Sandan ou Yondan, les élèves se doivent de comprendre le propos de l'Aïkido. Devenir comme son professeur ne doit pas être l'objectif. On doit d'abord accepter l'art. Au Shodan / Nidan, le simple fait de s'entraîner et de s'amuser peut suffire, mais il faut vraiment commencer à penser à ce genre de choses par la suite. Si on est attaché à une forme particulière, on n'est jamais libre. La structure du Waza crée la forme. Si on veut obtenir l'essence de cette forme, on doit travailler à se libérer de la forme. En fonction du type de keiko que l'on fait, notre perception va s'améliorer et cela va à son tour changer la façon dont on s'entraîne. Certains ne voient que la forme parce qu'ils n'ont pas été correctement éduqués et donc tout ce qu'ils savent, c'est copier. Bien sûr, parfois, l'apprentissage implique dans une certaine mesure de copier, mais ce qui est vraiment important est de développer la capacité de voir au-delà de la forme extérieure. L'apprentissage vise à permettre de percevoir ce qui n'est pas visible, et le rôle de l'instructeur est de guider l'élève dans ce processus. L'Aïkido est un Budo qui permet de cultiver ce genre de perspicacité. Je pense qu'il est de notre responsabilité de transmettre l'essence de l'Aïkido.

Guillaume Erard : L'enseignement est une responsabilité, pas un but...
Okamoto Yoko : C'est exact. Dans mon cas, je n'ai jamais pensé à devenir professeur d'Aïkido, j'y ai été un peu forcée par les circonstances et je l'ai accepté.
Guillaume Erard : Encouragez-vous vos propres élèves à aller se former avec d'autres enseignants ? L'Aïkido est un Budo et le Budo est une ligne verticale, un Sutra Okamoto Yoko : Oui, je le fais. Mais l'important est d'abord de construire les bases à votre propre dojo et seulement ensuite, aller voir ailleurs, sinon on va se perdre. Mon professeur me disait souvent « Ne prenez pas de ci de là les éléments de votre Aïkido. Ne dites pas : j'aime la forme d'ici aujourd'hui, mais demain je prendrai un peu de cette forme là-bas... » L'Aïkido est un Budo et le Budo est une ligne verticale, un Sutra. On doit choisir un Sensei qui est issu d'une bonne lignée. Le premier professeur est le plus important, et on doit choisir judicieusement. Heureusement, il y a beaucoup de bons enseignants.
Guillaume Erard : Au milieu de toutes les différentes approches de l'Aïkido, considérez-vous qu'il existe plusieurs façons d'atteindre le sommet de la montagne ou qu'il existe différentes montagnes ?
Okamoto Yoko : Cela dépend de la façon dont on voit les choses. En supposant que nous sommes tous sur le même chemin, celui tracé par O Sensei, nous allons tous de l'avant vers le même sommet, mais avec des approches différentes. Quand j'étais à l'Aïkikaï, il y avait Yamaguchi Sensei, Osawa Kisaburo Sensei, Okumura Sensei, Tada Sensei, Arikawa Sensei, Endo Sensei, Yasuno Sensei, Shibata Sensei, Seki Sensei, Masuda Sensei, Watanabe Sensei, Ichihashi Sensei et bien sûr Ueshiba Kisshomaru Doshu. Chaque cours était présenté de façon tout à fait différente. Aujourd'hui, je vais aux cours de Yasuno Sensei, Miyamoto Sensei, Endo Sensei, Osawa Hayato Sensei, Tissier Sensei, Shibata Sensei, et beaucoup d'autres Sensei. Les cours sont là aussi très différents, mais ils sont construits sur les mêmes fondations.

Guillaume Erard : Vous parliez plus tôt du fait d'« être libre », qu'entendez-vous par là ? l'objectif ne doit pas être de plaire à son enseignant, ni de devenir comme lui
Okamoto Yoko : Cela signifie que l'on doit acquérir le Shizentai [élévation de l'être humain vers sa position naturelle]. Je continue à pratiquer l'Aïkido parce que je ne suis pas encore libre. La liberté ne signifie pas de ne faire qu'à sa tête, il s'agit de supprimer la peur dans tous les sens du terme.
Guillaume Erard : En tant qu'élèves, la majeure partie des instructions que nous recevons vient de notre professeur, mais tout ceci est noyé au milieu de sa forme, de ses habitudes, maniérismes, etc. Comment, au milieu de tout cela, pouvons-nous savoir ce qu'il veut que nous prenions ?
Okamoto Yoko : Tout d'abord, l'objectif ne doit pas être de plaire à son enseignant, ni de devenir comme lui, sinon, on ne va pas loin dans cet art. Certaines personnes font de l'Aïkido pour le sentiment d'être « spéciales », d'autres sont simplement à la recherche d'amis. Bien sûr, on se fait bon nombre d'amis en Aïkido, mais ce n'est qu'un sous-produit du Keiko.
Guillaume Erard : Puisque vous parlez de plaire à l'enseignant, il existe souvent une sorte de boucle de renforcement qui augmente la participation de Uke au-delà de la raison. Ce comportement fait que l'élève est sollicité plus souvent, et à son tour, la docilité rend l'enseignant trop confiant dans sa propre technique.
Okamoto Yoko : Ce comportement est définitivement la marque d'un mauvais professeur. Vous dites que Uke doit participer, mais je n'aime pas ce mot. En Aïkido, Uke n'aide pas à accomplir la volonté de Tori, mais il s'agit d'une coopération équitable entre les deux dans un moment. Souvent, Uke a tendance à faire son propre travail. Lorsque les deux œuvrent ensemble avec un timing parfait, il devrait y avoir du kokyu et de la beauté. On ne sait pas ce qui va se passer.

Guillaume Erard : On ne sait pas ce qui va se passer, ou on fait semblant de ne pas savoir ?
Okamoto Yoko : Je ne dirais pas « faire semblant », mais « effacer l'expérience passée de chacun » afin d'avoir un moment véritable. C'est difficile. La plupart du temps, y compris pour moi-même, c'est une illusion, ainsi donc, on essaye encore et encore jusqu'à ce qu'on atteigne ce moment véritable. On doit se rappeler du fait qu'à tout moment, on devrait être sur la brèche, même s'il y a un risque de chute.
Guillaume Erard : Dans l'Aïkido, on voit de vastes différences en termes de niveaux et de degrés de compétence, même à des grades élevés, pourquoi donc ?
Okamoto Yoko : L'Aïkido n'a pas de compétitions ou de scores. En compétition, la sanction est immédiate et on doit tout de suite analyser et accepter la raison de notre échec. Dans l'Aïkido, puisque nous n'avons pas à faire face à l'échec et en analyser les causes, on peut facilement penser que nous sommes dans le juste, que nous avons raison. Il s'agit de la partie la plus difficile de l'art et beaucoup de gens sont pris dans ce piège, mais ce n'est pas la façon dont on doit essayer de se développer. On doit se rappeler du fait qu'à tout moment, on devrait être sur la brèche, même s'il y a un risque de chute.
Guillaume Erard : En l'absence de compétition ou de confrontation, comment peut-on, en particulier en tant qu'enseignant, obtenir ce genre de remise en question que d'autres obtiennent après un échec ? Comment sait-on que ce que l'on fait est juste ?
Okamoto Yoko : Il faut juste être sage, l'Aïkido, ce n'est pas une chorégraphie.
Guillaume Erard : En karaté, jusqu'à un niveau élevé, les enseignants corrigent les positions et les techniques de façon très stricte.
Okamoto Yoko : C'est exact, parce que cela fonctionne. En Aïkido, dès le premier jour, on peut faire ce que l'on veut. J'ai des amis Judoka qui, quand ils voient certaines des chutes insensées que l'on fait en Aïkido, ne peuvent pas croire à quel point ce serait dangereux en compétition. Certaines personnes tombent juste parce qu'ils sont Uke. Ce type d'approche irréfléchie doit être corrigé par les instructeurs, mais parfois les enseignants eux-mêmes ne sont pas conscient de cela... Mais, après tout, si les gens sont tout simplement heureux après une pratique irréfléchie et si cela rend leur vie meilleure, je suppose que c'est bon aussi.
Guillaume Erard : Et les grades ? Aujourd'hui, il semble que tout le monde atteigne des rangs élevés et des titres (Shihan, etc.), quels que soient les capacités techniques ou le niveau d'engagement dans la pratique...
Okamoto Yoko : Vous voulez dire que les grades ne veulent rien dire ? Je suis d'accord ! (rires)
Guillaume Erard : Si les grades ne sont pas importants, comment dissociez-vous et répondez-vous aux divers niveaux d'engagement / talents de vos étudiants ?
Okamoto Yoko : Nous avons un programme de Kenshuseï à Aïkido Kyoto. Ce programme est pour ceux qui sont très impliqués dans l'Aïkido et qui veulent enseigner, que ce soit professionnellement ou semi-professionnel. Pour moi, les gens avec un tel niveau d'engagement doivent être instruits avec des choses spécifiques et par des moyens qui sont tout à fait différents de la formation normale. La raison est que si l'on s'entraîne juste pour son plaisir, cela n'affectera pas la vie d'autres personnes autant que si l'on est un instructeur. Par conséquent, on a besoin d'une formation spéciale.

Réunion de Kenshusei après un cours
Le programme Kenshuseï s'adresse aux personnes qui veulent partager l'Aïkido via l'enseignement. Il est très exigeant en termes d'investissement de temps et aussi difficile physiquement, donc parfois les gens abandonnent. Le cursus doit être suivi pour un minimum de trois ans, mais souvent, les gens comprennent par eux-mêmes qu'ils ne peuvent pas aller au bout de ces trois ans.
Guillaume Erard : Avez-vous des élèves qui ont fondé leurs propres dojos ?
Okamoto Yoko : Deux de mes anciens Kenshuseï ont commencé à enseigner dans leurs propres clubs.
Guillaume Erard : Avez-vous des Kenshuseï étrangers ?
Okamoto Yoko : En ce moment, j'ai cinq Kenshuseï, dont trois sont des étrangers. L'une a été envoyée par un autre professeur aux États-Unis, elle est Yondan et son apprentissage avec nous va durer un à deux ans.
Guillaume Erard : Je sais que vous faites attention à votre santé, avez-vous une routine quotidienne particulière ?
Okamoto Yoko : Oui. Pour n'importe quel athlète professionnel comme dans le baseball, le golf, le sumo, etc., la compétition ou les matchs ne représentent qu'une très petite partie d'une carrière, et c'est la routine quotidienne de l'entraînement qui occupe la plupart du temps et de l'attention. Je suis une enseignante professionnelle et je dois être sur le tatami tous les jours. Pour cette raison, je dois garder une routine stricte afin de maintenir mes capacités. En termes d'exercice, j'effectue principalement des étirements et parfois, des suburi. J'essaie de manger une nourriture saine, de prendre soin de mon corps, et d'éviter de gaspiller mon énergie.

Guillaume Erard : Est-ce que vous pratiquez des exercices en solo tels que les Tanren ou les Aiki-Taiso ?
Okamoto Yoko : Je fais parfois des exercices de Tai-sabaki, mais la plupart de nos entraînements durent une heure à une heure et demie et pendant ce temps, je pense qu'il est préférable de travailler avec un partenaire plutôt que seul. Je recommande donc à mes élèves d'effectuer eux-mêmes leur propre entraînement en solo et pendant les cours, ils doivent travailler avec des partenaires.
Guillaume Erard : Pratiquez-vous les armes à l'Aïkido de Kyoto ?
Okamoto Yoko : Nous avons deux classes d'armes par semaine. Des notions telles que savoir comment tenir un bokken ou comment faire des suburi sont essentielles pour un art corporel comme l'Aïkido. Cependant, personnellement, je ne me considère pas comme un Kenjutsu-ka, je ne cherche pas à atteindre un niveau de maîtrise en Kenjutsu, je le fais juste pour améliorer mon Aïkido à travers l'étude des concepts importants d'armes tels que le Maai ou le timing.

Guillaume Erard : Quand vous étiez au Hombu Dojo, il n'y avait pas de cours d'armes n'est-ce pas ? Au Japon, les Budo ont une image très démodée, mais si nous voulons survivre, nous devons faire appel à la nouvelle génération.
Okamoto Yoko : À l'époque où j'ai commencé, Masuda Sensei faisait parfois du Tanto-dori et je suivais aussi des cours spéciaux d'armes deux fois par semaine avec Shibata Sensei, on faisait de l'Aiki-ken et de l'Aiki-jo. Quand j'étais en Amérique, j'ai aussi étudié les armes au Birankai avec Chiba Sensei.
Guillaume Erard : Lorsque l'on visite votre Dojo, on est surpris de voir des gens de tous les âges, sexes, et nationalités. Comment arrivez-vous à faire en sorte que toutes ces personnes s'intéressent à l'Aïkido ?
Okamoto Yoko : Au Japon, les Budo ont une image très démodée, mais si nous voulons survivre, nous devons faire appel à la nouvelle génération. Les arts de la Cérémonie du Thé et du Kabuki, par exemple, essayent de faire la même chose. Nous devons réussir à tendre la main à la nouvelle génération sans perdre les aspects importants de notre art. Personnellement, je veux mettre à jour l'image du Budo, mais sans perdre l'essence. Cela doit rester un Budo, ce qui signifie que l'on doit conserver la discipline et un dévouement intense à l'apprentissage.
Guillaume Erard : De plus en plus de personnes venant de l'étranger visitent l'Aïkido de Kyoto pour des périodes allant de quelques jours à plusieurs mois, qu'est-ce que vous voulez que les visiteurs retirent d'un séjour à Kyoto ?
Okamoto Yoko : Je veux qu'ils trouvent du plaisir sur le tatami pendant qu'ils sont ici. Puis, une fois de retour chez eux, ils peuvent se demander pourquoi c'était bien. Bien sûr, je ne peux pas leur enseigner quoi que ce soit techniquement parlant en quelques jours, une semaine, ou même un mois, mais je essaye de transmettre une partie de l'essence de l'Aïkido.
Documentaire de Guillaume Erard sur Aikido Kyoto
Guillaume Erard : Vous voyagez de plus en plus souvent en Europe pour enseigner lors de stages. Qu'est-ce que vous essayez de transmettre au cours de ces séminaires ?
Okamoto Yoko : En termes d'apprentissage, je retire peut-être plus des stagiaires qu'eux retirent de moi. Mais si je pense juste à ma part, j'essaie de reproduire toutes mes expériences dans l'Aïkido pendant le ou les cours dont j'ai la responsabilité. Ce que je voudrais transmettre ? Peut-être ma vie ou ma façon de vivre.
Guillaume Erard : Quels sont vos projets futurs concernant l'Aïkido de Kyoto ?
Okamoto Yoko : Il serait merveilleux de voir l'Aïkido de Kyoto grandir avec sa communauté. Il serait bien de partager la puissance de l'Aïkido, le pouvoir d'éveiller les esprits de toutes sortes de gens sur terre.
Guillaume Erard : Okamoto Sensei, je vous remercie beaucoup pour votre temps et pour avoir répondu à ces questions.
