Faut-il 20 ans pour obtenir Hiden Mokuroku ? – Ce n'est pas nécessairement vrai

Faut-il 20 ans pour obtenir Hiden Mokuroku ? – Ce n'est pas nécessairement vrai

Même si l'étendue du programme technique de certaines écoles d'arts martiaux peut être assez vaste, les pratiquants de koryu expriment souvent leur surprise quant à l'ampleur particulière de celui du Daito-ryu Aiki-jujutsu, avec pas moins de 2 884 techniques repertoriées. Nous avons récemment entrepris de mener une analyse approfondie des différents certificats du Daito-ryu et par la suite des rouleaux, et cela répresente en effet un travail considérable. On peut donc légitimement se demander comment l'école Daito-ryu Aiki-jujutsu assure la transmission efficace d'un curriculum aussi important.

Parallèlement, le consensus parmi les pratiquants les plus éminents de koryu, — y compris le créateur de cette chronique, M. Ellis Amdur, — semble être que le niveau général de compétences dans la plupart des koryu, y compris ceux qui englobent un corpus de connaissances beaucoup plus restreint, est en déclin, comme l'illustrent peut-être le plus manifestement, année après année, des événements publics tels que les Démonstrations Japonaises de Kobudo. Alors que je m'apprêtais à me lancer dans une analyse de ces hypothèses et de leurs implications, je me suis souvenu d'une citation spécifique de Kondo Katsuyuki Sensei, l'ancien chef du Daito-ryu Aiki-budoLe Daito-ryu Aiki-budo est l'itération moderne du Daito-ryu Aiki-jujutsu créée par Takeda Tokimune Sensei, le troisième fils et successeur de Takeda Sokaku, qui est lui-même considéré comme le fondateur du Daito-ryu Aiki-jujutsu., qui semble faire allusion à ces deux points, et qui pourrait servir de base à une enquête sur les durées de transmission dans le Daito-ryu.

Le Daito-ryu Aiki-jujutsu n'a jamais eu de système de classement par dan du type courant aujourd'hui. Au lieu de cela, il avait un système de licence plus traditionnel du type utilisé dans la plupart des budo classiques. La première licence attribuée aurait été le hiden mokuroku, qui comprenait toutes les 118 premières techniques que nous apprenons aujourd'hui. Le problème est que, compte tenu du rythme de notre entraînement à l'époque moderne, apprendre efficacement toutes ces techniques aujourd'hui prend environ 20 ans. En d'autres termes, il faudrait aujourd'hui environ 20 ans d'étude avant qu'un élève puisse recevoir le rouleau hiden mokuroku sans qu'aucune attestation ne soit délivrée avant ce moment. Pour cette raison, au sein du Daiyo-ryu Aiki-budo, Tokimune Sensei a établi un système de classement par kyu et dan, je pense probablement pour donner aux gens quelque chose qui témoigne de leurs efforts à un stade plus précoce de leur formation.

Kondo Katsuyuki (Ancien soke dairi du Daito-ryu Aiki-budo) traduit par Derek Steel - DVD Daito Ryu Aikijujutsu, Quest Co., Ltd. 

Il y a des années, lorsque j'ai entendu cette citation pour la première fois, elle me semblait tout à fait logique, puisque j'avais grandi en France, dans un pays qui s'appuie encore largement sur la transmission verticale à travers ce que l'on appelle souvent la « forme scolaire »Vincent, G. (Ed.) 1994. L'Éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles. Lyon : Presses universitaires de Lyon. et connaissant très peu le Japon et les arts martiaux japonais au-delà des versions largement romancées, souvent apocryphes, proposées dans les médias populaires. Mais ensuite, au fur et à mesure que je me suis professionnellement engagé en tant que scientifique et éducateur, j'ai commencé à voir les problèmes derrière cette façon de penser dans le domaine de l'enseignement. Le sujet du conservatisme ou du déclinisme dans l'éducation a été discuté ailleurs, donc je voudrais aborder directement la citation de Kondo Sensei et l'examiner sous plusieurs aspects, car elle soulève des questions intéressantes concernant la transmission du Daito-ryu.

Notez qu'il y a une part de vérité indéniable dans l'hypothèse selon laquelle les anciens guerriers devaient être plus coriaces et plus compétents que leurs homologues modernes au cœur tendre et trop nourris, mais précisément, si nous considérons la période d'activité de Takeda Sokaku, sa clientèle était composée d'individus post-meiji, largement sédentaires, et non de guerriers de l'ère sengoku. Nous devons donc mener cette analyse en gardant à l'esprit ce cadre temporel particulier afin d'être à la fois justes et précis.

Clarification du contenu curriculaire

Avant de poursuivre, il est important de clarifier une partie de la déclaration de Kondo Sensei :

La première licence attribuée aurait été le hiden mokuroku, qui comprenait toutes les 118 premières techniques que nous apprenons aujourd'hui.

Kondo Katsuyuki (Ancien soke dairi du Daito-ryu Aiki-budo) traduit par Derek Steel - DVD Daito Ryu Aikijujutsu, Quest Co., Ltd. 

Kondo Sensei fait référence ici au hiden mokuroku, qui était le premier rouleau décerné par Takeda SokakuTakeda Sōkaku (武田 惣角, 1859 - 1943) était le fondateur du Daito-ryu Aiki-jujutsu. à ses élèves après qu'ils aient participé à un nombre suffisant de stages de Sokaku pour en couvrir le contenu. La phrase de Kondo Sensei est un peu ambiguë car, même si Takeda Tokimune SenseiTakeda Tokimune (武田時宗, 1916 - 1993) était le troisième fils de Takeda Sokaku et son successeur désigné. appelait hiden mokuroku (秘傳目録) l'ensemble des 118 techniques organisées en cinq groupes qui sert de base au curriculum moderne de son école Daito-ryu Aiki-budoLe Daito-ryu Aiki-budo est une itération moderne du Daito-ryu Aiki-jujutsu créée par Takeda Tokimune, qui fonctionne à bien des égards comme un gendai budo tel que l'aikido ou le judo dans le sens où il possède un système de classement par dan, une politique de porte ouverte, et qu'il publie du contenu pédagogique pour le public., son contenu ne correspond en fait pas complètement à celui des rouleaux hiden mokuroku qui étaient décernés par son père.

Nous avons publié une discussion complète de ces différences dans un article séparé (en Anglais), mais brièvement, alors que les rouleaux hiden mokuroku décernés par Takeda Sokaku contenaient communément 118 éléments, en réalité, seuls 88 éléments portent des explications écrites. De plus, certaines techniques sont décrites via un élément et d'autres via deux, donc au total, le rouleau ne décrit que 52 techniques réelles per se. Notez également que toutes les 52 techniques initialement décrites ne se retrouvent pas dans le curriculum de Takeda Tokimune (plus de détails sur ce point plus tard). Dans la suite de cet article, nous nous efforcerons de préciser explicitement si nous parlons du hiden mokuroku en tant que rouleau, ou en tant que curriculum moderne.

hiden mokurokuAnalyse visuelle du hiden mokuroku du Daito-ryu Aiki-jujutsu.

Concernant la correspondance entre le curriculum hiden mokuroku de Tokimune Sensei et un système de classement par dan, il semble que cela ait eu lieu peu après le décès de Sokaku puisque l'un des propres élèves kyoju dairi de Sokaku, Kawamata Kozo, a mentionné dans un article de journal dès 1954 qu'il accordait des grades de shodanDans Shonai Nippo (庄内日報) vers 1954. De nos jours, la norme dans de nombreuses écoles qui utilisent le curriculum de Takeda Tokimune, y compris la Takumakai, est d'attribuer le premier dan sur démonstration d'une maîtrise adéquate des 30 techniques appartenant à la première partie, ikkajo, le deuxième dan sur démonstration d'une maîtrise adéquate des 30 techniques de la deuxième partie, nikajo, et ainsi de suite jusqu'au cinquième dan et gokajo.

Plus que la segmentation sur plusieurs niveaux de dan, c'est en fait le format d'examen qui distingue assez notablement le Daito-ryu Aiki-budo moderne du Daito-ryu Aiki-jujutsu, puisqu'il ne suffit plus d'avoir appris les techniques, il faut les faire bien. Être capable d'exécuter ces techniques à un niveau de compétence adéquat pourrait en effet nécessiter un temps de pratique supplémentaire, mais il ne fait guère de doute que les élèves de Sokaku s'exerçaient entre eux entre les stages avec le maître. Indépendamment de cela, ce à quoi je ferai référence dans le reste de cet article est la période d'instruction directe auprès d'un enseignant.

Un regard sur les archives

La façon la plus simple d'estimer d'abord la quantité de temps et de contenu technique couverts sous Takeda Sokaku est d'examiner les archives historiques, qui, en termes de Daito-ryu, consistent en près d'une centaine d'années de registres de présence (英名録, eimeiroku) et de livres de comptes (謝礼禄, shareiroku) qui ont été tenus avec une remarquable constance par Takeda Sokaku et son fils Tokimune. Ces archives rassemblent non seulement les noms des personnes à qui Sokaku a enseignées, mais aussi le montant d'argent qu'elles ont payé, le lieu et la durée des périodes de formation, avec mention occasionnelle des rouleaux ou titres décernés. Avec des informations aussi détaillées à notre disposition, on est donc en mesure d'estimer le temps moyen qu'il aurait fallu à certaines personnes à différentes périodes pour se voir décerner le rouleau hiden mokuroku auquel Kondo Sensei fait référence dans son DVD.

D'après ce que nous savons, au début, la procédure standard pour Sokaku était de décerner le rouleau hiden mokuroku aux élèves après qu'ils aient participé à trois stages de 10 sessions. Cela correspond au fait que sur les certificats de Daito-ryu, la mention de 28 sessions est souvent associée à la mention de hiden mokuroku dans le document.

sagawa hiden okugi no kotoCertificat Hiden okugi no koto décerné par Takeda Sokaku à Sagawa Yukiyoshi. Il indique "118-kajo ura omote, 28 sessions d'entraînement"

Non seulement le nombre de sessions nécessaires pour recevoir le rouleau hiden mokuroku est en réalité relativement faible, mais pour la plupart des personnes figurant dans les registres, il n'aurait fallu que quelques mois et au maximum quelques années pour y parvenir. C'est difficilement ce qu'on pourrait appeler une formation longue, surtout à la lumière des propos de Kondo Sensei mentionnant qu'il faut maintenant 20 ans pour obtenir le hiden mokuroku. Mais même cela n'est pas particulièrement intensif non plus, puisqu'une session de formation ne durait que deux ou trois heures environ.

私は毎日稽古をし、 1回2~3時間稽古をしました。
Je m'entraînais tous les jours et je pratiquais pendant 2 à 3 heures à chaque fois.
Sato Keisuke (Daito-ryu Aiki-jujutsu kyoju dairi) - 合気ニュース #104

Pour ceux qui ont suivi 30 cours, cela représenterait 90 heures d'instruction directe, au maximum, pour obtenir le hiden mokuroku. En consultant les archives du site web de Kondo Sensei, en 2001 à l'époque où ce DVD a été réalisé, l'entraînement publique avait lieu les lundis, mercredis et vendredis de 20h00 à 21h30. On attendrait probablement d'un élève raisonnablement motivé qu'il se rende au dojo deux ou trois fois par semaine. Le dojo de Kondo Sensei est également indiqué comme étant fermé pendant les jours fériés japonais, donc sur la base d'une estimation de 48 semaines de pratique par an, cela nous amène à environ 200 heures d'entraînement par an. Il s'agit d'un chiffre très conservateur car il n'inclut pas les cours particuliers, les stages de week-end ou les stages d'été. Par exemple, dans ma propre expérience, les stages de week-end avec mon regretté professeur Chiba Tsugutaka Sensei pouvaient durer plus de six heures par jour. Un élève s'entraînant pendant 20 ans à ce rythme cumulerait probablement au moins 4 000 heures d'instruction directe, ce qui est plus de 40 fois la quantité maximale absolue de temps qu'un élève de Sokaku aurait passé à s'entraîner sous sa direction. Notez que ce contraste est encore plus vif lorsque nous considérons le biais d'échantillonnage puisque, en effet, la comparaison n'est pas équitable dans le sens où nous examinons le volume maximal de formation des meilleurs élèves de Sokaku avec celui d'un élève ordinaire, bien que motivé, de nos jours.

Les lecteurs pourraient me trouver inutilement tatillon concernant les heures, et après tout, n'est-ce pas la compétence qui compte ? Rappelez-vous encore une fois que dans le système traditionnel auquel Kondo Sensei fait référence, un makimono ne sanctionne pas nécessairement le niveau de compétence atteint par l'élève, mais plutôt l'étendue du matériel auquel il a été exposé. Nous pourrions entamer une discussion sur les incroyables exploits que Takeda Sokaku et certains de ses élèves auraient été capables d'accomplir, mais ceux-ci sont étayés principalement par des preuves anecdotiques, avec tous les divers biais et embellissements que de telles histoires ont tendance à accumuler avec le temps. De plus, je voudrais m'en tenir ici au processus de transmission formel plutôt qu'à son résultat potentiel.

Incidemment, l'utilisation du terme « stage » lorsqu'on fait référence aux cours de Takeda Sokaku pourrait surprendre certains lecteurs, mais en effet, la grande majorité des entrées dans le registre de Takeda mentionne des stages où plusieurs personnes étaient enseignées à la fois, et non des cours particuliers, ni une pratique régulière en dojo telle que nous la connaissons aujourd'hui. Cependant, la nature des documents eimeiroku et shareiroku est telle qu'elle implique que seuls les cours qui étaient facturés sont enregistrés, et donc, les personnes qui auraient pu participer à des cours gratuits peuvent ne pas être enregistrées. En effet, des personnes comme Inoue Yuji ne figurent pas dans les registres et pourtant, elles se sont entraînées avec Sokaku et ont reçu des rouleaux.

inoue hiden mokurokuParties du rouleau hiden mokuroku de Daito-ryu ju-jutsu d'Inoue Yuji daté de juin 1926. On dit qu'Inoue Yuji a reçu une instruction gratuite et informelle de Sokaku en remerciement pour avoir pris soin de lui et conformément à cela, son nom ne se trouve dans aucun des registres dont nous disposons bien que son certificat existe.

Une étude de cas

Examinons maintenant un exemple représentatif : le cas de Sato Sadami (佐藤 完實, 1868 - ?), un fonctionnaire des impôts de Sendai qui a publié en 1917 le tout premier livre sur les techniques du Daito-ryu女子練膽法及護身術 小田鋼太郎 佐藤完實、大正6,7 26、内交. Il a rencontré Takeda Sokaku en 1900 et est devenu son élève. Nous savons qu'il a reçu l'instruction de Sokaku à cinq reprises au total, et les informations à notre disposition sont les suivantes :

#DateDuréeLieu du stageProfession de Sato
1 6 juin 1900 1 jour Yamato, Minamimachi, Kesennuma-cho, Motoyoshi-gun Préfecture de Miyagi Travaillant au bureau des impôts de Motoyoshi, ville de Shizugawa, district de Motoyoshi, préfecture de Miyagi
2 2 au 15 avril 1903 14 jours Bureau du district de Shida, préfecture de Miyagi Bureau des impôts de Furukawa, préfecture de Miyagi
3 30 avril au 11 mai 1903 12 jours Kaorusuke Katakura, médecin à Furukawa, préfecture de Miyagi Percepteur au bureau des impôts de Furukawa, préfecture de Miyagi
4 Pas de données Pas de données Pas de données Fonctionnaire des impôts ?
5 17 au 27 octobre 1904 11 jours Poste de police de Yoshioka, préfecture de Miyagi

Bureau des impôts de Yoshioka, préfecture de Miyagi
Membre du Dai Nippon Butokukai
Membre du Teikoku Shobukai
Takeda Sokaku Shihandai
Kyoju Dairi.

Tableau reproduit avec modifications d'après Kudo, 2018工藤  龍太, 近代武道・合気道の形成過程, 体育史研究, 2018, 35 巻, p. 27-42, 公開日 2022/09/18, Online ISSN 2433-7293, Print ISSN 0914-4730

Sato a reçu deux rouleaux de Takeda Sokaku, le hiden mokuroku et le hiden okugi no koto綿谷雪・山田忠史 編 『増補大改訂 武芸流派大事典』 東京コピイ出版部 1978年, ainsi que le titre d'instructeur représentant (kyoju dairi).

sato hiden mokurokuPages datées du 17 octobre indiquant que Sato Sadami a été nommé au titre de kyoju dairi, ainsi que les informations standard relatives aux attributions et aux questions financières.

Il était fréquent que Sokaku décerne le rouleau hiden okugi en même temps que le kyoju dairi, il est donc logique que Sato l'ait reçu en octobre 1904. Du fait que la première formation de Sato n'a duré qu'une journée, il est alors probable qu'il ait reçu le hiden mokuroku lors de la troisième (27 jours de formation) ou quatrième rencontre avec Sokaku, ce qui aurait représenté une période de quatre ans au maximum pour atteindre le hiden mokuroku.

takeda meishiEntrée de l'eimeiroku de Takeda Sokaku couvrant une période de 11 jours du 17 au 27 octobre 1904, et listant Sato Sadami comme membre du Dai Nippon Butokukai et du Teikoku Shobukai et indiquant qu'il "a reçu la 5ème instruction de Daito-ryu Jujutsu" 第五回目大東流柔術教授を受.

Comme nous l'avons discuté précédemment, cela aurait été considéré comme l'étendue complète du curriculum Daito-ryu à cette époque, donc tout naturellement, Sato se présentait souvent comme menkyo kaiden.

Conditionnement physique ?

Les preuves présentées ci-dessus montrent que contrairement à la croyance populaire, les personnes dans le passé recevaient le hiden mokuroku plus tôt qu'aujourd'hui, et après beaucoup moins de temps d'instruction directe. L'un des arguments avancés par Ellis Amdur dans son livre incontournable Hidden in Plain Sight et qui pourrait servir d'explication est que les anciens avaient des corps plus conditionnés puisque leur vie quotidienne à l'époque l'exigeait davantage. Simplement s'accroupir pour utiliser les toilettes, marcher vers la plupart des endroits, et dans les zones rurales, effectuer des travaux ordinaires préparait déjà le corps à l'entraînement et réduisait le besoin d'un certain nombre d'heures d'instruction de base et de renforcement.

Cela est concevable, mais il faut se rappeler que le Daito-ryu est un art relativement récent (le nom lui-même commence à apparaître dans l'eimeiroku à partir de juillet 1899). Le mode de vie de la plupart des élèves directs de Takeda n'aurait pas été si différent du nôtre. La méthodologie d'enseignement a également considérablement changé depuis, et l'espérance de vie, la santé générale et les performances sportives se sont toutes améliorées dans l'ensemble par rapport à il y a cent ans.En note, il existe des différences considérables entre les écoles de Daito-ryu en ce qui concerne des choses comme l'entraînement au tanren. Alors qu'Ueshiba Morihei, Sagawa Yukiyoshi et Takeda Tokimune faisaient amplement usage de l'entraînement solo tanren, y compris l'utilisation de poids, à notre connaissance, Horikawa Kodo ne le faisait pas, bien qu'il pratiquait certaines formes solo comme l'ikkyo undo. Sagawa Yukiyoshi a déclaré qu'il n'avait jamais vu Takeda Sokaku faire quelque type de conditionnement physique que ce soit.

Un curriculum en constante augmentation

Quand ce que nous venons de montrer est mis en perspective avec le fait qu'en vieillissant, Sokaku soit étendait le contenu de ses rouleaux, soit en décernait de complètement nouveaux, cela jette une lumière bien différente sur les paroles de Maître Kondo. On pourrait spéculer que le troisième rouleau de Daito-ryu Aiki-jujutsu, hiokugi no koto (大東流合氣柔術秘奧儀之事) a peut-être été créé précisément parce que les personnes qui s'étaient entraînées avec Takeda Sokaku plus souvent et plus longtemps avaient déjà reçu les deux premiers parchemins et ainsi, il devenait nécessaire d'en créer un nouveau pour les satisfaire. Des rouleaux supplémentaires ont également été créés pour des élèves comme Sagawa Yukiyoshi.

Pour illustrer ce point, une autre partie de l'explication de Maître Kondo mérite attention :

Une autre des contributions de Maître Tokimune au Daito-ryu a été de diviser les techniques du hiden mokuroku en cinq groupes numérotés de ikkajo à gokajo. Il a également donné à chaque technique un nom formel puisque avant cela, elles étaient identifiées dans les rouleaux simplement comme numéro un, numéro deux et ainsi de suite. Ce fut l'un des changements majeurs apportés à la tradition Daito-ryu qui s'est produit lors de la transition entre Sokaku Takeda et son fils et successeur Tokimune.

Kondo Katsuyuki (Ancien soke dairi du Daito-ryu Aiki-budo) traduit par Derek Steel - Daito Ryu Aikijujutsu DVD, Quest Co., Ltd.

D'autres sources suggèrent cependant que durant sa vie, Sokaku a commencé à s'éloigner des rouleaux comme dépositaires du curriculum et qu'à la place, à partir de l'ère Taisho, il a organisé ses stages différemment, autour d'un curriculum de base de cinq niveaux respectivement nommés ikkajo, nikajo, sankajo, yonkajo et gokajo. Chacun des "kajo" de Sokaku est dit avoir consisté en environ 30 techniques, ainsi le curriculum total a considérablement augmenté pour atteindre au moins 150 techniques高橋賢 大東流合気武術史初考 武田惣角先の旧大東流の技法体系について 合気ニュース #136 to #141.

C'est là que les choses se compliquent, car comme le dit Maître Kondo, le curriculum hiden mokuroku de Tokimune est également un ensemble de techniques subdivisé en cinq kajo, mais Tokimune a choisi de fixer le nombre de techniques à 118, ce qui rappelle ce qui figure dans le titre de l'ancien rouleau "hiden mokuroku 118 kajo" (秘傳目録 百拾八ヶ條). De plus, il a réorganisé les techniques de manière substantiellement différente par rapport à la subdivision en cinq kajo de Sokaku (voir la discussion complète ici, en Anglais). Contrairement à son père, il leur a également attribué à toutes un nom. Donc, si les 118 techniques du curriculum moderne hiden mokuroku constituent une augmentation par rapport aux 52 techniques décrites dans le parchemin éponyme, cela constitue une réduction réelle et une profonde réorganisation par rapport à ce que Sokaku aurait pu enseigner dans ses propres cours de cinq kajo.

En note, comme exemple supplémentaire d'un koryu évoluant vers la pratique du gendai budo, selon Ellis Amdur, un certain nombre de kata modernes ont "infecté" le jodo à un degré tel que par exemple, les élèves dans de nombreux dojo de Shindo Muso-ryu apprennent d'abord les 12 seitei kata modernes du Zen Nippon Kendo Renmei et dans au moins une organisation, on n'apprend pas le koryu jo avant le 4e dan, à ce moment-là, on est irrémédiablement imprégné par les mouvements formalisés inappropriés selon les normes du Shindo Muso-ryu.

Revenons maintenant à la citation originale de Maître Kondo :

La première licence décernée aurait été le hiden mokuroku, qui comprenait toutes les 118 premières techniques que nous apprenons aujourd'hui.Kondo Katsuyuki (Ancien soke dairi du Daito-ryu Aiki-budo) traduit par Derek Steel - Daito Ryu Aikijujutsu DVD, Quest Co., Ltd. [c'est moi qui souligne]

Il ne fait aucun doute que Maître Kondo a étudié ces rouleaux en détail, mais sur la base de l'ample corpus de preuves qui est rendu librement accessible par plusieurs écoles de Daito-ryuPar exemple, voir les livres et DVD de Maître Kondo, Daito-ryu Aiki-bubo 118 kajo d'Ishibashi Yoshihisa, et les DVD Daito Ryu Aikijujutsu Hiden Mokuroku de Kato Shigemitsu, entre autres., cette déclaration semblerait factuellement incorrecte car les 118 techniques de Tokimune ne couvrent pas uniquement le matériel du hiden mokuroku original de baseEn fait, les techniques du hiden mokuroku original constituent une minorité du contenu du système de 118 kajo de Tokimune., mais aussi une partie du contenu des rouleaux plus avancés comme le hiden okugi no koto. Fait intéressant, cela rendrait en fait le contenu du système de 118 techniques de Tokimune manifestement plus difficile, et donc, nécessiterait effectivement plus de temps pour le maîtriser.

En comparant les pistes audio anglaise et japonaise du DVD, Maître Kondo ne prononce pas réellement cette phrase particulière en japonais. Plutôt qu'une inexactitude littérale mineure, la phrase entière a en fait été ajoutée et par conséquent, on peut se demander si le récit destiné aux audiences internationales devait être différent de celui destiné aux spectateurs japonais, ou s'il s'agissait d'une erreur dans la compréhension du curriculum introduite par le traducteur alors qu'il tentait de clarifier le contexte technique complexe pour un public profane.

Les paroles de Maître Kondo en japonais sont en fait les suivantes :

大東流合気柔術にはですね、段という制度がないんですね。今合気武道のほうで言いますと、五カ条まで習うとだいたい五段位というのがなるんですね。そうするとま、五段もらうにはですね20年ぐらいかかるかと思いますよね。そうね20年間、合気柔術を稽古してますと秘伝目録いただくまでには20年ぐらいかかってしまう。その間にですね何の資格ももらえないんですね。そうするとまあ、子供ではないんですけども、泣き出した赤ん坊ですね。 あやすには飴玉をあげるというのがありますよね。それの一つがですね段位制度というのがそうだったんだと思います。
Dans le Daito-ryu Aiki-jujutsu, il n'y a pas de système de dan. Dans l'Aiki-budo, si vous apprenez jusqu'au cinquième kajo, vous obtenez le grade de godan. Alors, il faut environ 20 ans pour obtenir le godan, n'est-ce pas ? Si vous avez pratiqué l'Aiki-jujutsu pendant 20 ans, il faudrait environ 20 ans pour recevoir le hiden mokuroku. Pendant ce temps, vous ne recevriez aucune qualification. Alors, vous n'êtes pas un enfant, mais quand un bébé se met à pleurer, il y a un moyen d'apaiser un bébé qui pleure en lui donnant un bonbon, n'est-ce pas ? Je pense que le système de dan était une telle chose.
Kondo Katsuyuki (Ancien soke dairi du Daito-ryu Aiki-budo) dans son japonais original - Daito Ryu Aikijujutsu DVD, Quest Co., Ltd.

En note, je ne peux m'empêcher de remarquer l'ironie dans la dernière phrase de Maître Kondo, en plus de son sourire quand il la prononce, ce qui pourrait être interprété comme étant un peu méprisant envers les praticiens modernes. La phrase sur les 118 techniques n'est clairement pas présente. Cependant, pour être juste envers M. Steel, je crois qu'une partie ultérieure du DVD offre une explication quant à la raison pour laquelle il aurait pu ajouter cette phrase. Maître Kondo y dit ce qui suit en japonais :

それともう一つですね、時宗先生がやられたことは、それまで大東流の技にはですね、名称が一切なかったんですね。その名称がなかった大東流の技をですね、 秘伝目録という技をですね、一カ条から五カ条まで分類され まして。それぞれの技の名称をつけられたということがですね、惣角先生から時宗先生にですね変わった大きな一つだと思います。
Une autre chose que Maître Tokimune a faite est que jusqu'alors, les techniques du Daito-ryu n'avaient pas du tout de noms. Les techniques du Daito-ryu, qui n'avaient pas de nom, ont été classées dans le système de un à cinq kajo appelé hiden mokuroku. Le fait que chaque technique ait reçu un nom est l'un des grands changements de Maître Sokaku à Maître Tokimune.

Kondo Katsuyuki (Ancien soke dairi du Daito-ryu Aiki-budo) dans son japonais original - Daito Ryu Aikijujutsu DVD, Quest Co., Ltd.

On peut très légitimement comprendre de cette partie que la contribution de Takeda Tokimune n'était pas de changer le contenu technique, mais uniquement de lui attribuer des noms et de le réorganiser en cinq sous-ensembles (kajo). À part ce léger détour linguistique, le point central de la discussion reste, je crois, inchangé.

Le Daito-ryu Aiki-jujutsu a généralement quatre niveaux de techniques : shoden, chuden, okuden et hiden. Habituellement, le premier rouleau hiden mokuroku sanctionne le niveau shoden et compte-tenu du fait qu'on dit que le Daito-ryu comporte un total de 2 884 techniques, il resterait une quantité extrêmement vaste de matériel à couvrir après ces 20 premières années.

Prenant l'exemple de Sato Sadami, le rouleau suivant qu'il aurait reçu aurait été le hiden okugi no koto. Nous avons précédemment décrit le contenu du certificat hiden okugi no koto d'Ueshiba Morihei (en Anglais), qui lui a été donné avec le rouleau correspondant, et il comporte les 184 éléments suivants (rappelez-vous, ceux-ci ne sont pas nécessairement des techniques per se) :

  • 118 kajo ura omote (百拾八ヶ条 裏表)
  • Aiki no jutsu ura 30 kajo (合氣之術 裏参拾ヶ条)
  • Hiden okugi 36 kajo (秘伝奧儀 参拾六ヶ条)

Le certificat indique en fait que le contenu ci-dessus a été enseigné au cours de 22 sessions (以上弐拾二回教授). Notez que le rouleau hiden okugi no koto lui-même ne liste généralement que les 36 éléments du hiden okugi 36 kajo ura omote (秘伝奧儀 参拾六ヶ条裏表).

À la fin du temps qu'il a passé avec Takeda, Ueshiba Morihei avait également reçu l'enseignement des 84 éléments du goshin'yo no te (護身用の手), l'exposant à la totalité du corpus de transmission disponible à l'époque, comptabilisant au maximum 268 techniques, probablement moins puisque, encore une fois, un élément n'équivaut pas nécessairement à une technique. Le plus grand nombre d'éléments enregistré est celui qui a été enseigné plus tard à Hisa Takuma et Sagawa Yukiyoshi, et il s'élève respectivement à 856 et 959 éléments, ce qui est encore loin de 2 884.

Taille du curriculum vs temps d'instruction

De nombreux pratiquants de Daito-ryu semblent se donner beaucoup de mal pour essayer de quelque peu miner l'importance d'Ueshiba Morihei et son héritage dans leur lignée. Le nombre relativement faible de techniques qu'il est sensé avoir reçues par rapport à d'autres élèves de Takeda pourrait servir à solidifier ce point de vue.

Cependant, Ueshiba se présente en fait comme un contre-exemple de l'argument que j'ai avancé auparavant en termes de combien il s'est entraîné avec Takeda. En fait, sa relation avec Takeda peut être considérée comme beaucoup plus proche de la relation standard d'uchi deshi des anciens koryu que de celle de stages de masse, que la plupart des autres élèves ont suivie. Cette hypothèse est en fait confirmée par Takeda Tokimune lui-même.

Il [Ueshiba] s'est entraîné plus que quiconque. Il était très enthousiaste et mon père lui a enseigné intensément.Entretien avec Takeda Tokimune - AikiNews #71

Ueshiba a rencontré Takeda Sokaku à l'auberge Hisada à Engaru, Hokkaido en février 1915. Au cours des années suivantes, Ueshiba a assisté à un certain nombre de séminaires avec Sokaku, qui sont enregistrés ci-dessous.

DateLieuDuréeCertificat/Titre Décerné
5 mars 1915 Engaru 10 jours  
19 mars 1915 Non enregistré (probablement Engaru) 10 jours  
4 avril 1915 Shirataki 10 jours  
6 février 1916 Shirataki 10 jours  
16 février 1916 Shirataki 10 jours  
26 février 1916 Shirataki 10 jours  
8 mars 1916 Shirataki 10 jours

hiden mokuroku (大東流柔術秘伝目録)
Mars 1916 : hiden okugi no koto (秘伝奥儀の事)

26 avril au 15 septembre 1922 Ayabe 10 x 10 jours (100 jours)

15 sept. 1922 : kyoju dairi (教授代理)

20 mars au 7 avril 1931 Tokyo 18 jours 7 avril 1931 - goshin'yo no te (御信用之手)
Tableau reproduit avec des modifications d'après Kudo, 2018工藤  龍太, 近代武道・合気道の形成過程, 体育史研究, 2018, 35 巻, p. 27-42, 公開日 2022/09/18, Online ISSN 2433-7293, Print ISSN 0914-4730

Selon les archives, on estime qu'Ueshiba Morihei a participé à près de 200 séances d'entraînement avec Takeda Sokaku. Cependant, en plus de cela, considérant que Takeda a vécu sous le toit d'Ueshiba pendant plusieurs années à Shirataki, puis à Ayabe, il est presque certain qu'une instruction a été donnée par Takeda à Ueshiba en dehors des registres, de la même manière que nous l'avons expliqué précédemment pour Inoue Yuji. Il y a peut-être également eu des cours donnés par Takeda dans le dojo d'Ueshiba à Tokyo. Fait intéressant, Takeda Sokaku s'est une fois présenté comme le directeur du Daito-ryu Aiki-jujutsu Hombu Dojo à Shirataki. Il est en fait très probable que le dojo dont il est question était celui construit par Ueshiba Morihei.

takeda meishiCarte de visite appartenant à Takeda Sokaku. Elle indique :
"Daito-ryu Aiki-jujutsu Hombu-cho Takeda Sokaku.
Shirataki, Village d'Ento, Province de Kitami, Hokkaido.
Anciennement Préfecture de Fukushima Aizu"

Toutes les entrées dans l'eimeiroku qui sont datées entre la rencontre d'Ueshiba avec Takeda en mars 1915 et son départ d'Hokkaido à la fin du printemps 1919 montrent que Sokaku est resté à Hokkaido tout ce temps. Sous un tel titre, et étant donné qu'il n'a pas voyagé à cette époque, il ne fait aucun doute qu'il aurait enseigné régulièrement un certain nombre de cours à Ueshiba et à ses disciples.

Conclusion

Bien sûr, il n'est pas particulièrement pertinent de considérer l'apprentissage purement sur une base par technique. Au lieu de cela, tout curriculum devrait être établi sur la base de principes généraux et de résultats éducatifs, et faire usage de techniques spécifiques afin de transmettre un concept donné ou un corpus de connaissances. De plus, dans le cas de Hisa Takuma, ses certificats kaiden no koto mentionnent spécifiquement que les 84 kajo goshin'yo no te lui ont été enseignés en une seule session, montrant qu'il semblait y avoir eu des moyens d'accélérer le processus.

Cela dit, le point plus large reste valide et sur la base de ces estimations et de notre étude précédente des certificats et des rouleaux du Daito-ryu, il ne fait guère de doute que :

  • Les gens reçoivent une instruction directe plus longue et plus fréquente de nos jours qu'avant
  • L'étendue du curriculum semble avoir augmenté avec le temps, peut-être pour s'adapter au temps d'instruction croissant
  • Au rythme d'entraînement évoqué, on peut se demander si quiconque aurait pu apprendre l'intégralité des 2 884 techniques prétendument présentes en Daito-ryu.

La question se pose toujours de savoir si la compétence réelle a décliné, ou si elle a même diminué. a augmenté au fil du temps. Ce sujet fera l'objet d'un prochain article.

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À-Propos

Guillaume Erard est titulaire du titre de Shihan 6e Dan en Aïkido (Hombu Dojo de l’Aïkikaï, Tokyo) et du titre de Kyōshi 5e Dan en Daïto-ryu Aiki-jujutsu (Hombu Dojo de Shikoku). Résident permanent au Japon, il dirige un dojo d’Aïkido à Yokohama et anime régulièrement des stages internationaux. Il est docteur en biologie moléculaire et titulaire d’un Master 2 en sciences de l’éducation. Ses recherches portent notamment sur les dimensions pédagogiques et historiques de la transmission des arts martiaux japonais. Il a publié de nombreux articles dans des revues spécialisées en France et au Japon, et a collaboré à la rédaction du dernier ouvrage de Christian Tissier.

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