Osawa Hayato Shihan, 7e Dan Aikikai, est l'un des principaux instructeurs du Hombu Dojo de l'Aikikai de Tokyo. Son caractère tempéré et ses manières courtoises en font un individu au charisme naturel et à la présence apaisante, ce qui crée un contraste très intéressant tant son Aikido est véloce, exigeant et explosif. Cela fait également de lui une source constante de perfectionnement technique et de remise en question pour mon Aikido et il est l'un des professeurs dont je suis le plus assidûment les cours. Osawa Hayato est le fils du légendaire Osawa Kisaburo, le regretté Dojocho du Hombu Dojo sous Ueshiba Kisshomaru Doshu, et ses débuts en Aikido ont été aussi précoces que virtuoses. Cet entretien réalisé par David Halprin en 2004 est l'une des rares occasions d'entendre ce Shihan discret discuter de ses débuts en Aikido sous la direction de son père, ainsi que de la conception de son rôle d'enseignant professionnel de l'Aikikai.
Sensei, nous ne voulons pas de vous importuner avec trop de questions sur vos débuts en Aikido mais vu que tout le monde n'a pas la chance d'avoir eu un père qui était Dojocho du Hombu Dojo, nous ne pouvons pas totalement passer à côté de ce sujet. Pourriez-vous nous dire quand et dans quelles circonstances vous avez commencé la pratique de l'Aikido ?
J'avais huit ans. J'ai pris mon premier abonnement au Hombu Dojo alors que j'étais en deuxième année d'école primaire. À l'époque il n'y avait pas de cours enfants et j'ai donc dû pratiquer avec les adultes tout de suite. Mon père pensait que je risquais d'être un fardeau pour les adultes et l'année avant mon inscription, il m'avait fait pratiquer les techniques de base à la maison dans notre pièce de huit tatami. On répétait inlassablement des techniques comme ikkyo et shihonage. Le souvenir de ces heures passées tous les deux est encore bien présent dans ma mémoire, même si je ne suis pas sûr que l'on puisse vraiment considérer ce genre de pratique comme une formation réelle ou comme du keiko. D'ailleurs, pour être honnête, j'étais tellement jeune que j'avais tendance à penser que j'allais au Hombu Dojo pour jouer et qu'on mettait un peu d'Aikido là-dedans en supplément. Malgré cela, j'imagine qu'on peut quand même dire que c'est à cette époque que j'ai commencé.
Vous souvenez-vous d'un instructeur en particulier qui vous ait marqué ?
À cet âge, je ne comprenais pas vraiment ce que c'était d'apprendre et d'écouter les instructions des Sensei donc j'ai peu de souvenirs. Par contre, les étudiants et les jeunes sempai prenaient grand soin de moi et ils m'accordaient beaucoup d'attention, probablement à cause du fait que j'étais le fils de leur Sensei. Je me suis beaucoup amusé avec eux et c'est avec ces jeunes Sempai que j'ai mes plus beaux souvenirs, plutôt que d'avoir un instructeur en particulier qui était plus important que les autres pour moi.

Vous avez étudié avec les instructeurs qui sont devenus plus tard les Shihan nord-américain, avez-vous des souvenirs particuliers de ces individus ?
J'étais encore en cours élémentaire à cette époque et je n'ai pas de souvenirs très clairs de Yamada Yoshimitsu Sensei et Chiba Kazuo Sensei avant qu'ils quittent le Japon. Il en est de même pour Kanai Mitsunari Sensei d'ailleurs. ce sont mes élèves qui ont fait de moi un enseignant, plutôt que moi voulant être un instructeur
Quand avez-vous décidé de vous lancer dans une carrière d'instructeur d'Aikido ?
J'ai continué à pratiquer avec assiduité tout au long de mes années à l'université et je voulais pouvoir continuer à m'entraîner tous les jours, même après cela. J'ai donc dû prendre une décision quant à la meilleure façon de pouvoir atteindre cet objectif. J'avais la possibilité de prendre un travail de jour et ensuite d'essayer de trouver le temps pour pratiquer, mais cela n'aurait pas été tout à fait la même chose. L'autre option était de rejoindre le personnel enseignant du Hombu Dojo. Ma motivation première était d'être en mesure de pratiquer quotidiennement donc je ne pensais pas réellement à l'Aikido comme un objectif professionnel, ni même comme une façon de gagner ma vie. Ce n'est que récemment que j'ai compris que c'était ma profession. Initialement, je voulais juste pratiquer. Il n'y a pas eu de moment où j'ai su que ma vie serait celle d'un enseignant. C'est peu à peu que j'ai réalisé que j'étais un Aikidoka professionnel, que j'avais la responsabilité de diriger les élèves, et que l'enseignement était mon travail. Ma prise de conscience en tant d'instructeur professionnel d'Aikido s'est passée après coup. Maintenant que je suis plus âgé, je me sens plus de responsabilités en termes de faire les choses comme il faut et d'effectuer le travail comme un professionnel. D'une certaine façon, ce sont mes élèves qui ont fait de moi un enseignant, plutôt que moi voulant être un instructeur.
Au début de votre carrière d'enseignant, avant que vous ayez des cours réguliers au Hombu Dojo, votre père vous assignait-il des tâches pédagogiques en dehors du Hombu Dojo ?
On n'avait pas grand-chose à faire au début quand on rejoignait l'équipe pédagogique du Hombu Dojo. Lorsqu'une demande venait, l'instructeur en chef désignait quiconque était disponible à ce moment là pour aller visiter les dojo locaux, les universités et les clubs.
Je me rappelle d'une vieille histoire qu'on m'a racontée à propos de votre père vous demandant d'enseigner dans un dojo où les cours étaient exclusivement réservés aux femmes. Comment vous a-t-il présenté la chose et qu'avez-vous pensé lorsque vous avez découvert, une fois sur place, que ces femmes étaient toutes plutôt âgées ?
(Éclate de rire) C'était une blague ! Ceci dit, pour être tout à fait exact, le dojo auquel vous faites référence était un dojo privé à Tokyo qui accueillait en fait principalement les enfants, même si les mamans aidaient à gérer le dojo et pratiquaient également. À cette époque, j'étais jeune et je voulais pratiquer dur. Au début, je me suis senti découragé à l'idée d'avoir à m'occuper des enfants. En plus de cela, les mères n'étaient en suffisamment bonne forme physique pour pratiquer sérieusement. La santé de l'instructeur attitré du dojo déclinait et je devais apparemment devenir son remplaçant. Le dojo était de la taille de cette pièce [NDLR : 4m x 4m], peut-être un peu plus grand. C'était vraiment une très petite salle et il y avait en moyenne 80 enfants dans cet espace restreint. Mais alors que je sentais déjà les problèmes arriver, il s'est trouvé que ces enfants étaient très studieux et qu'ils voulaient vraiment apprendre. L'instructeur précédent avait si bien formé ces enfants et il avait accompli tant de choses avec eux que j'ai beaucoup appris de cette expérience. Ainsi, alors qu'au début, je voyais ça comme une corvée, au final, ces élèves m'ont vraiment ouvert les yeux et ils m'ont fait apprécier ce que ma profession avait à offrir. Je me suis rendu compte au bout d'un an que je devais devenir un instructeur sérieux et responsable et que je devais jouer un rôle plus important envers mes élèves.

ce sont mes élèves qui ont fait de moi un enseignant, plutôt que moi voulant être un instructeur Sensei, passons à période un peu plus récente, quand avez-vous fait votre premier voyage en Amérique, ça devait être autour de 1984 n'est-ce pas ?
Oui, ça doit faire 20 ans aujourd'hui. J'étais là pour le 20e anniversaire de la présence de Yamada Sensei aux États-Unis. J'étais Shidoin et j'accompagnais le Doshu Ueshiba Kisshomaru en tant qu'otomo et uke. Je n'étais pas là pour enseigner.
Vous avez pourtant fini par animer un cours durant ce stage n'est-ce pas ?
Yamada Yohimitsu, Tohei Akira, Chiba Kazuo, et Kanai Mitsunari Sensei étaient tous des Sempai beaucoup plus anciens que moi et bien entendu, ils avaient tous leurs propres cours durant ce stage. Je crois que c'est Yamada Sensei qui a dit: « Pourquoi ne pas laisser le jeune Hayato faire un cours ? ». Doshu a répondu que, bien que son devoir était d'assurer que le meilleur enseignement possible soit dispensé au cours stage qu'avait organisé Yamada Sensei, si l'exercice était bénéfique pour l'apprentissage de son otomo, et si l'emploi du temps le permettait, ce serait probablement une bonne expérience pour moi d'être mis en charge d'une heure de cours. C'était en fait ma toute première expérience d'enseignement lors d'un grand stage comme celui que nous faisons en ce moment, je m'en rappelle donc très bien !
Nous voici donc, 20 ans plus tard, au 40e anniversaire. Avez-vous une pensée particulière par rapport à cet évènement ?
Je n'ai pas forcément d'impression ou de réflexion particulière au sujet de cet évènement uniquement à cause de sa taille. Par contre, ce qui est significatif pour moi, c'est que je suis venu en Amérique plusieurs fois au cours des 20 dernières années, et que je reconnais maintenant les gens rencontrés durant les occasions précédentes. Je suis heureux d'être en mesure de les revoir et de pratiquer avec eux. Cela me fait plaisir, car il y a un lien qui s'est formé. Il y a beaucoup d'interprétations différentes de l'Aikido, la mienne est juste l'une d'entre elles, mais je crains un peu que la vulgarisation de l'Aikido ne donne quelque chose qui soit assez diffèrent de l'intention initiale
Comment voyez-vous l'évolution de l'Aikido en Amérique au cours des 20 dernières années ? Qu'en est-il du Japon ?
Il est difficile pour moi d'exprimer mes sentiments à ce sujet avec des exemples concrets. C'est peut-être la même chose au Japon qu'aux États-Unis. Globalement, l'Aikido est devenu très populaire, beaucoup plus de personnes le pratiquent maintenant et certains ont adopté une approche différente. Il est bon que l'Aikido soit devenu si populaire, mais avec cette croissance si rapide de la communauté Aikido, je me demande jusqu'où cette évolution ira. Il y a beaucoup d'interprétations différentes de l'Aikido, la mienne est juste l'une d'entre elles, mais je crains un peu que la vulgarisation de l'Aikido ne donne quelque chose qui soit assez diffèrent de l'intention initiale. Il deviendra peut-être difficile d'appeler cela de l'Aikido. Dans l'avenir, je pense que c'est une responsabilité essentielle qu'auront les instructeurs d'Aikido de préserver l'authenticité de leur instruction.

Nous sommes également préoccupés par cela. C'est une des raisons pour lesquelles nous aimons faire ces entretiens. On peut trouver pas mal de renseignements erronés dans certains des nombreux magazines sur l'Aikido, et nous essayons dans la mesure de nos moyens de recueillir des informations correctes.
Avec le décès de Kanai Sensei et de Tohei [NDLR : Akira] Sensei, les deux ayant appris directement avec le fondateur de l'Aikido, je pense que nous avons perdu de nombreux aspects importants de la pratique. Au fur et à mesure que le temps passe, cela deviendra de plus en plus évident. Je pense que nous devons revoir les fondements de ce que nos Sempai, ceux qui connaissaient les valeurs fondamentales de l'Aikido, nous ont appris. Nous avons vraiment besoin de faire un sérieux effort pour garder ces choses importantes dans notre esprit tout en continuant notre apprentissage. Nous ne pouvons pas nous entraîner uniquement à faire ce qu'il nous plaît. je pense qu'il est important de réfléchir constamment et de revenir aux origines de ce que l'Aikido est vraiment J'essaie constamment de réfléchir et de m'évaluer moi-même afin de faire les choses de façon juste dans ma pratique et dans mon enseignement. Il est important d'essayer de conserver les origines et les intentions de nos instructeurs. Quelles étaient ces intentions originales de nos professeurs ? Au lieu d'enseigner et de pratiquer l'Aikido dans notre seul intérêt, d'une façon autogratifiante, ou de repeindre le monde de la façon dont nous voulons le voir, je pense qu'il est important de réfléchir constamment et de revenir aux origines de ce que l'Aikido est vraiment. Il est impératif que nous menions le monde Aikido vers ces enseignements plutôt que vers nos interprétations personnelles
Hier, nous parlions entre nous de la façon dont beaucoup de ce que nous avons appris nous est venu directement de nos instructeurs via les chutes, et qu'eux-mêmes avaient appris d'O Sensei en servant d'uke pour lui. Plus qu'une transmission d'idées, nous avons appris en chutant. Avez-vous le même sentiment ?
Je pense la même chose. Il s'agit d'une transmission par l'expérience réelle.
Une autre chose intéressante est le fait que nous posions à nos enseignants les mêmes questions que celles que nous vous posons aujourd'hui. Nous avons pourtant développé une manière totalement différente d'appréhender l'Aikido, au fil du temps, en entendant nos enseignants nous parler de ce que l'Aikido était pour eux et ce qu'ils ressentaient en chutant pour O Sensei. Nous avons tous développé une vision de l'Aikido qui est très différente de ce que nous pensions quand nous avons commencé. À partir du moment où vous êtes autorisé à prendre l'ukemi pour votre instructeur, on vous donne la possibilité de tout ressentir directement dans votre corps [...] Si cette possibilité de ressenti ne vous est pas accessible, vous pourrez apprendre juste en regardant, mais le ressenti de l'application de la technique vous manquera
À partir du moment où vous êtes autorisé à prendre l'ukemi pour votre instructeur, on vous donne la possibilité de tout ressentir directement dans votre corps. Vous apprenez directement via vos sens. Vous êtes capable de ressentir des choses que vous ne pouviez pas comprendre juste en regardant. Si cette possibilité de ressenti ne vous est pas accessible, vous pourrez apprendre juste en regardant, mais le ressenti de l'application de la technique vous manquera, et c'est très différent. Plus que tout, le fait d'imaginer ou d'essayer de comprendre ce que votre Sensei essaye de faire à un moment précis est vraiment l'aspect le plus important de votre expérience d'apprentissage. Même si vous ne pouvez pas réellement « voir » quelque chose de tangible, vous ressentez ce qu'il essaie de capturer à ce moment. Comment puis-je expliquer cela autrement ? Disons que David-san est projeté beaucoup plus souvent que les autres élèves. Cette expérience va lui permettre de comprendre certains aspects de l'Aikido de Kanai Sensei que d'autres ne peuvent pas. Il va commencer à sentir le ma-ai de Kanai Sensei, ainsi que d'autres aspects que d'autres ne peuvent pas voir, son aura, sa force et sa puissance - parfois cela peut être tout simplement inexplicable. Pour atteindre ce niveau de compréhension, on doit commencer par être directement projeté. Vous apprenez à travers votre corps et ressentez la technique avec tous vos sens. Je pense que c'est ainsi que la compréhension commence.

Vous parlez de Kanai Sensei, il est dans nos esprits aujourd'hui, surtout pour ceux d'entre nous du New England Aikikai, car c'est le premier camp d'été auquel il n'aura pas participé. Nous tenions à vous demander si vous aviez des souvenirs, des anecdotes ou des pensées au sujet de Kanai Sensei ?
J'avais rencontré Kanai Sensei plusieurs fois, mais c'est il y a six ou sept ans que j'ai eu la première opportunité de réellement passer du temps avec lui au long d'une semaine. J'ai réalisé que Kanai Sensei était en fait un homme très calme. Plusieurs d'entre nous étions souvent assis comme nous le sommes là en ce moment, mais Kanai Sensei restait toujours dans son coin les bras croisés, juste là, assis tranquillement. Pour une raison que j'ignore, j'ai adoré ces moments avec lui. Il était souvent comme ça pendant cette semaine, assis et calme. Bien sûr, nous avons aussi pas mal discuté au sujet de plein de choses quand nous étions ensemble, mais c'est durant les moments où nous étions juste assis tranquillement ensemble que j'ai le plus profondément ressenti son caractère. L'atmosphère qu'il créait était telle que j'ai été très inspiré par ses manières. J'ai été très heureux d'avoir eu la chance de passer ces moments avec lui.
Le décès de Kisshomaru Doshu a dû être un moment très difficile pour vous, car vous avez passé beaucoup de temps avec lui. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont vous et les gens du Hombu Dojo se sont sentis quand il est mort ? Je savais que ma mission était de soutenir ce nouveau Doshu
J'étais otomo pour Kisshomaru Doshu depuis de nombreuses années et je savais qu'il était malade. Je sentais bien qu'il y avait une possibilité que Doshu ne vive pas plus qu'une année ou deux de plus. C'était un moment très difficile pour tout le monde, puis il est mort. Le Doshu actuel [NDLR : Ueshiba Moriteru, son fils] était là pour lui succéder et pour prendre les choses en mains immédiatement. Je savais que ma mission était de soutenir ce nouveau Doshu et que c'était la meilleure façon de rendre hommage à l'ancien Doshu. J'ai dû opérer cette transition très rapidement afin de soutenir au mieux la communauté de l'Aikido. Mais j'imagine que votre situation fut probablement un peu différente de cela.
Le second Doshu Ueshiba Kisshomaru en démonstration à Paris. Les uke sont Ueshiba Moriteru, Osawa Hayato, et Christian Tissier.
En fait, j'ai ressenti les choses de façon assez similaire. Je voulais aussi donner à mon tour et soutenir la communauté de l'Aikido, ainsi que la famille de Kanai Sensei. Je voulais faire passer ce que Kanai Sensei nous avait enseigné.
Je me demande si ce que vous demandez n'est plus semblable à ce qui s'est passé lorsque mon père est décédé. Mon père était un professeur d'Aikido et il était mon Sensei, mais il restait toujours mon père. Je l'aimais profondément et je le respectais beaucoup. Quand il est décédé, je me suis demandé si je n'aurais pas dû passer plus de temps avec lui. Mon père me demandait souvent si je voulais venir prendre une tasse de café avec lui, mais à l'époque, j'étais occupé et je lui disais : « Je vais passer pour cette fois, mais peut-être la prochaine fois ». Je continue à me demander si je n'aurais pas dû passer ce temps avec lui. Peut-être ressentez-vous les choses de cette façon vous aussi ?
Kisaburo Osawa Shihan
Je me demande ce que mon père m'aurait dit dans certaines situations, s'il aurait approuvé ou désapprouvé. Je m'interroge sur tout cela, même aujourd'hui.Oui, il y a tellement de questions que j'aurais voulu poser à Kanai Sensei et j'aurais certainement voulu passer plus de temps avec lui. Au moment où votre père est décédé, avez-vous éprouvé une sorte de découragement par rapport à la pratique de l'Aikido ? Cela a-t-il affecté la façon dont vous voyez votre propre rôle dans l'Aikido ? Où était-ce juste quelque chose de plus personnel ?
Je garde toujours un œil sur le passé, je regarde au-delà des techniques, et je me demande ce que je dois faire. J'ai toujours des interrogations en ce qui concerne les enjeux et les réalités de la pratique de l'Aikido, la communauté de l'Aikido, et la vie en général. Je me demande toujours si je fais la chose juste ou pas. Je regarde en arrière et je m'interroge. Je me demande ce que mon père m'aurait dit dans certaines situations, s'il aurait approuvé ou désapprouvé. Je m'interroge sur tout cela, même aujourd'hui. Dans votre cas, vous devez réfléchir à ce que Kanai Sensei vous a montré. Vous êtes responsable du New England Aikikai et vous ne pouvez pas faire autrement que de vous demander s'il aurait approuvé telle ou telle décision. Vous devez toujours vous remettre en question.
Tous les jours... Cela n'a rien à voir avec l'entretien, mais j'avais l'habitude de déjeuner le mercredi avec Kanai Sensei. Deux semaines avant sa mort, nous avons passé tout l'après-midi ensemble. Nous avons discuté beaucoup plus longtemps que d'habitude durant le déjeuner, puis nous avons pris un café au dojo, et nous avons parlé de beaucoup de choses. En rétrospective, c'était assez bizarre, car nous avons abordé très profondément dans certains sujets dont nous n'avions jamais parlé avant.
Était-ce votre dernier déjeuner avec lui ?
Oui, il s'est avéré que c'était le dernier. Je suis tellement heureux que nous ayons eu l'opportunité de partager ce dernier repas. Certaines des idées qu'il a exprimées étaient au sujet de choses que nous n'avions jamais abordées auparavant, et ces choses m'aident beaucoup aujourd'hui.
Je suis très heureux que vous ayez pu passer ce temps ensemble.
Sensei, quand votre père est venu ici nous avons vraiment beaucoup apprécié ses cours. Il avait l'habitude de frapper Yamada et Kanai Sensei quand ils étaient uke. Il disait: « Je peux le faire parce qu'ils sont comme mes enfants. » D'ailleurs, Kanai Sensei nous disait que quand il était uchi-deshi, c'était Osawa Sensei qui le corrigeait quand il se comportait mal. Il semble Kanai Sensei se mettait assez souvent dans le pétrin d'ailleurs. Bien que mon père était probablement de dix ans l'ainé de Doshu, c'était une relation hiérarchique et mon père était au service de Doshu.
(Rires) De toute façon, Kanai Sensei savait très bien encaisser ! (rires)
(Rires) Oui. C'est ce que Kanai Sensei disait ! (Rires) Kanai Sensei m'a dit qu'un jour, après qu'Osawa Sensei l'ait grondé, Kisshomaru Doshu est sorti et lui a dit, « vu que le Dojocho vous a grondé, je n'ai plus besoin de le faire ».
(Rires) Je ne sais pas grand-chose à propos de ce moment en particulier, mais je suis sûr que Kanai Sensei attendait juste d'en finir. Il n'ignorait pas forcement ce que Dojocho lui disait, mais il pensait sans doute que cela allait être une très longue séance disciplinaire, et qu'il suffirait de s'asseoir et d'acquiescer, et que ce serait bientôt terminé.
Osawa Hayato en démonstration.
Sensei, votre père et Kisshomaru Doshu travaillaient en étroite collaboration. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette relation ? Qui faisait quoi et comment les choses s'organisaient-elles ?
Bien que mon père était probablement de dix ans l'ainé de Doshu, c'était une relation hiérarchique et mon père était au service de Doshu.
Le travail du Dojocho consistait-il en l'administration des tâches courantes ?
Techniquement parlant, Doshu est chef de la communauté Aikido, de tous les dojos Aikikai. Le Dojocho supervisait le fonctionnement du Hombu Dojo, en particulier toutes les questions d'administration et d'enseignement. Contrairement aux structures de l'entreprise, le rôle de mon père était de soutenir le Doshu et de rendre les choses plus faciles pour lui au Hombu Dojo, tout en soutenant sa vision au niveau de l'ensemble de la communauté. O Sensei a créé l'Aikido avec à l'esprit certains paramètres, mais les temps ont changé.
À cause de la mort de Kanai Sensei, il a nous fallu réfléchir sur beaucoup de choses, des choses semblables à ce que vous avez mentionné précédemment. Une de ces choses est que l'Aikido vient du Japon et que tous nos enseignants sont japonais, pourtant un jour, en Amérique, les instructeurs les plus anciens seront américains. L'un des aspects que nous apprécions particulièrement au sujet de l'Aikido est sa nature japonaise. Nous essayons donc de comprendre et répondre à cela, mais c'est difficile pour nous à bien des égards. Je me demande comment les Sensei considèrent les questions de communication au-delà des frontières culturelles. Pensez-vous que c'est particulièrement difficile ? Avez-vous des idées sur la façon dont nous devrions aborder cette question ?
Les différences culturelles mises de côté, vos préoccupations ne sont pas uniques. L'art est né au Japon, mais je peux appliquer votre pensée au Japon d'aujourd'hui. O Sensei a créé l'Aikido avec à l'esprit certains paramètres, mais les temps ont changé. L'Aikido a évolué et nous ne fonctionnons plus au Japon de la même manière que lorsque O Sensei a créé l'Aikido. Un défi de taille pour les instructeurs japonais est de déterminer ce qui est le plus important de préserver, ce qu'il faut transmettre à la génération suivante. Les instructeurs japonais travaillent dur pour trouver la meilleure façon d'établir un pont entre les cultures et pour faire avancer les valeurs à partir desquelles l'Aikido a été créé. L'Amérique est peut-être un pays différent, mais la nature de notre combat est le même. Nous pensons qu'il pourrait y avoir un effort concerté pour gérer ce défi en adoptant une approche collective. Mais en fin de compte, ce qui est plus important lorsque nous essayons de traiter ce sujet, c'est notre conscience individuelle et notre sens des responsabilités. Je pense qu'il est important de préserver ce qui a été transmis par les générations précédentes et aussi de trouver des moyens raisonnables pour appliquer ces valeurs dans le contexte actuel. C'est une lutte constante. Vous pouvez seulement espérer faire de votre mieux.
Eh bien, nous sommes impatients de lutter avec vous dans ce sens Sensei. Je vous remercie.
Merci beaucoup.
Entretien conduit avec l'assistance de Walter Van Enck et via l'interprétation de Fujiwara Yoshie. Photos de Kjartan Clausen et Jaime Kahn.
