Kobayashi Hirokazu, maître de Daito-ryu ?? - Ce n'est pas nécessairement vrai

Kobayashi Hirokazu, maître de Daito-ryu ?? - Ce n'est pas nécessairement vrai

Il y a quelque temps, Aikido Journal a publié des extraits d'un courrier électronique entre le regretté Stanley Pranin et André Cognard, qui dirige un groupe indépendant d'Aikido en Europe. L’article met en évidence une relation selon eux inconnue entre l’enseignant de M. Cognard, Kobayashi Hirokazu, qui fut élève en Aikido de Ueshiba Morihei après la guerre, et Hisa Takuma, qui a de son côté appris le Daito-ryu Aiki-jujutsu avec Ueshiba au Journal Asahi d'Osaka au début des années trente. Cette publication a attiré mon attention parce que je suis moi-même un pratiquant d'Aikido au Hombu Dojo de l’Aikikai, mais aussi de Daito-ryu Aiki-jujutsu dans une lignée qui perpétue l'enseignement de Hisa. Dans cet article, je voudrais offrir un complément d’information sur ce lien et examiner les conclusions qu'on peut raisonnablement tirer des faits à notre disposition, dont certaines peuvent différer légèrement de ce qui a été publié jusqu’à présent.

La connexion

D'abord, il faut dire que cette relation d'après-guerre ente Kobayashi Hirokazu et Hisa Takuma est vraie et elle est en fait assez bien connue de la plupart des pratiquants de Daito-ryu dans la région du Kansai. Même si ce lien n'est pas nouveau, il est cependant très utile de rappeler son existence au public car il montre que le Daito-ryu Aiki-jujutsu et l'Aikido partagent une longue histoire commune et que certains de leurs groupes respectifs sont restés en contact actif bien après la fin de la pratique au Journal Asahi à la fin des années trente, et la scission formelle entre Ueshiba Morihei et son professeur Takeda Sokaku.

Ueshiba Morihei devant le Journal Asahi d'Osaka. À sa droite se trouve le chef du groupe d'étude, Hisa Takuma (1935).

Là où mes conclusions diffèrent légèrement de ce qui a été publié à ce jour tient dans le rôle réel de Kobayashi Hirokazu en tant qu’instructeur. Plus précisément, sur le fait que M. Cognard a précédemment suggéré que son professeur était un shihan en Daito-ryu Aiki-jujutsu :

Pendant un certain temps, il [Kobayashi Hirokazu] a été instructeur en chef du Daito dans le Kansai. Il était un shihan. André Cognard – Interview with André Cognard (2) par Stanley Pranin, 24 juin 2013

Il mentionne aussi cela dans la lettre qu'il a écrite à Stanley et, chose intéressante, il cite comme preuve convergente un article que j'avais publié sur mon propre site Web :

Au cours de notre réunion, je vous ai parlé du fait que mon professeur, Hirokazu Kobayashi Sensei, était un shihan de Daito-ryu actif dans la région du Kansai. Vous m'avez demandé s'il y avait des liens entre lui et le Takumakai. Je n'étais pas en mesure de répondre clairement à ce moment-là, mais je me suis renseigné. J'ai trouvé la réponse dans un entretien avec Kiyohiro Kobayashi, directeur du Takumakai, dirigé par Olivier Gaurin. André Cognard – Aikido and Daito-ryu in Osaka: The Unknown Connection between Takuma Hisa and Hirokazu Kobayashi – Aikido Journal, 3 février 2015

M. Cognard fait référence à une interview qu'Olivier Gaurin et moi-même avons faite avec notre instructeur de Daito-ryu Aiki-jujutsu, Kobayashi Kiyohiro, qui détient le 8e dan et qui est l'un des plus anciens élèves de Hisa Takuma encore en vie. Je me souviens qu’au moment où nous avons réalisé cette interview, la mention de Kobayashi Hirokazu a piqué ma curiosité et je comprends comment M. Cognard a pu aussi être particulièrement intéressé d'entendre parler de son professeur dans ce contexte. Je ne connais pas les éléments dont M. Cognard disposait avant cette publication et qui lui ont permis de conclure que son professeur était un shihan en Daito-ryu, mais il serait très intéressant s'il pouvait nous en dire plus à ce sujet, car je ne pense pas que les mots de Kobayashi Kiyohiro, par eux-mêmes, permettent de tirer cette conclusion :

Le directeur technique [de l'Aikido] du Kansai était [Ueshiba] Kisshomaru Sensei, mais le club était toujours sous la supervision de Hisa Takuma Sensei. C'est Hisa Sensei qui a demandé à Kobayashi Hirokazu Sensei d'être le responsable pour l'Aikikai, car il se trouve que Kobayashi avait étudié avec Hisa Sensei. C'est ainsi que tout a été arrangé. Le club est devenu un club d’Aikido et tout le monde est passé du Daito-ryu à l’Aikido. Kobayashi Kiyohiro - Entretien avec Kobayashi Kiyohiro, manager du Takumakai par Guillaume Erard et Olivier Gaurin, octobre 2011

Un peu d'histoire

Après la guerre, Kobayashi Hirokazu a passé plusieurs années à Tokyo à étudier l’Aikido au Hombu Dojo, tout en travaillant comme laquier. De retour à Osaka en 1954, il s’est installé en tant qu’instructeur professionnel d'Aikido et il a d'ailleurs reçu la visite de Ueshiba Morihei à plusieurs reprises. En tant que représentant officiel de l'Aikikai à Osaka, il était sous la tutelle du directeur du siège mondial de l'Aikido, Ueshiba Kisshomaru. Hisa a donc par la suite demandé à Kobayashi Hirokazu de transformer le club universitaire de Momoyama Gakuin en un club d'Aikido afin de l'intégrer à la Fédération Etudiante d'Aikido du Kansai, puisqu’il n'existait pas de telle structure pour le Daito-ryu.

Kobayashi Kiyohiro (à gauche) et Kobayashi Hirokazu (à droite) devant le panneau du club d'Aikido de l'Université Momoyama Gakuin

Par conséquent, le club est devenu totalement séparé techniquement et administrativement du groupe de Daito-ryu Aiki-jujutsu de Hisa. Dans la même interview, Kobayashi Kiyohiro dit ceci :

Personnellement, je n'étais pas très heureux de faire seulement de l'Aikido et c'est pourquoi j'ai continué à pratiquer le Daito-ryu et l'Aikido aux dojos dont j'ai parlé plus tôt [i.e. Le dojo de Daito-ryu de Hisa Takuma et le club d’Aikido de l’Université Momoyama Gakuin, respectivement]. Kobayashi Kiyohiro - Entretien avec Kobayashi Kiyohiro, manager du Takumakai par Guillaume Erard et Olivier Gaurin, octobre 2011

Cela confirme que la pratique de Kobayashi Hirokazu à l’Université Momoyama Gakuin était totalement différente de celle de Hisa Takuma au Kansai Aikido Club. Je dois préciser que bien que son nom suggère que le club de Hisa était un club d’Aikido, il ne donnait que des cours de Daito-ryu Aiki-jujutsu. Selon Kobayashi Kiyohiro, Hisa a probablement choisi ce nom parce que le nom Aiki-jujutsu n'était pas bien connu et n'aurait pas attiré beaucoup d’élèves. En tant que titulaire d'un menkyo kaiden (certificat de transmission intégrale) en Daito-ryu Aiki-jujutsu de Takeda Sokaku, Hisa était en fait uniquement autorisé à attribuer des grades en Daito-ryu, pas en Aikido.

Les élèves du Journal Asahi avec leurs certificats autour de Takeda Sokaku. Hisa est assis à la droite de Sokaku (c. 1937).

Il est important de noter que les Japonais sont parfois un peu incohérents dans leur utilisation de la terminologie. Par exemple, les pratiquants de Daito-ryu au Kansai utilisent souvent le terme « Aikido » pour désigner leur pratique, mais ce n’est en aucun cas une référence à l’Aikido de Ueshiba. Bien entendu, cette utilisation peu précise des termes est souvent assez déroutante et c’est peut-être l’un des éléments qui ont amené M. Cognard à supposer que son professeur était responsable du Daito-ryu au Kansai.

Afin de vraiment savoir ce que Kobayashi Kiyohiro avait en tête lorsqu'il a dit que Kobayashi Hirokazu avait appris de Hisa, je suis retourné à Osaka pour lui demander de clarifier. Il a répondu ce qui suit :

Il [Kobayashi Hirokazu] a appris du [Daito-ryu de Hisa], mais ce ne fut que pour une brève période. Kobayashi Kiyohiro - Entretien avec Kobayashi Kiyohiro par Guillaume Erard, août 2018

Kobayashi Kiyohiro précise une fois de plus que techniquement, le Daito-ryu de Hisa et l'Aikido de Kobayashi Hirokazu étaient différents. En fait, en ce qui concerne les similitudes existant entre le Daito-ryu et l’Aikido, Kobayashi Kiyohiro a souvent tendance à mentionner le Yoshinkan de Shioda Gozo comme la chose la plus proche de ce qu’il faisait avec Hisa.

Afin d'avoir une image la plus complète possible, j'ai décidé d'obtenir de plus amples informations du côté de l'Aikido, par l'intermédiaire de personnes ayant étudié avec Kobayashi Hirokazu au Kansai à l'époque. J'ai parlé à Kimura Jiro Shihan, qui est un instructeur 8e dan d'Aikido basé à Osaka et le successeur de Kobayashi Hirokazu au Japon. Voici ce que Kimura Sensei m'a dit lorsque je lui ai demandé si son professeur avait appris formellement de Hisa :

Plutôt que d'apprendre de lui, il doit avoir vu certaines techniques et les utiliser comme référence. Kimura Jiro - Entretien avec Kimura Jiro, par Guillaume Erard, août 2018

Au cours de notre conversation, Kimura Sensei a confirmé qu'il n'existait aucune preuve suggérant que Kobayashi Hirokazu ait participé aux entraînements du Kansai Aikido Club, encore moins qu'il ait été shihan dans l'art ou responsable du Daito-ryu dans la région du Kansai ou ailleurs. Fait intéressant, lors de ma visite au bureau de Kimura Shihan, j'ai remarqué qu'il avait dans sa bibliothèque un exemplaire du Soden, un livre technique rédigé par Hisa pour documenter les techniques de Daito-ryu qu'il avait apprises de Ueshiba Morihei et de Takeda Sokaku au Journal Asahi. J'ai demandé à Kimura Sensei s'il connaissait les techniques figurant dans le livre et il a répondu qu'il n'avait jamais étudié son contenu et qu'il ne connaissait que les parties démontrées par Mori Hakaru Sensei (l'actuel directeur du Takumakai) et d’autres instructeurs lors de manifestations publiques.

Nous voyons qu'il semble y avoir un consensus entre les autorités du Daito-ryu et de l'Aikido, mais juste au cas où, j'ai décidé de me renseigner auprès de deux autres élèves directs de Hisa à l’époque du Kansai Aikido Club et ils ont respectivement déclaré ce qui suit :

Kobayashi Hirokazu n'est pas un élève de Hisa. Il ne fait pas partie du Takumakai. Communication privée avec un des plus anciens élèves du Kansai Aikido Club de Hisa Takuma, août 2018
Je ne peux pas imaginer que Kobayashi Hirokazu ait été suffisamment exposé au Daito-ryu. Il a juste pris en main le club d’Aikido de Kobayashi Kiyohiro et de Kawabe Takeshi en tant que l’un de ses dojo d’Aikido et leur a enseigné l’Aikido. Communication privée avec un autre des plus anciens élèves du Kansai Aikido Club de Hisa Takuma, août 2018

Ce que l'on sait jusque-là

Pour résumer, oui, Kobayashi Hirokazu a peut-être appris certaines techniques de Hisa Sensei à un moment donné, mais ce fut pour une période courte et probablement de manière plutôt informelle. Compte tenu de l'étendue du programme d'études du Daito-ryu et du temps nécessaire pour le maîtriser, il est peu probable que Kobayashi Hirokazu ait suffisamment appris pour pouvoir l'enseigner. En revanche, Hisa était bien connu pour sa tendance à enseigner soit le « style Aikido » soit le « style Daito-ryu », selon le contexte et le public. Kobayashi Hirokazu étant un élève d’O-Sensei et un représentant officiel de l’Aikikai, on peut penser que Hisa aurait pu lui montrer des techniques en adéquation avec celles d’O-Sensei. Cette façon d'adapter le matériel enseigné à chaque élève est en fait assez courante chez les enseignants de Daito-ryu.

En tant que pratiquant d'Aikido et de Daito-ryu Aiki-jujutsu, je vois personnellement beaucoup plus d'Aikido d'après-guerre que de Daito-ryu dans les techniques de Kobayashi Hirokazu disponibles en vidéo. Bien sûr, il est de valeur relativement limitée de juger de telles choses à partir de vidéos, mais j'ai récemment été invité à enseigner dans un dojo européen fondé par des élèves de Kobayashi Hirokazu et j'ai eu la même impression lorsque je me suis entraîné avec eux. Ce sentiment a été renforcé lorsque j'ai participé à des entraînements à Osaka sous la direction de Kimura Shihan. Il est toutefois indéniable que la pratique de Kobayashi Hirokazu et de ses élèves est très intéressante et que certains éléments rappellent quelque peu le Daito-ryu. Bien sûr, tout cela fait sens étant donné que le lien existait, mais ces éléments précités ne constituent qu’une petite partie de leur pratique et, autant que je sache, ils ne semblent pas être organisés et interconnectés de la même façon qu'en Daito-ryu.

Qu'en est-il du reste de la lettre ?

Cette lettre comporte une section très intéressante dans laquelle M. Cognard raconte l'une de ses expériences personnelles avec des pratiquants de Daito-ryu :

Récemment, j'ai donné des cours lors d'un stage auquel différentes écoles ont participé, notamment des élèves du Takumakai et le[s] Shihan[s] du Daito-ryu en Europe. À la fin du stage, ils m'ont demandé depuis combien de temps je pratiquais le Daito-ryu car ils reconnaissaient leurs techniques dans les miennes. André Cognard – Aikido and Daito-ryu in Osaka: The Unknown Connection between Takuma Hisa and Hirokazu Kobayashi – Aikido Journal, 3 février 2015

Personnellement, j’ai eu une expérience similaire lorsque j'ai commencé le Daito-ryu. Certains membres du Takumakai à Osaka se référaient à moi comme leur sempai, uniquement parce que j'avais commencé l'Aikido avant qu'eux ne débutent le Daito-ryu. Une fois encore, nous constatons que la distinction entre l’Aikido et le Daito-ryu en tant qu’appellations distinctes n’est peut-être pas aussi stricte que nous le pensons, au moins dans l’esprit de certains pratiquants de Daito-ryu. En outre, ces personnes m'ont félicité pour ma technique de Daito-ryu, mais il est clair que cela en dit plus sur la politesse et l’humilité japonaise que sur la qualité de ma technique, qui n’était pas bonne du tout.

A haut niveau, l'Aikido et le Daito-ryu ont tendance à se ressembler, mais mes professeurs de Daito-ryu me disent souvent que la mécanique qui les sous-tend est différente. Bien que M. Cognard soit indéniablement très avancé en Aikido, le niveau des personnes qui lui ont fait ces remarques n’est pas dit. Il serait intéressant de savoir s'ils avaient un niveau suffisant pour percevoir les aspects les plus subtiles de sa pratique. Je n'ai pas encore eu l'occasion de demander aux instructeurs européens du Takumakai si ce sont eux qui avaient fait ces commentaires, mais il serait très intéressant de savoir en quoi ce qu'ils ont vu leur a rappelé leur propre pratique, car cela nous mènerait vers un domaine d’analyse très intéressant afin de déterminer si les mécaniques de l’Aikido de haut niveau sont les mêmes que celles de Daito-ryu.

L’affirmation de M. Cognard la plus potentiellement lourde de conséquences est peut-être celle qui suggère que Takeda Tokimune, le fils de Takeda Sokaku, considérait Kobayashi Hirokazu comme le plus grand expert du Daito-ryu :

Un jour, j'ai entendu Tokimune Takeda dire : « Ton maître est le plus grand expert du Daito-ryu que je connaisse ». Traditionnellement, on enseigne cinq immobilisation, Kobayashi Sensei en enseigne 12. André Cognard – Interview with André Cognard (2) par Stanley Pranin, 24 juin 2013

Takeda Tokimune a succédé à son père après le décès de ce dernier et il était directeur du Daito-ryu au moment où il aurait dit cela à M. Cognard. Si elle est authentique, cette déclaration aurait d’énormes répercussions sur l’ensemble de la ligne principale du Daito-ryu. Il serait intéressant de vérifier si cette affirmation peut être confirmée par les élèves de Takeda Tokimune, mais jusqu'à présent, il semble que cela ne soit pas le cas. Étant personnellement en dehors de cette lignée particulière du Daito-ryu, j'ai décidé de demander des éclaircissements à Antonino Certa et Emmanuel Clérin, deux shihan en Daito-ryu de la lignée de Takeda Tokimune qui résident en Europe, et ils ont répondu ce qui suit :

Je sais seulement que lors de tous mes voyages à Abashiri, les élèves âgés de Tokimune Sensei n’ont jamais parlé de cela ni de M. Cognard. Si vraiment Tokimune Sensei, et je ne le crois pas, a dit ces mots, les anciens élèves du Daito-kan se seraient souvenus de cette personne. De plus, le nafudakake (un porte-plaque affiché dans un dojo qui contient le nom des élèves) de l'ancien dojo Daito-kan et celui du Nakagawa Ise Budokan ne portaient pas son nom. Antonino Certa - Communication privée, décembre 2018
Je ne comprends pas ce lien entre Kobayashi Hirokazu et le Daito-ryu et encore moins avec Takeda Tokimune. Il a été élève de Ueshiba Morihei mais à aucun moment il n'est fait mention de sa pratique du Daito-ryu. En outre, dans toutes les vidéos que j'ai pu voir, je n'identifie aucun lien technique direct avec le Daito-ryu. C'est vraiment de l'Aikido pur Ueshiba. Honnêtement, les termes rapportés ne collent pas vraiment avec la personnalité de Tokimune. Je ne le vois pas avoir ce genre de propos, quelque part discriminants pour ses élèves. Emmanuel Clérin - Communication privée, janvier 2019

Il semble donc que quelles que soient la nature des relations entre Kobayashi Hirokazu et Takeda Tokimune, le premier n’était pas un élève officiel du second. J'ai aussi examiné le eimeiroku (le registre dans lequel Sokaku et Tokimune ont entré les noms des personnes qui ont étudié avec eux) de Takeda Tokimune qui se trouve dans les archives d'Aikido Journal et je n'ai pas pu trouver le nom de Kobayashi Hirokazu, alors que par exemple, le nom de Kobayashi Kiyohiro s'y trouve.


Extrait du eimeiroku des Takeda montrant le nom de Kobayashi Kiyohiro

En ce qui concerne la déclaration sur le nombre d'immobilisations, les deux shihan ont séparément répondu ceci :

Personne à Abashiri n'a jamais compté le nombre d’immobilisations. Comme tu le sais, nous suivions une formation basée sur les 118 techniques du Hiden Mokuroku. Et si nous les comptions vraiment, ce que je ne fais pas, le nombre serait beaucoup plus élevé que 12. Antonino Certa - Communication privée, décembre 2018
Je ne comprends pas ce point à propos de cinq immobilisations, parlons-nous de ce qui deviendra ikkyo, nikyo, sankyo, yonkyo et gokyo ? Basé sur les enseignements avancés de Tokimune, on trouve au moins une demi-douzaine d'immobilisations dans le seul ikkajo. Emmanuel Clérin - Communication privée, janvier 2019

J'ai posé la question à mes propres enseignants de Daito-ryu et aucun d'entre eux ne semblait savoir ce que ces 12 immobilisations pouvaient signifier. Si l'occasion se présentait, il serait intéressant de savoir dans quelles circonstances Takeda Tokimune avait parlé, et ce que M. Cognard pense que Tokimune voulait dire lorsqu'il lui avait fait cette déclaration.Je me permets de reproduire ici un extrait de communication entre Josh Gold et André Cognard, suite à la lecture de mon article : « Au sujet de ma supposition que Maître Kobayashi était un expert et un Shihan du Daito-ryu, j'ai peut-être extrapolé ce que j'ai entendu lors la réunion que j'ai mentionnée dans l'entretien avec Stanley Pranin. Profitant du fait que Kobayashi Sensei s’était absenté pendant quelques minutes alors que nous dînions ensemble, Tokimnue Takeda m'a dit que ce dernier était un grand expert de Daito-ryu. Concernant la supposée expertise de Kobayashi sensei, à en juger par le témoignage de M. Erard, il s'agissait probablement d'une eulogie des qualités de mon maître destinée au jeune élève que j'étais. Mon enthousiasme à cette époque m'a probablement amené à prendre pour argent comptant ce qui n'était en réalité qu'une courtoisie de la part du maître Tokimune Takeda. » André Cognard - Communication privée avec Josh Gold, 17 janvier 2019

Pour conclure cette analyse, bien qu’il ne soit pas directement lié au Daito-ryu, j’estime qu’un autre passage mérite notre attention :

Je pense que l'Aikikai a fait tous les efforts possibles pour effacer Kobayashi Hirokazu de l'histoire de l'Aikido. Étant donné que l’Aikikai reconnaissait officiellement les liens de Kobayashi Sensei avec Hisa Takuma, il était facile de dire qu’il pratiquait le Daito-ryu plutôt que l’Aikido et de le supprimer de la liste des élèves de Ueshiba Morihei. André Cognard – Aikido and Daito-ryu in Osaka: The Unknown Connection between Takuma Hisa and Hirokazu Kobayashi – Aikido Journal, 3 février 2015

Je connais très peu de choses au sujet de la relation entre Kobayashi Hirokazu et l'Aikikai. C’est un sujet que peu de ses élèves sont disposés à aborder ouvertement et cela va bien au-delà du propos de cet article, mais il semble que Kobayashi Hirokazu ait été promu au 8e dan par l’Aikikai en 1970, donc après le décès de O-Sensei. Il était également présent avec Ueshiba Kisshomaru et les autres shihan de l'Aikikai lors du premier congrès de la Fédération Internationale d'Aikido qui s'est tenu à Tokyo en 1976. Je crois savoir que Kobayashi Hirokazu est resté toute sa vie un shihan Aikikai.

Le premier congrès de la Fédération Internationale d'Aikido s'est tenu à Tokyo en 1976. Kobayashi Hirokazu est à droite.

Il ne fait aucun doute que certaines tensions avec l'Aikikai semblent semblent avoir existé, mais la raison qui m'a souvent été invoquée est que Kobayashi Hirokazu a commencé à donner des grades en dehors du cadre de l'Aikikai. Par exemple, il a attribué le 7e dan à André Nocquet en 1973, à une époque où Nocquet et l'Aikikai n'étaient plus en très bons termes.

Kobayashi Hirokazu remettant le 7e dan de sa propre organisation, le Osaka Aikido Hombu à André Nocquet le 6 juillet 1973.

M. Cognard a lui-même été promu au 8e dan en 1997 par Kobayashi Hirokazu en dehors du cadre de l’Aikikai.

De toutes les connexions, j’aurais aussi tendance à penser que la relation de Kobayashi Hirokazu avec Tomiki Kenji, dont M. Cognard a parlé dans Aikido Journal, aurait été beaucoup plus susceptible de le mettre en porte-à-faux par rapport à l’Aikikai. Bien que je n’ai pas l’intention d’enquêter davantage sur cette affaire, ces faits semblent plus susceptibles d’expliquer une brouille - et encore une fois, Kobayashi Hirokazu est resté au sein de l’Aikikai toute sa vie - que son statut discutable sous Hisa bien des années avant.

Conclusion

De par mon intérêt pour l'histoire de l'Aïkido, et en particulier la période du Journal Asahi, j'estime qu'il est important de brosser un tableau aussi précis que possible à la lumière des preuves dont nous disposons. C'est une période vraiment essentielle pour le développement de l'Aikido et elle mérite une étude minutieuse et une interprétation mesurée des faits. Je voudrais préciser que cet article n’est pas une attaque contre M. Cognard, ni une critique de sa légitimité en tant qu’enseignant. Je n'ai jamais rencontré M. Cognard personnellement, ni aucun de ses élèves directs. À tous égards, il est un instructeur très compétent et son école est très prestigieuse. En effet, j'estime que sa lignée particulière pourrait comporter des éléments supplémentaires de réponse à la question de savoir ce qui fait de l'Aikido une entité propre, plutôt que simplement un style ou une forme amoindrie de Daito-ryu. En fait, M. Cognard a eu la gentillesse de lire mon article avant publication et il m'a fait part via Josh Gold, le rédacteur en chef d'Aikio Journal, de son appréciation pour mon travail.

Je ne peux que reconnaître que les recherches menées par M. Erard démontrent que les relations entre Kobayashi Hirokazu sensei et Daito-ryu étaient relativement superficielles. Sa démonstration m'a convaincu. [...] Je salue le travail d’investigation de M. Erard sur ce projet. On ne peut que s'incliner devant de telles preuves. Je le remercie d'avoir ouvert cette porte au dialogue. André Cognard - Communication privée avec Josh Gold, 17 janvier 2019

Je tiens à mon tour à remercier André Cognard de son honnêteté intellectuelle et son ouverture d'esprit, ainsi que Josh Gold pour avoir fait en sorte que ce travail aboutisse à une issue positive pour tous et qu'il serve d'exemple pour l'ensemble de la communauté de l'Aikido. De mon côté, j'ai décrit ici les éléments que j'avais à ma disposition et proposé mes propres interprétations. Je serai heureux de reconsidérer mes conclusions et d’être corrigé si des preuves nouvelles ou contradictoires sont présentées. J'éditerai cet article en conséquence, à mesure que de nouveaux éléments seront disponibles, n'hésitez pas à le signaler ou à en discuter dans la section commentaire ci-dessous.

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À-Propos

Guillaume Erard est titulaire du titre de Shihan 6e Dan en Aïkido (Hombu Dojo de l’Aïkikaï, Tokyo) et du titre de Kyōshi 5e Dan en Daïto-ryu Aiki-jujutsu (Hombu Dojo de Shikoku). Résident permanent au Japon, il dirige un dojo d’Aïkido à Yokohama et anime régulièrement des stages internationaux. Il est docteur en biologie moléculaire et titulaire d’un Master 2 en sciences de l’éducation. Ses recherches portent notamment sur les dimensions pédagogiques et historiques de la transmission des arts martiaux japonais. Il a publié de nombreux articles dans des revues spécialisées en France et au Japon, et a collaboré à la rédaction du dernier ouvrage de Christian Tissier.

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