Histoire du Hombu Dojo de l'Aïkikaï

Histoire du Hombu Dojo de l'Aïkikaï

Bien que l’association entre le quartier de Shinjuku de Tokyo et le Hombu Dojo de l'Aïkikaï aille de soit pour tous les pratiquants affiliés à l'organisation, l'imposant bâtiment de cinq étages accueillant effectivement des centaines de pratiquants venus du monde entier chaque année, peu d'entre eux connaissent vraiment l'histoire de ce lieu de pèlerinage. Par exemple, le fait que ce n'est qu'à l'âge de 48 ans que Ueshiba Morihei, le fondateur de l'aïkido, a établi son dojo et son organisation de façon permanente dans le quartier que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Wakamatsu-cho. Je voudrais donc revenir avec vous sur l'histoire du Hombu Dojo et l’établissement de l’aïkido à Tokyo.

Une succession de dojo provisoires

Ueshiba Morihei s'établit à Tokyo en 1926 suite à l'invitation de l'Amiral de la Marine Impériale Takeshita IsamuTakeshita Isamu (竹下 勇, 1870 - 1949) était un amiral de la marine impériale japonaise. Il était également un diplomate ayant contribué à mettre fin à la guerre russo-japonaise. Pratiquant passionné d'arts martiaux japonais, il soutien particulièrement le developpement du judo, du sumo et l'aïkido.. L'homme d'affaires Umeda KiyoshiUmeda Kiyoshi (梅田 潔, 1873  - 1953) était politicien et homme d'affaires originaire de la préfecture d'Aomori. Il effectue notablement un mandat de Membre de la Chambre des Représentants et est membre de l'Assemblée du quartier de Yotsuya. met une partie de sa maison de Aizumi-cho dans le quartier de Yotsuya à disposition afin que celle-ci serve d'habitation et de dojo à Morihei. Le reste de la famille Ueshiba ne quitte Ayabe pour venir vivre à Tokyo qu'en Septembre 1927. Peu après, Morihei déménage dans une autre maison prêtée gratuitement par l'industriel Morimura IchizaemonMorimura Ichizaemon (森村 市左衛門) est le nom donné aux propriétaires successifs de la famille d'industriels Morimura. On parle probablement ici du 7e du nom Ichizaemon, le fils du fondateur du conglomérat Morimura., cette fois-ci dans le quartier de Shinagawa. Cette maison sert elle aussi de dojo. En 1927, Yamamoto Kiyoshi, le fils de l’amiral Yamamoto GombeiYamamoto Gombei (山本 権兵衛, 1852 - 1933) était un samouraï, Amiral de marine, et homme politique ayant servi deux fois comme premier ministre,de 1913 à 1914, puis 1923 à 1924. Il est l'un des premier soutiens de Ueshiba Morihei à partir de 1925 et contribué à l'aider à s'établir à Tokyo au milieu des années 1920. permet à Morihei de louer pour 25 Yen par mois une maison compacte de trois étages à Shirogane, Shiba.

Dojo temporaire à Shirogane-Sarumachi, Shiba. Sur la gauche d'Ueshiba Morihei se trouve Takesahita Isamu.

L'entraînement prend place dans la résidence secondaire du Duc ShimazuShimazu Tadashige (島津 忠重, 1886 - 1968), était le fils de Shimazu Tadayoshi et 30e chef du clan Shimazu. Il était officier de marine et contre-amiral dans la marine impériale japonaise., dans une salle de billard reconvertie en grand dojo d'une centaine de tatami. C'est à cette période que de nombreux officiers et dignitaires reçoivent l'enseignement de Morihei. En 1928, la famille Ueshiba déménage une fois de plus dans une propriété mise à disposition par le Baron Utsumi KatsujiUtsumi Katsuji (内海 勝二, 1887 -1967) est né à Tokyo dans une famille d'aristocrates. Diplômé du Département de science politique de l'Université Keio en 1912, il a été directeur d'instituts de recherche chimique et médiateur du Tribunal civil du district de Tokyo. Il devient Baron à la mort de son père en 1905. à Tsunamachi, Shiba. Le dojo est également établi au même endroit. La famille loue ensuite au Commandant Matsushita une maison à Kurumamachi, Shiba pour 85 Yen par mois. La maison est très petite et la salle d'entraînement ne fait que 8 tatami, forçant le nombre croissant d’élèves à pratiquer alternance. Le dojo change une fois de plus de place en 1930 pour s’établir dans le quartier de Meijirodai durant la construction d'un nouveau dojo permanent. C'est dans le dojo de Meijiro que Morihei reçoit la visite de Kano JigoroKano Jigoro (嘉納 治五郎, 1860 - 1938) est le fondateur du judo. Né près de Kobe, il officie comme directeur de l'enseignement primaire pour le ministère de l'Éducation de 1898 à 1901 et en tant que président de l'école normale supérieure de Tokyo de 1900 à 1920. Il a joue un rôle clé dans l'intégration du judo et du kendo dans les programmes des écoles publiques japonaises dans les années 1910. Les innovations pédagogiques attribuées à Kano incluent l'utilisation de ceintures noires et blanches et l'introduction du système de classement dan. Kano était également un pionnier du sport international. Il a été le premier membre asiatique du Comité International Olympique de 1909 à 1938, le représentant officielle du Japon à la plupart des Jeux Olympiques organisés entre 1912 et 1936, et un porte-parole de premier plan pour la candidature du Japon aux Jeux olympiques de 1940..

Construction du Kobukan

Avec le nombre croissant de nouveaux élèves, il est temps de trouver un endroit plus adapté. Grâce au patronage de nombreux dignitaires et bienfaiteurs, en particulier l'amiral Takeshita Isamu, le Fondateur parvient en 1931 à faire construire un dojo dédié à la pratique de l'aïkido dans le quartier de Walamatsu-cho dans le quartier d'Ushigome (actuellement connu sous le nom de Shinjuku). C'est un homme du nom de Hattori, le manager des propriétés de la famille Ogasawara, qui facilite la vente de l'une des résidences de la famille se trouvant à l'endroit qui est aujourd'hui encore le site du Hombu Dojo.

Cérémonie d'ouverture du Kobukan (avril 1931). La banderole au fond du dojo est une calligraphie de Deguchi Onisaburo et dit « Ueshiba Juku » (植芝塾, école Ueshiba)

Le bâtiment en bois d'environ 120 mètres carrés (80 tatami) est nommé Kobukan (皇武館道場, dojo du guerrier impérial). Une fois fini, l’édifice sert également de logement à la famille Ueshiba, ainsi qu'à une vingtaine d'uchi deshiLe terme uchi deshi (内弟子) veut littéralement dire « élève du dedans ». Il désigne un apprenti résidant qui s'entraîne et assiste un enseignant à plein temps. Le système existe en kabuki, rakugo, shogi, igo, aikido, sumo, karaté et autres arts martiaux japonais modernes. En aikido, ce terme désigne uniquement les élèves ayant vécu au dojo avec Ueshiba Morihei et/ou Ueshiba Kisshomaru. Les derniers uchi deshi en aïkido sont donc Chiba Kazuo, Kanai Mitsunari, Saotome Mitsugi, et Kurita Yutaka. Avec la construction du nouveau bâtiment, doshu ne vit au dojo, mais dans une maison à côté. A partir de cette époque, le terme sumikomi shidoin (住み込み指導員, instructeur à domicile) remplace le terme uchi deshi."}" data-sheets-userformat="{"2":513,"3":{"1":0},"12":0}">Le terme uchi deshi (内弟子) veut littéralement dire « élève du dedans ». Il désigne un apprenti résidant qui s'entraîne et assiste un enseignant à plein temps. Le système existe dans de multiples corps de métier et disciplines japonaise. En aikido, ce terme désigne uniquement les élèves ayant vécu au dojo avec Ueshiba Morihei et/ou Ueshiba Kisshomaru. Les derniers uchi deshi en aïkido sont donc Chiba Kazuo, Kanai Mitsunari, Saotome Mitsugi, et Kurita Yutaka. Avec la construction du nouveau bâtiment du Hombu Dojo en 1967, doshu ne vit au dojo, mais dans une maison à côté. A partir de cette époque, le terme sumikomi shidoin (住み込み指導員, instructeur à domicile) remplace le terme uchi deshi.. Le programme consiste en deux cours le matin et trois le soir, avec des sessions libres entre chaque. A cause du rythme et de la sévérité des entraînements, ainsi que de la présence de pratiquants très avancés issus d'autres disciplines, le dojo devient rapidement connu en tant que « Dojo de l'Enfer d'Ushigome ». Cet âge d'or pour l’aïkido est aussi le moment où un certain nombre de dojo satellites sont ouverts à Tokyo et Osaka. L'art pratiqué à l’époque par Ueshiba est nomme aïki-jujutsu puis, aïki-bujutsu, et plus tard, aïki-budo. Cette période est aussi un moment où Morihei s'associe particulièrement étroitement aux milieux d’extrême droite auxquels il avait été initialement exposé via la religion Omoto, dont la KokuryukaiLe Kokuryukai (黑龍會; Société du Dragon noir) était un groupe paramilitaire et ultranationaliste de premier plan fondé en 1901. Durant les années 1920-1930, ses liens étroits de ses membres avec les principaux membres du gouvernement, les chefs militaires et les chefs d'entreprise puissants lui donnent un pouvoir et une influence bien plus grands que la plupart des autres groupes ultranationalistes. En 1924, le capitaine de la marine à la retraite Yano Yutaro et ses associés invitent le chef de l'Omoto, Deguchi Onisaburo, à un voyage en Mongolie. Onisaburo part en 1924 avec un groupe de disciples, dont le fondateur de l’aïkido Ueshiba Morihei pour un périple qui se terminera en fiasco total. Le Kokuryukai est officiellement dissous sur ordre des autorités d'occupation américaines en 1946. et la SakurakaiLe Sakurakai (桜会, Société des fleurs de cerisier) était une société secrète ultranationaliste établie par de jeunes officiers au sein de l'armée impériale japonaise en septembre 1930, dans le but de réorganiser l'État selon des lignes militaristes totalitaires, via un coup d'État militaire si nécessaire. Leur objectif avoué était une restauration Showa, qui, selon eux, rétablirait l'empereur Hirohito à sa place légitime, libre de toute politique de parti et de bureaucrates pervers dans une nouvelle dictature militaire. L'un des dirigeants éminents était Kuniaki Koiso, futur Premier ministre du Japon (de 1944 à 1945). Les membres du Sakurakai ont tenu des réunions dans un dojo dirigé par le fondateur de l’aïkido Ueshiba Morihei, ainsi qu'au siège de la religion Oomoto à Ayabe. Par deux fois en 1931, le Sakurakai et des éléments ultranationalistes civils ont tenté sans succès de renverser le gouvernement, ce qui conduira à sa dissolution., cette dernière tenant certaines de ses réunions au sein même du Kobukan.

Création du Kobukai

L’établissement d'une entité administrative pour faciliter la gestion des finances et des activités de Morihei à Tokyo devient une nécessité et en 1939, et plusieurs de ses principaux partisans aident Morihei à établir une structure à but non-lucratif, le Zaidan Hojin Kobukai (財団法人皇武会), le 30 Avril 1940. L'approbation officielle se fait via Tomosue Yoji, fonctionnaire du Ministère de la Santé. L'un des principaux donateurs est l'homme d'affaires Miyazaka Shozo qui a fait don de 20 000 Yen à la fondation. Le premier président n'est autre que l'amiral Isamu Takeshita et le vice-président est le général Katsura Hayashi. Parmi les membres du conseil figurent le prince Konoe FumimaroLe prince Konoe Fumimaro (近衞 文麿, 1891 - 1945) était un homme politique et premier ministre japonais. Au cours de son mandat, il a présidé l’invasion japonaise de la Chine en 1937 et la rupture des relations diplomatiques entraînant l’entrée du Japon dans la Seconde Guerre mondiale. Il a également joué un rôle central dans la transformation de son pays en un État totalitaire en adoptant la loi de mobilisation nationale et en fondant l'Association d'assistance à la règle impériale. Malgré les tentatives de Konoe pour résoudre les tensions avec les États-Unis, le calendrier rigide imposé aux négociations par l'armée et l'inflexibilité de son gouvernement concernant une résolution mettent le Japon sur la voie de la guerre. N'ayant pas réussi à conclure un accord de paix, Konoe démissionne de son poste de Premier ministre le 18 octobre 1941 avant le déclenchement des hostilités. Cependant, il reste un proche conseiller de l'empereur jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il se suicide le 16 décembre 1945., le marquis Maeda ToshitameLe Marquis Maeda Toshinari (前田 利為, 1885 - 1942), était un général japonais et le premier commandant des forces japonaises dans le nord de Bornéo pendant la Seconde guerre mondiale. Il siège à la Chambre des pairs de la diète japonaise en 1910 tout en poursuivant ses études militaires. Il est diplômé de la 23e classe de l'Army War College en 1911. Etudiant exceptionnel, il reçoit l'épée de l'empereur à la fin de ses études. Il est promu lieutenant général, commandant la 8e division de l’Armée Impériale Japonais en 1937., Godo TakuoGodo Takuo (伍堂 卓雄, 1877 - 1956) était un architecte naval, vice-amiral de la marine impériale japonaise, entrepreneur et ministre dans l'Empire du Japon d'avant-guerre. Après la Seconde Guerre mondiale, Godo est appréhendé par les autorités d'occupation américaines avec la plupart des membres du gouvernement japonais d'avant-guerre sous des accusations de crime de guerre de classe A. Cependant, il est par la suite été libéré sans être jugé. Il continue au poste de président de la Japan Management Association après sa libération., Fujita KinyaFujita Kinya (藤田 欽哉, 1889 - 1970 ) était un ingénieur en conception de terrains de golf au Japon., Okada KozaburoOkada Kozaburo (岡田 幸三郎, 1888 - 1972) était un homme homme d'affaire originaire de la préfecture de Chiba., Tomita KenjiTomita Kenji (富田健治, 1897 - 1977) était un homme politique japonais originaire de Kobe. Diplômé de l'Université de Kyoto, il était gouverneur de la préfecture de Nagano de 1938 à 1940 et a été élu à la Chambre des représentants en 1952. Tomita étudiait le judo et l'aïkido et il a utilisé son influence pour protéger le fondateur de l'aïkido Ueshiba Morihei d'une l'arrestation lors du deuxième incident d'Omoto en 1935 et a été le premier président de l'Aikikai. et Futaki KenzoFutaki Kenzo (二木 謙三, 1873 - 1966) était un médecin japonais qui étudiait les maladies infectieuses..

Mur d'honneur du Kobukan

Un peu plus tard, en 1942, l’aïkido prend enfin son nom définitif. Cependant, il s'agit moins du fruit d'une réflexion sur comment nommer son art et sa philosophie qu'une décision bureaucratique du Dai Nippon Butokukai (大日本武徳会), organisation de tutelle des arts martiaux au Japon, afin de standardiser le nom de la discipline en le calquant sur ceux du judo, du karatedo et du kendo, et permettre à la discipline de rentrer sous son ombrelle.

kobukan-inside-01Intérieur du Kobukan avec le nafudakake, le tableau où l'on recense le nom des élèves du dojo.

Seconde Guerre Mondiale

Avec l'accroissement de l'effort de guerre japonais, la plupart des élèves sont appelés au combat et l’activité ralenti graduellement. Cela coïncide également avec la retraite de Morihei à Ibaraki. Alors que le conflit s'intensifie, l’activité au dojo s’arrête et celui-ci sert à présent d'abri aux familles ayant perdu leurs habitations à cause des fréquents bombardements Américains. Le Kobukan est la seule structure du quartier qui résistera, principalement grâce aux efforts du second Doshu Ueshiba Kisshomaru, le fils du fondateur, qui y demeure à la demande de son père pendant toute la durée du conflit et qui doit souvent risquer sa vie pour éteindre les incendies de la toiture. A la fin de la guerre le 15 août 1945, la Fondation Kobukai est démantelée quand le général MacArthur rend illégale la pratique des arts martiaux. L'administration formelle de l’aïkido, ainsi que Kisshomaru, le dojo-cho, sont déplacés à Iwama pendant les prochaines années afin de permettre la survie de l'art dans un endroit plus discret loin de l'occupant. Pendant un temps, le bâtiment est même utilisé comme une salle de danse pour les troupes d'occupation. Kisshomaru doit faire preuve d'une grande patience pour faire face aux endommagements et aux pillages et le dernier réfugié ne quittera le dojo qu'en 1955.

Fondation de l'Aikikai

Kisshomaru retourne à Tokyo à partir de 1948 où il travaille en tant qu'employé de bureau dans la société Osaka Shoji afin de soutenir sa famille, le fonctionnement du dojo, et la subsistance des élèves vivant au dojo. Les débuts sont difficiles, et le dojo attire peu d'élèves. Les premiers uchi deshi d’après-guerre intègrent le dojo vers 1953. Ce ne sont pourtant pas moins de trois cours par jour qui sont offerts dès le début, Kisshomaru assurant le premier à 6h30 et le dernier à 18h30. Il lui arrive également de s'échapper de son travail pour assurer le cours de l'après-midi lorsque personne d'autre n'est disponible. À cette période, le toit du bâtiment n'est toujours pas réparé et le dojo est divisé en deux par un panneau afin de séparer l'espace occupé par les réfugiés et l'aire de pratique.

Les directeurs de l'ancienne fondation Kobukai décident qu'il est temps de faire reconnaître une fois de plus leur pratique par le gouvernement. Grâce au travail de Ueshiba Kisshomaru, Fujita Kinya, Nishi KatsuzoNishi Katsuzo (西 勝造, 1884 - 1959) est  le fondateur du Nishi Shiki en 1927. Il travaillait également comme ingénieur en chef du premier projet de métro du Japon. Il était aussi professeur d'aïkido au Hombu Dojo, et son exercice « du poisson rouge » (kingyo undo) est encore pratiqué aujourd'hui pendant les échauffements."}" data-sheets-userformat="{"2":513,"3":{"1":0},"12":0}">Nishi Katsuzo (西 勝造, 1884 - 1959) est le fondateur du système de santé qui porte son nom. Il travaillait également comme ingénieur en chef du premier projet de métro du Japon. Il était aussi professeur d'aïkido au Hombu Dojo, et son exercice « du poisson rouge » (kingyo undo) est encore pratiqué aujourd'hui pendant les échauffements., Seko SeiichiSeko Seiichi (1910 - 1999) était membre de la Fondation Aikikai et a été le premier secrétaire général de la Fédération Internationale d'Aïkido. et Nakayama Koshi, la Fondation Aikikai (財団法人合気会, Zaidan Hōjin Aikikai) est officiellement approuvée le 9 février 1948 par le Ministère de l'Éducation, ce qui relance officiellement la pratique de l'aïkido dans l'archipel nippon après des années de mise en sourdine.

Le texte qui suit est la lettre accompagnant la demande d'autorisation de la Fondation Aikikai envoyée au Ministère :

1. Aikido

Rien dans le monde n'est plus précieux que la santé. Un esprit puissant et de forte vitalité ne peut émerger que d'un corps sain. Nous croyons fermement au fait que ces corps et esprits solides vont jouer un rôle vital dans la reconstruction du Japon.

L’aïkido reflète notre destinée à coexister comme des êtres naturels. La position triangulaire distincte en hanmi (posture) de l'aïkido est en rapport avec le concept de la « voie du milieu », qui est telle que, « Si mise en évidence, elle se répandra dans le monde entier, tandis que si elle est gardé secrète, son existence va disparaître de la vue ».L'auteur de cette citation est Ninomiya Sontoku (二宮 尊徳, 1787 - 1856), un éminent dirigeant agricole japonais du XIXe siècle, philosophe, moraliste et économiste. En tant qu'art de culture de la santé, l'aïkido unit le corps et l'esprit avec la terre et le ciel. Il développe aussi l'habileté de se défendre contre ceux qui veulent nous nuire. Les mouvements de l'aïkido sont circulaires lorsqu'on se défend, comme un carré lorsqu'on se déplace vers l'extérieur, comme un cône lorsqu'on est en garde en position debout, comme une spirale lorsqu'on est en mouvement, et comme un bijou lorsqu'on va vers l'intérieur. Le caractère fluide et en constante évolution de l’aïkido échappe à toute tentative de description. Il est possible que les traitements du légendaire docteur KadaKada (華佗, c. 130 - 208) est un médecin légendaire avec un talent extraordinaire pour les produits pharmaceutiques et l'acupuncture et la moxibustion. On dit qu'il est mort au chômage parce qu'il a refusé de céder au pouvoir tout en accumulant une haute morale médicale. fussent de même nature.

Les multiples facettes de l’aïkido pourraient nous amener à le comprendre comme une activité combinant l'étude de la santé avec les arts de kagura no maiKagura no mai (神楽舞) est un type de danse cérémonielle rituelle shinto. La phrase est une contraction de kami no kura (siège de Dieu), indiquant la présence de Dieu dans la pratique. Une fonction majeure de Kagura est la purification. Il s'agit des danses qu’effectuaient Ueshiba Morihei avec un jo ou un bokken.. Il est aussi un art d'éducation physique, un outil puissant pour la formation du caractère, et une façon de cultiver la vitalité, pour construire le palais d'or pour la vie. Aussi bien les hommes que les femmes peuvent le pratiquer. Au fur et à mesure que ses techniques sont perfectionnées, l'esprit, ainsi que le corps, subissent une purification. Cette expérience rafraîchit tellement le pratiquant qu'il atteint un état supérieur : « L'état de néant, une excellence naturelle à partir de laquelle, sans intention, on répond librement et spontanément à l'évolution de flux d'événements. » Ce passage cite un rouleau écrit par Kaishu Katsu (勝 海舟) pour Jigoro Kano..

L’aïkido offre la possibilité de mouvements infinis dans toutes les directions, s'adaptant à l'évolution de toutes les situations qui se présentent. Tout naturellement une énergie puissante accumule de sorte que hashin ichinyohashin ichinyo (八魂一如), huit corps ou plus n'en devenant qu'un devient facile, ainsi, le corps et l'esprit entrent naturellement en équilibre. L’aïkido guide également le pratiquant qui cherche à atteindre les quatre vertus : flexibilité, force indomptable, sagesse et sincérité. C'est seulement via sa pratique personnelle que l'on peut maîtriser ces idées et les comprendre, comme le proverbe nous le rappelle, ils sont « plus facile à dire qu'à faire. » Le secret de la maîtrise est tout simplement : on maîtrise la Voie de l'aïkido via une pratique active.

2. L' histoire du développement de l'Aïkikaï

Le 21 Octobre 1939, un groupe dirigé par messieurs Fujita Kinya et Okada Kozaburo a réuni un large éventail de partisans issus de tout le Japon lors d'une réunion inaugurale visant à établir une fondation pour promouvoir et diffuser les enseignements de l'aïkido. L’aïkido a été créé par monsieur Ueshiba Morihei, qui gère un établissement privé au 102 Wakamatsu-cho, Ushigome-ku. Tokyo. Le 14 Novembre 1939, la fondation a obtenu l'autorisation officielle, et pendant les sept ans qui ont suivi, elle a œuvré pour le développement et l'éducation des disciples. Au cours du demi-siècle dernier, la nation a été conduite sur un chemin incorrect, déviant de la vraie Voie. Suite à la défaite du Japon pendant la guerre, un retour à la voie de la sincérité et de la vertu est devenu possible. Jusqu'à présent, afin d'éviter sa cooptation à des fins erronées, l'aïkido a maintenu une posture discrète et a opéré sur une échelle réduite, s'abstenant de faire une promotion active de l'art et ne formant que ceux reconnus pour être de caractère bienveillant. Nous avons enseigné cet art seulement à ceux qui voulaient en faire une utilisation positive et altruiste. Dans les circonstances nouvelles du moment présent, nous pouvons maintenant commencer à exprimer l'esprit original et véritable de l’aïkido plus ouvertement.

3. Les plans pour l'avenir

L'aïkido est un art à la signification profonde. Une fois qu'il sera mis à la disposition de tous, il se répandra au loin, se connectant à tous les niveaux de la société plutôt que seulement avec une élite. Son potentiel d'expansion est illimité. Cependant afin de le comprendre, il faut participer et pratiquer réellement.

Le fondateur de l'aïkido, Ueshiba Morihei, est un génie rare, et non une personne aux intérêts étroitement professionnels. Son taijutsu se base sur en entraînement qui donne la plus haute priorité à l'amour mutuel entre les êtres humains. Même si les techniques d’aïkido peuvent être appliquées dans des situations de vie ou de mort, l'aïkido est lui-même connecté à l'amour du cœur. Les techniques d'aïkido démontrent l'exécution de la justice par l'amour. Il devrait être évident que les techniques d'aïkido existent afin de protéger l'amour humain. Quel genre de technique serait-il sans amour? L'aïki se prononce comme les caractères amour et énergieNotez ici l'utilisation de l'homophonie entre le ai d'aïkido (合) et le ai d'amour (愛). , et les significations sont liées.

Tenant compte de ces croyances comme un guide, Ueshiba Morihei s'entraîne diligemment depuis plusieurs décennies. Pendant la guerre du Pacifique, il a fermé temporairement le Hombu Dojo situé au 102 Wakamatsu-cho, Ushigome-ku, Tokyo. Dans le même temps, il a construit une ferme aïki et un dojo à Shimogo Iwama-cho, dans la préfecture d'Ibaraki, où il avait précédemment acheté sept hectares de terrain. Il a transféré sa résidence à Iwama et s'est consacré à l'agriculture, accueillant ceux qui venaient de près et de loin. Il a continué à enseigner l'aïkido avec comme principe le fait que les les mouvements du corps de l’aïkido doivent être les mêmes que les mouvements d'agriculture.

Cette nouvelle application inclus quelques modifications aux règles de la Fondation Aïkikaï. Alors que l'esprit et l'intention de la fondation restent inchangés, certaines reformulations ont été nécessaires afin que ses principes ne soient pas mal interprétés dans le contexte des circonstances nationales et internationales actuelles. Nous avons aussi jugé bon de changer l'emplacement officiel du Hombu Dojo de l'aïkido à Iwama, où Ueshiba Morihei, aujourd'hui président de la nouvelle fondation, a établi sa résidence permanente.

<p">Une fois que cette application recevra l'approbation officielle, l'ancien Hombu Dojo à Wakamatsu-cho, Ushigome sera désigné comme un dojo de branche affiliée au Hombu Dojo d'Iwama. Il est prévu que le dojo de Wakamatsu-cho offre une formation qui réponde aux besoins de l'époque, et de cette manière, fasse une modeste contribution à la reconstruction d'un nouveau Japon.

Déclaration (上申書) adressée par Ueshiba Kisshomaru au Ministère de l'Education en 1948.

Ce sont en fait les autorités qui ont recommandé le déplacement administratif temporaire du Hombu Dojo vers Iwama, principalement dans le but d'éviter les frictions avec les forces d'occupation. En 1948, le nom du dojo principal est changé en « Aikido Hombu Dojo de la Fondation Aikikai » (合気道本部道場 公益財団法人合気会) et il n'est transféré du dojo d'Iwama vers celui de Tokyo qu'en 1953.

kobukan-1967Le Kobukan en 1967

La publication de l'Aikikai-ho, le journal de la fondation, démarre en 1950 et elle se poursuit encore aujourd'hui sous la forme de l'Aikido Shinbun. Ensuite, O Sensei lui-même commence à revenir fréquemment enseigner à Tokyo. La prise en mains du dojo par Kisshomaru ouvre les portes aux non-Japonais. En 1955, le Hombu Dojo accueille pour trois ans André NocquetAndré Nocquet (1914 - 1999) était un professeur 8e dan d'aïkido. Il a été l'un des tout premiers non-japonais à pratiquer cet art et le premier uchi deshi étranger du Hombu Dojo."}" data-sheets-userformat="{"2":513,"3":{"1":0},"12":0}">André Nocquet (1914 - 1999) était un professeur 8e dan d'aïkido. Il a été l'un des tout premiers non-japonais à pratiquer cet art et le premier uchi deshi étranger du Hombu Dojo., son premier élève résidant étranger. Ce dernier se révèle être un atout majeur pour le développement de l'aïkido au Japon et à l'étranger grâce à ses nombreux contacts dans les ambassades. Le second élève étranger à résider au dojo est l'américain Terry Dobson, il est suivi par un certain nombre d'autres soto deshi dont le Canadien Henry Kono et l'Irlandais Alan Ruddock. En 1963, l'astronaute Americain John Glenn visite le dojo et rencontre Ueshiba Morihei.

ueshiba-glennJohn Glenn rencontrant Ueshiba Morihei au Hombu Dojo en 1963

Construction du nouveau dojo

L'entraînement continue même durant le chaos de l'après-guerre, et peu à peu, le nombre d’élèves augmente. Vers 1955, les cours passent de trois sessions par jour à cinq ; les cours du dimanche commencent vers 1965. En 1967, le dojo en bois est détruit pour faire place à un bâtiment moderne en béton armé de trois étages.

hombu-histoire-05O Sensei présidant la cérémonie shinto marquant le début des travaux de construction du Hombu Dojo en 1967

L’emplacement où se tenait jadis le Kobukan abrite à présent la maison familiale des Ueshiba et le dojo se trouve sur le terrain juste à côté. La construction démarre en mars 1967. Le dojo est dessiné et construit en 10 mois par la société Sugiyama Construction Co. Ltd.

Photo du Hombu Dojo en construction prise par Henry Kono

Le nouveau bâtiment ouvre officiellement ses portes le vendredi 12 janvier 1968 lors d'une cérémonie solennelle. Environ 1 200 personnes viennent de tout le Japon pour célébrer l’occasion. Ueshiba Kisshomaru, suivi par plusieurs invités de marque, prononcent des discours, et des démonstrations sont données par O Sensei, Ueshiba Kisshomaru, Tohei Koichi, Osawa Kisaburo et Saito Morihiro. La cérémonie dure une heure et demie et est suivie par une fête dans le petit dojo au deuxième étage.

hombu-histoire-01Bâtiment original de trois étages du Hombu Dojo de l'Aikikai (1968)

Ueshiba Kisshomaru Doshu écrit dans le numéro de mai 1968 du Journal de l'Aikikai l'article suivant :

Cela fait déjà cinq mois que la pratique a lieu dans le dojo aïkido. À cause de la grande différence entre la structure en bois de l’ancien dojo et le nouveau dojo ultramoderne, il y avait au début des gens qui pensaient que toute cette modernisation était un peu hors de propos pour l’aïkido, mais peu à peu ce sentiment est disparu. En comparaison avec l’ancien dojo, il y a déjà près de deux fois plus d’élèves qui viennent chaque jour chercher la route de l'harmonie et de la paix et apprécier la pratique. Par conséquent, on peut dire que puisque nous sommes déjà dans le cinquième mois, l’âge du nouveau dojo a été commencé. Je peux difficilement trouver des mots pour exprimer mes sentiments les plus sincères aux membres et aux personnes intéressées par l'aïkido qui ont encouragé et soutenu la construction de l’édifice. Morihei Ueshiba, le fondateur de l’aïkido, a presque 90 ans et heureusement, il est en bonne santé et continue de suivre sa voie. En exprimant la vérité de cette voie, il ne faut pas se contenter de son petit succès personnel. Au lieu de cela, nous devrions nous concentrer sur un grand saut - que ce soit dans l’étude elle-même que dans les diverses fonctions et événements liés à la pratique- main dans la main, poursuivons la voie de l'Aïkido.Ueshiba Kisshomaru, Président du Conseil d'administration du Centre Mondial de l’Aïkido - Journal de l'Aïkido Vol. 5 n ° 2, mai 1968
Un plan du dojo a été publié dans le même numéro du Journal de l'Aikikai et donne une très bonne impression de la disposition des lieux et du peu de changement au fil des ans.
Plan du nouveau Hombu Dojo publiée dans le numéro de mai 1968 du journal de l'Aikikai.

La même année, l'aïkido gakko (合気道学校, école d'aïkido) est créée et le Hombu Dojo est reconnu par le gouvernement de la ville de Tokyo comme la seule école habilitée à l'enseignement de l'aïkido. Aujourd'hui, l'école offre des cours de niveaux différents pour pratiquants débutants, intermédiaires, ainsi que pour le perfectionnement. Des cours distincts pour les débutants et pour les femmes commencent en 1970. Le bâtiment est modernisé en 1973 avec l'ajout d'un quatrième et d'un cinquième étage, ce qui porte la superficie totale du bâtiment à environ 380 mètres carrés (250 tatami) répartis dans trois dojo. L’aire de pratique principale accueillant les cours avancés occupe 105 tatami (162 mètres carrés), le second dojo : 72 tatami (112 mètres carrés) et le troisième dojo : 42 tatami (65 mètres carrés).

aikikai-hombu-dojo-batimentBâtiment actuel de cinq étages du Hombu Dojo de l'Aikikai (2008)

En 1975, les classes pour les enfants sont ajoutées, et vers 1985, suite à l'introduction au Japon de la semaine de travail de cinq jours, les horaires d'entraînement le samedi et le dimanche sont élargis. En 1994, une salle de réunion et une salle contenant des archives du fondateur sont ouvertes au troisième étage de la résidence de la famille Ueshiba qui jouxte le Hombu Dojo. La salle de réunion est principalement utilisée pour les réunions des membres du conseil d'administration de l'Aikikai et de la Fédération japonaise d’aïkido. La salle des archives est utilisée pour exposer les effets personnels et les œuvres calligraphiques du Fondateur. Ces ajouts renforcent le statut du Hombu Dojo comme centre de l'aïkido.

hombu-histoire-06Salle des archives dédiée à la mémoire de O Sensei au Hombu Dojo

Selon les statuts, le Hombu Dojo aspire à l'enrichissement et au développement de l'aïkido sous l'autorité du Doshu Ueshiba Moriteru, aidé par ses instructeurs travaillant ensemble pour répondre et surpasser les attentes du monde entier.

Cours et événements ayant lieu au Hombu Dojo

Aujourd'hui, plus de 500 membres du Hombu Dojo peuvent pratiquer tous les jours de 6h00 à 20h00 et les trois dojo sont continuellement utilisés au cours de la journée. Plus de trente enseignants professionnels à plein temps aux grades allant de 2e au 9e dan se partagent les cours et les professeurs des cours réguliers ont le grade minimum de 6e dan. En plus des cours réguliers, des sessions saisonnières spéciales sont également menées : le shochugeiko (暑中稽古, entraînement d’été, prenant place de fin juillet à début août) et le kangeiko (寒稽古, entrainement d'hiver, prenant place de fin janvier à début février). Tous deux ont lieu pendant 10 jours d’affilée, et les élèves qui assistent à chaque session reçoivent un certificat.

kangeiko-certificat-2012Certificat au kangeiko 2012

Des stages ont également lieu pour les écoles secondaires pendant les vacances de printemps et d'été. La veille du Nouvel An, de 23h30 à 00h30, doshu conduit le etsunengeiko (越年稽古, pratique de fin d’année), un cours spécial au cours duquel plus de 200 membres se réunissent pour pratiquer dans le grand dojo du troisième étage. Lors du naorai (直会, le banquet qui suit la pratique), doshu fait un discours, puis tous les participants célèbrent la nouvelle année en consommant du nihonshu et la nourriture précédemment offerte aux dieux. Le kagamibiraki (鏡開き, ouvrir le miroir), la cérémonie de coupe du gâteau de riz de la nouvelle année, a lieu le dimanche de la deuxième semaine de janvier. Quelques 1 000 pratiquants venus de tout le Japon se réunissent et remplissent les trois dojos du bâtiment. À cette occasion, doshu donne une démonstration comme une offrande aux dieux. En outre, les promotions dan (ceinture noire) sont annoncées, et une cérémonie a lieu afin de présenter des diplômes pour les pratiquants de haut rang.

Kagamibiraki 2016

Pour en savoir plus sur le fonctionnement du Hombu Dojo et sur comment vous comporter si vous allez là-bas, allez lire mon Guide du Hombu Dojo de l'Aikikai.


Bibliographie

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À-Propos

Guillaume Erard est titulaire du titre de Shihan 6e Dan en Aïkido (Hombu Dojo de l’Aïkikaï, Tokyo) et du titre de Kyōshi 5e Dan en Daïto-ryu Aiki-jujutsu (Hombu Dojo de Shikoku). Résident permanent au Japon, il dirige un dojo d’Aïkido à Yokohama et anime régulièrement des stages internationaux. Il est docteur en biologie moléculaire et titulaire d’un Master 2 en sciences de l’éducation. Ses recherches portent notamment sur les dimensions pédagogiques et historiques de la transmission des arts martiaux japonais. Il a publié de nombreux articles dans des revues spécialisées en France et au Japon, et a collaboré à la rédaction du dernier ouvrage de Christian Tissier.

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