Entretien avec Kobayashi Yasuo Shihan : L'Aikido pour le plus grand nombre

Entretien avec Kobayashi Yasuo Shihan : L'Aikido pour le plus grand nombre

Kobayashi Yasuo détient le 8e dan de l'Aikikai. Il est devenu un élève du Hombu Dojo en 1955 où il a étudié, entre autres, sous la direction du fondateur de l'aikido, Ueshiba Morihei. Kobayashi Sensei est à la tête des Kobayashi Dojo, l'un des plus grands groupes d'aikido du Japon, avec plus de 120 dojos et des représentants du monde entier. L'une des raisons de ce succès tient probablement dans son franc parler et sa jovialité, ainsi que la relative liberté technique qu'il laisse à ses élèves.

Guillaume Erard : Comment avez-vous commencé l'aikido ?

Kobayashi Yasuo : Je pratiquais régulièrement le judo au Kodokan. Ma maison se trouvait devant le sanctuaire de Yasukuni dans le district de Chiyoda, donc c'était très proche de Suidobashi, où se trouvait le Kodokan. J'ai donc commencé à y aller quand j'étais enfant. Une fois que j'étais au lycée, je suis devenu ami avec le fils de feu M. Danzaki Tomoaki, le président de la fédération de Iaido. Il avait également été un combattant de Sumo et m'a dit que quelqu'un se nommant Ueshiba était capable de projeter Tenryu, le fameux sumotori, et que ce dernier avait pris l'habitude d'aller à son Hombu Dojo.

Tenryu et Kisshomaru

De gauche à droite, Kisshomaru Ueshiba, Akazawa Zenzaburo, Tenryu; à l'extrême droite, Général Miura Makoto. Photo prise en 1939.

Donc, via cette connexion, on m'a présenté et invité à visiter le dojo. Je pense qu'il était 17 ou 18 heures. Tada Hiroshi Sensei enseignait, il était 3e dan à l'époque, et il y avait 5 ou 6 personnes qui s'entraînaient. C'était encore l'époque où les réfugiés de la guerre vivaient dans le dojo, car un tiers du dojo leur servait de logement. L'aikido n'était pas bien connu. C'était durant l'automne de ma dernière année de lycée. Alors que j'étais sur le point de partir, Tada Sensei m'a dit de joindre le dojo si ça me plaisait. Donc, je l'ai finalement fait à la fin d'avril, après avoir commencé l'université. C'est comme ça que j'ai connu l'aikido.

Guillaume Erard : L'aikido et le Daito-ryu aiki-jujutsu n'étaient pas très connus alors...

Kobayashi Yasuo : La plupart des gens ne connaissaient pas le koryu jujutsu [古流柔術, écoles de jujutsu anciennes], cependant, le jukendo et le karaté étaient largement connus. La lutte occidentale était aussi populaire, mais le koryu jujutsu n'était pas une chose de connue à l'époque. L'aikido n'était pas connu non plus. J'ai rejoint le dojo en avril 1955, et l'aikido a été présenté au public pour la première fois en septembre de la même année sur le toit du grand magasin Takashimaya. J'étais alors un nouveau venu, alors j'ai simplement aidé à porter des tatami, mais c'était la première fois que l'aikido était montré en public.

O Sensei au Takashimaya

O Sensei lors de l'une des toutes premières démonstrations publiques d'Aikido. Celle-ci a pris place du 18 au 20 Octobre 1957 sur le toit du grand magasin Toyoko à Shibuya.

Guillaume Erard : Isoyama Sensei m'a dit que c’était le terme « Daito-ryu aiki-jujutsu », et pas « Aikido » qui était écrit sur ses documents d'inscription à Iwama. Qu'est-ce qui était écrit à Tokyo ?

Kobayashi Yasuo : Au Hombu Dojo, les gens s'inscrivaient de la même manière qu'à l'heure actuelle. Ils ne tenaient pas de registre.

Guillaume Erard : Qui enseignait au Hombu Dojo à l'époque ?

Kobayashi Yasuo : En 1955, il y avait habituellement 5 à 10 personnes pendant les cours au Hombu Dojo. Kisshomaru Sensei travaillait toujours pour une société immobilière. Tada Sensei était l'enseignant suppléant. Deux ans plus tard, vers 1957, Kisshomaru Sensei a commencé à diriger l'aikido à temps plein. Nous avons commencé à avoir plus de sessions de formation après cela. La pratique était le matin à 6h30, ainsi que le soir. Nous avons adopté l'horaire actuel des 5 cours par jour après que Kisshomaru Sensei ait quitté son emploi.

Guillaume Erard : Qu'est-ce qui vous a décidé à devenir un élève au Hombu Dojo ?

Kobayashi Yasuo : Comme je vous l'ai dit, je faisais du judo. Le Kodokan était une grande organisation et il n'y avait aucune interaction entre ses membres. Le Hombu était près de chez moi et ce n'était pas comme ça, on prenait le thé avant ou après l'entraînement, on faisait de la calligraphie ensemble, on sortait boire le soir, etc. C'était intéressant de sortir avec les gens. Les uchi deshi venaient tous de la campagne, donc ils étaient différents et ils pensaient complètement différemment, même à âge équivalent. C’était intéressant. C'était la principale raison pour laquelle j'ai quitté le Kodokai et opté pour l'aikido. Les interactions humaines et l'amitié entre les uchi deshi.

Élèves du Hombu Dojo

Les élèves du Hombu Dojo autour d'Andre Nocquet (c. 1957). Kobayashi Sensei se trouve directement à la gauche de Nocquet.

Guillaume Erard : Comment était la vie d'élève du Hombu Dojo ?

Kobayashi Yasuo : C'était chaotique. (rires) Quand il n'y avait pas de cours, nous étions libres de faire ce que l'on voulait, comme d'aller boire la nuit. Bien sûr, nous faisions le ménage et les courses, mais il n'y avait pas d'espace pour pratiquer pendant les heures creuses parce qu'il y avait toujours des gens qui étaient là et qui traînaient. On faisait du sumo et du bras de fer, et on sortait prendre un verre la nuit, car c'était près de Shinjuku. Nous avions des relations senpai-kohai et ceux qui avaient de l'argent, généralement des senpai, payaient. Lorsque certains d'entre nous recevaient de l'argent de nos parents, nous allions boire. (rires) À certains moments, nous vivions et mangions avec Ueshiba Sensei. Nous n'avions pas à nous soucier de quoi que ce soit, mais de manger.

Chiba Kazuo, Kobayashi Yasuo, et Tamura Nobuyoshi

Chiba Kazuo, Kobayashi Yasuo, et Tamura Nobuyoshi à la plage d'Enoshima

Guillaume Erard : Comment était la pratique parmi les élèves ?

Kobayashi Yasuo : C'était dur parce que tout le monde était jeune. Nous nous testions les uns les autres, on disait que les techniques de l'autre gars ne fonctionnaient pas, ou qu'elles ne faisaient pas mal. Je n'étais pas gros donc je faisais des mouvements circulaires pour fatiguer mes adversaires. Je me relevais aussi rapidement après avoir été projeté. Je suppose que c'était bon comme entraînement.

Les deshi au Hombu Dojo

Les deshi au Hombu Dojo. Kobayashi Yasuo est à gauche.

Guillaume Erard : Quels professeurs vous ont le plus influencé ?

Kobayashi Yasuo : Différents enseignants avaient différentes façons de penser. Je trouvais chez chacun certains des aspects excellents et d'autres avec lesquels je n'étais pas tout à fait d'accord. Ces différents professeurs m'ont aidé à devenir qui je suis maintenant. En outre, il n'y avait pas un ensemble uniforme de techniques. De plus, j'ai été assistant pour Tohei Koichi Sensei pendant plus de 10 ans, dans différents endroits, donc j'ai été influencé par lui aussi. Je trouvais sa façon de penser merveilleuse. Il y avait cependant une chose avec laquelle je n'étais pas tout à fait d'accord. Tohei Sensei a quitté le dojo le 31 mars 1974 et il a emmené avec lui la moitié des uchi deshi, soit une dizaine d'entre eux. Mes parents avaient une entreprise et ils m'ont appris à respecter mes origines, c'est pourquoi je suis resté au Hombu. J'étais assis dans le bureau quand ils sont partis, et Kisshomaru Sensei m'a regardé et m'a dit : « Oh, tu es toujours là Kobayashi ? » Je suppose qu'il pensait que je partirais aussi puisque j'étais l'assistant de Tohei Sensei. Je remercie mes parents de m'avoir appris que nous devons respecter nos origines. Je ne peux pas aider le Hombu Dojo sur tous les sujets, parce que c'est une grande organisation, et j'ai parfois des problèmes, mais je la respecte toujours comme ma mère.

Tohei Koichi projetant Kobayashi Yasuo

Kobayashi Yasuo se faisant projeter au Hombu Dojo par Tohei Koichi

Guillaume Erard : Y avait-il des examens de grades dan à l'époque ?

Kobayashi Yasuo : Non, il n'y avait rein de tel, nous n'avions pas de tests. Une fois par an, lors du kagamibiraki [鏡開き, cérémonie prenant place début janvier au Hombu Dojo et célébrant la nouvelle année], les nouvelles promotions dan étaient affichées sur les murs. Cependant, au fur et à mesure que plus de gens sont arrivés, nous avons établi un système de certification.

Kobayashi Yasuo servant d'uke à O Sensei

Kobayashi Yasuo servant d'uke à O Sensei lors d'une démonstration du kagamibirki au Hombu Dojo. Sur les murs du fond du dojo sont affichés les noms des personnes promues au grade supérieur.

J'ai une histoire amusante à ce sujet en fait. Les uchi deshi étaient ceux qui prenaient l'ukemi pendant les tests. Ils étaient généralement plus habiles et quand ils n'aimaient pas quelqu'un, ils faisaient intentionnellement tomber cette personne, donc avant l'examen, les gens nous donnaient des friandises, alors j'attendais toujours ceux-ci avec impatience ! (rires) L'autre jour, j'ai envoyé un texte à ce propos du Hombu Dojo pour leur demander d'inclure cette histoire dans leur journal, mais ils l'ont rejeté en disant que c'était trop révélateur, alors je l'ai publié sur mon blog. (rires) Je pense que ce n'est pas grave mais il y a des gens avec des idées différentes au Hombu Dojo, donc ça ne peut pas être publié si ça en révèle trop.

Guillaume Erard : Au fil des ans, il y a eu beaucoup de gens qui ont prétendu être des élèves d'O Sensei. Qu'est-ce qu'il faut pour pouvoir se revendiquer d’être un élève d'O Sensei ?

Kobayashi Yasuo : Eh bien, c'était informel à mon époque et je pense qu'on pouvait se considérer comme l'élève d'un Sensei si on le respectait. En termes de formation, il y a différentes idéologies. En ce qui concerne le nombre d'années, il n'y a pas de période fixe. Certaines personnes ne le rencontreraient que lors de stages, notamment à la campagne. O Sensei parcourait les régions mais voyager n'était pas aussi pratique que maintenant. Il y avait un stage une fois par an en mars. Nous avions une semaine de vacances au Hombu Dojo et il n'y avait que les cours d'O Sensei. Il y avait des enseignants qui ne venaient que pendant ces périodes. Donc je ne sais pas, je pense qu'il suffit de dire que l'on était un adepte d'Ueshiba.

Guillaume Erard : Plusieurs personnes prétendent également avoir reçu des grades d'O Sensei, mais cela semble faire l'objet de quelques débats.

Kobayashi Yasuo : Eh bien, quand quelqu'un faisait ce qu'il aimait, O Sensei avait tendance à dire à cette personne qu'il valait un 8e ou un 10e dan, et il le faisait même quand il allait à la campagne. Nous savions qu'il plaisantait mais certaines personnes le prenaient au sérieux et faisaient tout le chemin jusqu'au Hombu Dojo pour obtenir un certificat. Quand cela se produisait, ils discutaient avec Kisshomaru Sensei dans le bureau et ceux qui étaient rejetés au bureau parlaient à O Sensei et il y avait des disputes. C'est parfois comme ça entre moi et mon fils Hiroaki. O Sensei pensait en termes de budo et je comprends qu'il voulait donner une reconnaissance spéciale quand il était impressionné, mais nous ne pouvons pas faire cela en tant qu'organisation.

Guillaume Erard : Combien de temps O Sensei passait-il à Tokyo ?

Kobayashi Yasuo : À quelle fréquence ? Cela dépendait de son humeur, je ne sais vraiment pas. Parfois, il appelait depuis Iwama disant qu'il était malade et il demandait à un des uchi deshi de venir prendre soin de lui, et quand nous y allions, il avait l'air tout à fait bien. Il n'y avait pas toujours beaucoup de monde à Iwama alors quand il se retrouvait seul, il voulait quelqu'un à qui parler, et il appelait en disant qu'il était malade et demandait à certains uchi deshi de venir prendre soin de lui pendant quelques jours. Quand il s'ennuyait trop ou avait des affaires à traiter, il venait au Hombu Dojo. Il ne venait pas très souvent. De plus, nous n'avions pas de voitures à ce moment-là et nous devions utiliser la ligne Joban du train pour faire la navette.

Guillaume Erard : Avez-vous rencontré les pionniers de l'aikido européen tels que Mochizuki Minoru ou Abe Tadashi ?

Kobayashi Yasuo : Mochizuki Minoru Sensei était l'oncle de l'ami avec lequel j'ai commencé un club d'aikido à l'Université Meiji. Il était un ou deux ans en dessous de moi, alors nous sommes allés ensemble dans des camps universitaires. J'ai une photo de là-bas. Nous avons fait deux camps d'entraînement universitaires au dojo de Mochizuki Sensei à Shizuoka.

Kobayashi Yasuo à Shizuoka

Kobayashi Yasuo au dojo de Mochizuki Minoru à Shizuoka en 1960

Un jour où Mochizuki Sensei est venu au Hombu Dojo, personne d'autre ne le connaissait personnellement, alors j'ai dû lui parler pas mal. Mochizuki Sensei avait été envoyé [en 1930 pour un an] à Ueshiba Sensei par Kano Sensei [Kano Jigoro, le fondateur du judo]. Kano Sensei ne pouvait pas inviter Ueshiba Sensei au Kodokan alors il a envoyé Mochizuki Sensei. Je pense que Mochizuki Sensei avait des idées contradictoires avec celles d'Ueshiba Sensei sur la façon de pratiquer l'aikido quand il partait à l'étranger.

Mochizuki Minoru et Ueshiba Morihei

Mochizuki Minoru et Ueshiba Morihei en 1951[/caption] Abe Sensei avait un tempérament soupe au lait et il pouvait facilement en arriver à se battre. Apparemment, il y a eu quelques incidents à l'étranger, alors il a été expulsé de France. Le jour où il est revenu au Hombu Dojo, j'étais là en tant que réceptionniste, et il m'a demandé si Tohei Sensei était là. Alors qu'il parlait à Tohei Sensei, il a soudainement crié « que quelqu'un m'apporte de l'eau ! » Alors je lui ai apporté un verre d'eau et ensuite il m'a dit : « Toi, renverse-le sur Tohei ! ». Je n'aurais jamais osé faire ça alors je suis resté là à regarder, alors il a attrapé le verre et l'a versé sur Tohei Sensei et a crié « Je ne peux jamais faire mieux que Tohei à quoi que ce soit ». [Note : Il est probable que Abe Tadashi ait été irrité par le fait que Tohei Koichi avait rencontré beaucoup de succès dans ses activités de promotion de l'aikido aux États-Unis alors que lui venait d’être expulsé de France.]

Abe Tadashi

Abe Tadashi, pionnier de l'aikido en France.

Cela dit, c'est grâce à ce genre de caractère fort qu'ils pourraient aller dans de nouveaux endroits et promouvoir l'aikido. Je les ai connus personnellement, mais pas pendant très longtemps, et je les respecte en tant que personnes qui ont créé des chemins vers le nouveau monde.

Guillaume Erard : Avez-vous déjà envisagé d'aller à l'étranger comme eux ou certains de vos pairs ?

Kobayashi Yasuo : Les gens qui étaient avec moi sont allés à l'étranger, comme l'Amérique et l'Europe, mais je ne l'ai pas fait. J'aimais la pratique de l'aikido telle qu'elle était et je faisais juste ça. Un jour, j'ai été appelé par Tohei Sensei, et il m'a parlé de la Birmanie, aujourd'hui Myanmar. Yamaguchi Sensei était déjà là [Yamaguchi Sensei fut envoyé en juillet 1958] parce que le Japon avait causé des problèmes en Asie du Sud-Est pendant la deuxième guerre mondiale, et nous les indemnisions puisque que nous avions perdu. Dans le cadre de cela, Yamaguchi Sensei y était pour deux ans, et on m'a demandé si j'irais là-bas en tant qu'assistant. J'ai dit : « Peu importe » et Tohei Sensei a dit : « Ce n'est pas une réponse !!, tu y vas ou pas ? » Alors j'ai dit : « OK, j'y vais... » (rires) Mais je ne voulais pas y aller alors j'ai traîné pour aller à l'ambassade et trois mois plus tard, il y a eu un coup d'État et le pays est passé sous régime militaire, ils ont donc cessé d'inviter des enseignants étrangers et ont envoyé cinq soldats au Japon pour apprendre le judo et l'aikido, et j'ai été chargé de m'occuper d'eux.

Yamaguchi Seigo

Yamaguchi Seigo en démonstration au Nipon Budokan

Peut-être que mon destin était de rester au Japon pour m'entraîner. J'aimais la pratique elle-même. En fait, je n'ai jamais pensé enseigner avant d'ouvrir le dojo. Maintenant que j'y pense, tout s'est bien passé et nous avons cet endroit pour communiquer. Pour être honnête, la plupart des gens qui sont allés à l'étranger ne s'entraînaient pas depuis si longtemps. Ils sont allés à l'étranger quand ils étaient dans leur trentaine, alors ils ne s'étaient entraînés que pendant 10 ans, tout au plus. Étant donné le fait qu'ils ont promu avec succès l'aikido, ils ont dû s'entraîner très intensément malgré le peu de temps. Je pense que c'est ce qui a rendu cela possible ; le talent de tout le monde. Fait intéressant, ils ont développé différents traits de caractère selon le pays où ils sont allés. Ceux qui sont allés en France étaient plus sociaux et ceux qui allaient en Allemagne, comme Asai, aimaient l'ordre. Ceux qui sont allés dans un pays qui ne leur convenait pas ont été rejetés et sont revenus, ou ils sont allés ailleurs. Donc, les shihan qui sont restés là-bas, et ils sont nombreux, sont ceux qui ont pu s'adapter au pays ou à l'endroit où ils sont allés, mais il y en a aussi beaucoup qui n'ont pas pu s'adapter et qui sont revenus.

Ikeda Masatomi, Asai Katsuak, Tada Hiroshi et Chiba Kazuo

Ikeda Masatomi, Asai Katsuak, Tada Hiroshi et Chiba Kazuo en Italie (mai 1972)

Guillaume Erard : En parlant de pionniers, vous souvenez-vous d'André Nocquet ?

Kobayashi Yasuo : M. Nocquet a été le premier étranger à devenir un uchi deshi. Il a mangé et dormi dans le dojo avec le reste d'entre nous. Il était beaucoup plus âgé que nous, je pense qu'il avait alors plus de 40 ans. Il était admirable, il a travaillé dur pendant deux ans. C'était à une époque où nous n'avions pas beaucoup d'étrangers au Japon mais il est resté avec nous au dojo pendant deux ans.

André Nocquet et Kobayashi Yasuo

André Nocquet et Kobayashi Yasuo devant le Hombu Dojo

Guillaume Erard : Certains de ses élèves disent d’André Nocquet qu'il a été principalement formé par le fondateur, ce qui semble peu probable au vu de ce que vous nous avez dit sur la présence irrégulière d'O Sensei au Hombu Dojo. De qui pensez-vous que Nocquet a reçu le plus d'instruction ?

Kobayashi Yasuo : Eh bien, il avait des sensei différents. M. Tohei était allé à Hawaï et en Amérique continentale et probablement à cause de cela, il était bon pour expliquer les choses d'une manière simple. Et il était aussi celui qui a inventé les aiki taiso basé sur ikkyo, nikyo, ainsi que shiho undo et tout cela. Quand il enseignait aux policiers et aux soldats à Hawaï, il enseignait avec des exercices comme ceux-ci parce qu'ils ne connaissaient pas du tout l'aikido et ne comprenaient que s'il expliquait simplement avec des mots. De cette façon, ils se souvenaient plus rapidement, en utilisant des étapes comme « un, deux et trois ». C'était facile à comprendre et il était bon pour expliquer le ki aussi. Je pense que cela a beaucoup influencé Nocquet. [Note : Depuis ma rencontre avec Kobayashi Shihan, j'ai pu étudier le journal personnel d'André Nocquet qu'il a rédigé au Japon entre août 1956 et novembre 1957, et les entrées confirment l'évaluation de Kobayashi Sensei. La plupart des classes qui y sont rapportées sont celles de Tohei Koichi et Ueshiba Kisshomaru.] O Sensei, d'autre part, n'avait pas vraiment de kata, de forme fixe. C'était comme si ikkyo, nikyo et kokyu nage étaient tous pareils. Je pense que ces styles plus structurés ont influencé Nocquet. Nous étions tous beaucoup influencés.

André Nocquet et Tohei Koichi

André Nocquet et Tohei Koichi au Hombu Dojo de l'Aikikai.

Guillaume Erard : Il me semble que Nocquet a quitté le Japon avec un certificat de représentant de l'Aikikai pour l'Europe. Pourtant, certains instructeurs japonais comme Noro Masamichi, Nakazono Masahiro et Tamura Nobuyoshi, ont été également envoyés en France, et il semble y avoir eu une rupture, au moins pour un temps, entre Nocquet et l'Aikikai. Etes-vous au courant de cela ?

Kobayashi Yasuo : Eh bien, ce n'est pas comme s'il avait été renvoyé, mais M. Tamura, M. Noro et M. Nocquet sont allés en France et il y avait des conflits territoriaux. Quand l'un ouvrait un dojo, un autre en ouvrait un à côté. Cela n'arrive plus maintenant mais l'aikido était rare à l’époque et les gens voulaient avoir leurs territoires. C'est comme si on avait un dojo à Saitama et qu'on essayait de revendiquer tout le territoire. Il y a eu des conflits comme ça. Maintenant que l'aikido est populaire, personne ne s'y oppose s'il y a beaucoup de groupes dans la même région. Mais oui, ils se battaient pour des territoires comme ça, mais je ne dis pas lequel avait tort cependant.

André Nocquet et Kobayashi Yasuo

André Nocquet et Kobayashi Yasuo en démonstration sur le toit du grand magasin Toyoko de Shibuya (1957). La dédicace est de Nocquet pour Kobayashi.

Guillaume Erard : L'aikido d'O Sensei a-t-il beaucoup changé durant le temps où vous l'avez côtoyé ?

Kobayashi Yasuo : Quand j'ai rejoint l'Aikikai, Ueshiba Sensei avait environ 70 ans et il était encore fort et faisait beaucoup de techniques d'immobilisation. Nous avions l'habitude de faire ce genre de choses quand je suis arrivé, mais ensuite, O Sensei a commencé à changer. En vieillissant, il a commencé à faire des mouvements plus circulaires. Au Hombu Dojo, Kisshomaru Sensei a commencé à suivre ce changement de technique. De plus, les uchi deshi à l'époque comme Arikawa Sensei, Yamaguchi Sensei, et Tada Sensei, enfin, Tada Sensei, lui, ne vivait pas dans le dojo... Bref, ils avaient tous des styles différents. Saito Sensei d'Iwama venait également enseigner tous les dimanches, et il n'y avait pas de règles fixes quant à la façon dont on devait enseigner, les gens apprenaient des styles différents. Kisshomaru Sensei a suivi et préservé le style changeant d'O Sensei. À cette époque, il y avait aussi des enseignants avec des styles uniques tels que Tohei Koichi Sensei. Ainsi, les gens ont commencé à concentrer leur pratique dans le style des enseignants qu'ils aimaient. Moi et les autres uchi deshi devions tous les suivre, alors nous sommes devenus très bons à imiter. Nous n'avions pas de règles concernant les techniques, et je pense que cela explique pourquoi l'aikido est devenu si populaire.

Guillaume Erard : Quand on regarde la démonstration que O Sensei a faite au journal Asahi à Osaka en 1935, il utilise seulement comme uke ses élèves de Tokyo, en dépit du fait que ses élèves d'Osaka comme Hisa Takuma et Nakatsu Heizaburo sont bien entendu présents. De plus, les techniques qu'il y démontre sont assez proches de l’aïkido moderne, alors qu'on sait que les techniques qu'il enseignait durant cette période à Osaka étaient du Daito-ryu aiki-jujutsu [pour en savoir plus, voir mon article sur le Soden, le manuel technique secret du Daito-ryu]. Cela m'a amené à émettre l'hypothèse qu'il y aurait pu avoir des pratiques différentes entre Tokyo et Osaka. Quelle est votre position à ce sujet ?

Kobayashi Yasuo : Je ne pense pas que ce soit vrai. Les gens ne peuvent pas bouger comme il le fait sur la vidéo tout de suite, donc si vous allez enseigner dans de nouveaux endroits, vous devez enseigner via une méthode d'entraînement de base traditionnelle plutôt que de faire quelque chose de plus dynamique. Il y avait beaucoup de gens qui venaient au Hombu Dojo et les techniques changeaient graduellement. Donc, je pense que c'est juste que ce que vous voyez dans certaines démonstrations est à différencier des leçons normales.

Démonstration de Ueshiba Morihei au Journal Asahi d'Osaka en 1935. Ueshiba était chargé d’enseigner les techniques de Daito-ryu Aiki-jujutsu au personnel de sécurité du Journal.

Guillaume Erard : Puisque nous parlons de démonstrations, je suis toujours intrigué par les choses étranges que l'on peut voir dans certaines photos d'O Sensei, comme celle où il tient un bâton à 90 degrés par rapport à ses élèves qui le poussent.

Démonstration de poussée de bâton

Démonstration de poussée de bâton. Kobayashi Yasuo est le uke qui est le plus proche d'O Sensei.

Kobayashi Yasuo : Cette photo a été prise en un clin d'œil. Cela ressemble à ceci dans l'image mais ce n'est pas réellement 90 degrés dans la vraie vie. C'est une question d'angle, et ce n’était pas long, plus comme une seconde. Il l'arrêtait un peu et le laissait tomber comme ça. Tout le monde se demande comment c'est fait mais théoriquement si vous le faites à 90 degrés, vous ne pouvez pas le faire. C'était comme une illusion d'optique.

Démonstration de poussée de bâton

Démonstration de poussée de bâton. Kobayashi Yasuo est le uke qui est le plus proche d'O Sensei.

En fait, vous voyez aussi ceux où il laisse quelqu'un pousser sa tête tout en restant assis ? La vérité est que l'on ne pouvait pas le pousser parce que c'était trop glissant, donc même trois personnes ne pouvaient pas le faire ensemble. Tout le monde se demande toujours comment, mais ce n'est pas un mystère pour moi, pour quelqu'un qui le faisait : parce que Sensei me disait de le faire. Ce genre de choses deviennent une légende et cela devient juste absurde. Les gens se mettent en colère quand je dis cela ! (rires)

Démonstration de poussée de la tête.

Démonstration de poussée de la tête. Tamura Nobuyoshi est le uke au troisième plan.

Guillaume Erard : Vous avez écrit dans votre livre qu'O Sensei n'aimait pas beaucoup les techniques de kokyu nage.

Kobayashi Yasuo : A chaque fois qu'Ueshiba Sensei était là, nous faisions du suwari waza parce que ça lui faisait plaisir, mais finalement ça rendait la pratique ennuyeuse parce qu'elle était basée sur des immobilisations comme ikkyo, nikyo, etc. Nous avons donc commencé à intégrer le kokyu nage pour ajouter plus de variété dans les leçons d'ukemi et de renforcement. Cela le mettait en colère quand même et il criait : « Comment espérez-vous pouvoir projeter les gens en pratiquant cela ? » Mais peu importe, je pense que c'est devenu un moyen populaire de pratiquer, surtout chez les jeunes. C'était plus amusant aussi. Je suis sûr que nous avons été encouragés à pratiquer des techniques comme ikkyo, nikyo, sankyo, shiho nage et kote gaeshi, mais les jeunes ont continué à le faire et c'est devenu une chose établie, en dépit de ce que les enseignants enseignaient. Cela dit, Kisshomaru Sensei ne s'y est pas opposé. Mes aînés comme Yamaguchi Sensei faisaient aussi ce genre de techniques aussi.

Guillaume Erard : Comment ressentiez-vous la technique d'O Sensei comparée à celle des autres professeurs ?

Kobayashi Yasuo : Eh bien, les gens issus du budo avaient d'abord des corps forts et bien entraînés. De mon temps, les mouvements étaient déjà plus comme un flux que de se serrer les uns les autres. À l'époque, même s'il avait 70 ans, O Sensei était encore fort et quand nous essayions de résister, il nous projetait fort, alors nous bougions ensemble. Certaines personnes qui ne faisaient que juste regarder l'ont compris comme une sorte de technique de kokyu-ho et ils ont commencé à imiter mais O Sensei avait une façon complètement différente de bouger. Il était bien entraîné. C'est problématique quand les gens essaient d'imiter même s'ils ne sont pas bien formés. Certains aikidoka rejettent souvent l'entraînement physique, certains instructeurs ont même des corps très lâches et inaptes.

Guillaume Erard : Comment était le corps d'O Sensei ? Kobayashi Yasuo : Eh bien le soir, j'ai parfois dû masser son corps. Je massais ses muscles et il me disait que je le faisais trop doucement. Son corps était bien entraîné pour cet âge, je me souviens qu'il était difficile de masser ses muscles.

Ueshiba Morihei torse nu

Ueshiba Morihei à 70 ans

Guillaume Erard : De nos jours, les gens parlent beaucoup de « pratique interne ». Est-ce que O Sensei a étudié ces concepts ?

Kobayashi Yasuo : O Sensei a fait différents types d'entraînement comme rester sur une montagne, explorer Hokkaido, et une formation religieuse, Omoto-kyo, avec Deguchi Onisaburo Sensei. Le zazen est habituellement pratiqué dans de tels environnements. Je pense que c'est comme ça qu'il s'est entraîné.

Guillaume Erard : Est-ce que ça faisait partie de ce qu'il enseignait ?

Kobayashi Yasuo : Eh bien oui, habitué à faire des choses comme torifune, « he-ho, he-ho », ainsi que chinkon, et des choses avec une épée, des exercices de ki. Il les liait aux histoires sur les dieux. Personnellement, je n'ai jamais vraiment aimé ce genre d'histoires alors j'espérais que ça se terminerait rapidement. Mais il y avait une variété de personnes du genre missionnaires qui venaient. Quand j'étais là-bas, il y avait quelques vétérans de budo, et aussi ceux qui faisaient des pratiques de santé telles que les régimes de nishishiki ou de riz brun. Je pense que Yamaguchi Sensei a fait quelque chose dans ce sens. Tenpukai, ces sortes de personnes. Ensuite, les gens moyens ont commencé à venir. Je pense que c'était vers 1965. Il y avait aussi plus d’élèves.

Guillaume Erard : Vous-même, vous avez pratiqué à l'Ichikukai et au Tenpukai, n'est-ce pas ?

Kobayashi Yasuo : A Ichikukai, j'ai fait un peu de misogi et de seiza, ainsi que du tanren intense. Je l'ai fait pendant un petit moment. Nous pratiquions de 5h à 19h, sauf pendant les repas. Nous allumions un senko et nous nous asseyions dans cette posture pendant trois jours. Si quelqu'un bougeait, ils avaient le dos ou le genou frappé. C'est intense mais utile pour entraîner le cœur d'un être humain. Le Tenpukai était dirigé par Nakamura Tenpu Sensei et il enseignait aux gens à se prendre en charge et à penser activement dans leur vie. Je pense que c'est utile dans les moments où vous devez prendre une décision. Je pense que cette façon de penser m'a aussi aidé à développer les Kobayashi Dojo.

Guillaume Erard : Connaissez-vous l'expérience d'O Sensei en matière d'entraînement aux armes ?

Kobayashi Yasuo : Je ne sais pas grand-chose à ce sujet parce que c'est arrivé dans son passé et je n'ai pas étudié la question.

Guillaume Erard : Est-il vrai que O Sensei n'enseignait pas les armes au Hombu Dojo ?

Kobayashi Yasuo : Non, ce n'est pas le cas, j'ai des photos pour le prouver. Cela dit, O Sensei changeait constamment de kata en fonction de ce qu'il ressentait ce jour-là et Saito Sensei d'Iwama est celui qui l'a formalisé. Il avait l'habitude d'enseigner au Hombu le dimanche ou quand il avait un jour de congé à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Japon. Il enseignait toujours les armes au Hombu Dojo alors. Contrairement à beaucoup d'autres enseignants, je fais juste les bases que Saito Sensei a enseigné sans ajouter des choses inutiles comme le Katori ou autres.

O Sensei enseignant les armes

O Sensei enseignant les armes au Hombu Dojo. Ueshiba Kisshomaru est derrière O Sensei et Abe Tadashi est sur la droite.

Guillaume Erard : Il n'y a plus de cours d'armes au Hombu Dojo, n'est-ce pas ?

Kobayashi Yasuo : On dit que les mouvements d'aikido viennent du sabre, donc je pense qu'il vaut mieux le pratiquer, théoriquement. Je pense que c'est étrange de l'interdire.

Guillaume Erard : Est-ce que vous enseignez les armes ?

Kobayashi Yasuo : J'aime mieux les techniques à mains nues. Avec un jo, je peux vaincre des amateurs, mais je ne le fais jamais devant le vrai budoka. Donc je ne le montre pas dans les démonstrations même si je le fais au dojo. Je n'ai jamais utilisé le jo ou le bokken lors de grandes démonstrations, seulement des techniques à mains nues. J'aime les techniques à mains nues mais j'incorpore les armes dans la pratique parce que je pense que c'est nécessaire, mais je ne l'aime pas vraiment, je suis mauvais. J'essaie de ne pas être critiqué ou de montrer quoi que ce soit d'inapproprié du point de vue des autres budoka. Je ne le fais pas dans des cadres officiels comme des stages ou des démonstrations. Certaines personnes utilisent un sabre lors des démonstrations au Japon mais je ne fais jamais une telle chose.

Kobayashi Yasuo Shihan en démonstration au Budokan

Guillaume Erard : Concentrons-nous sur les théories derrière l'aikido d'O Sensei. Avez-vous compris les références religieuses d'O Sensei ?

Kobayashi Yasuo : Eh bien, je ne connaissais pas des choses comme le Kojiki, c'était le problème. J'avais toujours hâte que ce soit fini. Il y avait des gens qui connaissaient ces choses religieuses mais je ne l'ai pas fait alors je me suis concentré sur l'entraînement. Je ne pouvais pas me souvenir des noms de tous ces dieux. Je fais de l'aikido avec le slogan : « Aikido pour le plus grand nombre ».

Guillaume Erard : Vous avez mentionné plus tôt que l'aikido n'avait jamais été démontré au public avant la fin de la vie d'O Sensei. Il semble avoir été peu enclin à divulguer son art. Est-il raisonnable de supposer qu'il n'a peut-être pas montré sa vraie technique lors de ces démonstrations publiques ?

Kobayashi Yasuo : Non, les cours et les démonstrations étaient exactement les mêmes. Sur scène, il faisait juste ce qu'il faisait pendant les cours, il ne faisait rien différemment. Cela peut sembler différent de loin. Il donnait aussi des conférences pendant les démonstrations. Nos jambes étaient engourdies lorsqu'il parlait pendant longtemps. Mais pendant les démonstrations, le temps était limité, donc c'était mieux. Pendant les cours, il parlait parfois pendant une heure, mais il ne pouvait pas le faire pendant les démonstrations. C'était juste un peu de conversation et un peu de performance. Bien qu'il ait fait exactement la même chose, le public peut l’interpréter différemment s'il ne le voit pas souvent.

Guillaume Erard : L'aikido d'aujourd'hui est-il très différent de ce qu'il était quand vous avez commencé ?

Kobayashi Yasuo : Ce n'est pas fondamentalement différent, mais il y avait moins de techniques. Il était centré sur les techniques d'immobilisation. Tout le monde aime comparer mais je fais juste les bases personnellement, et de ce point de vue, je ne pense pas que ce soit différent. Les enseignants ont des styles différents et c'est la même chose au Hombu aussi. Il y a beaucoup d'enseignants différents et Moriteru Sensei, lui, enseigne les principes fondamentaux. Cependant, dans nos Kobayashi Dojo, les choses sont plus uniformes. Je suppose qu'il y a du bon à cela parce que ça se répand dans le monde entier. Beaucoup de gens aiment le style enseigné au Kobayashi Dojo. Je suis parfois surpris de trouver des Kobayashi Dojo dans certains pays inconnus, ouverts par certains de nos élèves.

Cours de Kobayashi Shihan au dojo de Kodaira

Guillaume Erard : Combien de temps êtes-vous resté au Hombu Dojo ?

Kobayashi Yasuo : J'ai commencé en 1955 et j'y suis resté jusqu'en 1972.

Guillaume Erard : Pourquoi avez-vous quitté le Hombu Dojo ?

Kobayashi Yasuo : Quand nous avons construit le dojo à Kodaira, ici, j'étais encore en même temps instructeur au Hombu Dojo. Il n'y avait pas beaucoup d'instructeurs qui avaient leur propre dojo à l'époque. J'enseignais ici quand je n'avais pas de pratique là-bas. Quand j'ai ouvert le dojo à Tokorozawa, Kisshomaru Sensei m'a appelé et m'a dit de me concentrer sur les deux dojo. Je ne voulais pas quitter mon travail au Hombu mais il a insisté et j'ai donc décidé de me concentrer sur mes dojo comme il me l'avait dit. Je suppose que c'était une bonne chose après tout. Je peux faire les choses librement. Oui, je suppose que c'était une bonne chose. Guillaume Erard : Pourquoi avez-vous commencé à enseigner dans votre propre dojo ? Kobayashi Yasuo : Eh bien, je me suis posé la question à un moment donné, si je devais ouvrir un dojo ou si je devais rester sur mon chemin en tant que budoka, et si cela aurait du succès de cette façon. J'y ai réfléchi seul, et j'ai ouvert un dojo ici afin d'offrir un lieu de pratique aux étudiants dont les écoles étaient bloquées. [Note : Les universités étaient fermées à cause des manifestations étudiantes entre 1968 et 1969.] J'ai donc invité ces étudiants et il y avait 10 à 20 personnes qui mangeaient et vivaient ici.

Kobayashi Dojo

Construction du premier Kobayashi Dojo à Kodaira, dans la banlieue de Tokyo.

Comme il y avait un besoin de financement, certaines personnes se sont jointes pour prendre en charge cela et ce fut le début des Kobayashi Dojo. Depuis, nous avons eu plus de monde, et nous faisons ce que nous faisons. Je ne donne pas de cours et je n'explique pas du tout comment faire des techniques, mais malgré tout, cela se propage. C'est un peu comme ça à l'étranger aussi. Si ça se propage comme cela, alors je suppose que ce que je fais n'est pas faux.

Guillaume Erard : Comment les choses se sont-elles développées à partir de là ?

Kobayashi Yasuo : Moi et mon fils Hiroaki avons commencé et quelques étudiants ont commencé à venir. Et ce dont je suis reconnaissant, c'est que certaines personnes ont construit un dojo et ont offert de nous laisser l'utiliser ou bien ils avaient des terres et nous ont permis de construire un dojo dessus. Il y avait cinq ou six de ces personnes. Je suppose que c'était parce que je m'entraînais dur à l'aikido et qu'ils m'aimaient bien. Donc il y avait cinq à six personnes et à partir de là, ça s'est développé comme ça. Nous deux enseignions à Kodaira et à Tokorozawa, les mercredis et vendredis ici et les mardis et jeudis là-bas. Mais grâce à ces gens, nous avons pu avoir des uchi deshi comme Igarashi. Cela a donc bien fonctionné et s'est répandu grâce aux personnes qui ont fait des dons, ainsi qu'aux personnes qui ont cessé de travailler pour devenir des sortes d'uchi deshi.

Kobayashi Yasuo et son fils Hiroaki

Kobayashi Yasuo et son fils Hiroaki à Kodaira

De puis, j'essaie toujours de faire des choses nouvelles en aikido. Vous connaissez les Japan Overseas Cooperation Volunteers [青年海外協力隊, seinen kaigai kyoryokutai, un organisme Japonais qui envoie des bénévoles pour aider sur des projets d'agriculture, de foresterie, de pêche, d'éducation, de santé dans plus de 120 domaines techniques] ? Les Kobayashi Dojo ont été les premiers à le faire. Sur un autre plan, les membres des Kobayashi Dojo sont les seuls à passer les examens au Hombu Dojo. Je ne parle pas seulement des idéaux de l'aikido, je le promeus par un travail acharné. Nous avons également établi un système de soutien financier. Nous invitons ceux qui font face à des défis financiers aux Kobayashi Dojo. Nous faisons beaucoup de nouvelles choses comme ça.

Guillaume Erard : Dans combien de pays y a-t-il des Kobayashi Dojos ?

Kobayashi Yasuo : Je suppose que le nombre est environ 40 ou plus ? Je pense qu'une quarantaine d'entre eux sont venus à mon 80e anniversaire. Je suppose que c'est plus de 50 pays au total.

Guillaume Erard : Vous avez mentionné les grades, comment les organisez-vous dans une organisation aussi importante que la votre ?

Kobayashi Yasuo : Il y avait un système dan quand j'ai ouvert mes dojo et chaque dojo faisait cela dans son coin. On faisait notre truc ici, Tokorozawa faisait son propre truc, tout comme Hachioji. Il n'y avait pas beaucoup de gens, on leur enseignait nous-mêmes au jour le jour, alors quand ils ne réussissaient pas pendant l'examen,  on leur disait : « vous ne pouvez pas le faire aujourd'hui, mais vous y arrivez d'habitude, donc c'est bon ». Mais comme il y a eu plus d'instructeurs, les choses sont devenues différentes selon les régions. Quand il y avait peu de gens, nous les laissions tous obtenir leur grade parce que nous nous sentions mal de les faire échouer. Par conséquent, il y avait des différences entre le shodan du Igarashi Dojo et le shodan du Horikoshi Dojo, et les gens ont commencé à les comparer. Alors je les ai tous convoqués au Hombu Dojo un jour. Je leur ai demandé de pratiquer devant moi et j'ai fais echouer la moitié d'entre eux. Donc, beaucoup d'entre eux ont échoué. Ceux qui enseignaient dans les dojo régionaux se sont plaints et m'ont reproché d'avoir nui à leur réputation et ont dit qu'ils quitteraient Kobayashi Dojo. Du coup j'ai dit d'accord, d'accord, mais la fois d’après, j'ai fait échouer la moitié d'entre eux à nouveau. Mais c'était en fait une bonne idée. Les gens ont compris que nous étions sérieux et que nous ne faisions pas de compromis. Nous avons eu plus de gens qui sont venus suite à cela et cela n'a cessé d'augmenter. C'est bien que nous les ayons fait échouer plutôt que de les promouvoir. Ceux qui partent partiront de toute façon. Quoi qu'il en soit, je pensais que nous pourrions toujours recommencer, mon fils Hiroaki et moi, comme nous l'avons fait avant. Mais je suppose que les gens étaient vraiment impressionnés. La deuxième fois, tout le monde était en désaccord avec ça, mais je leur ai dit que ces gens ne pouvaient pas réussir et qu'ils n'étaient pas du tout au niveau. Malgré cela, personne n'a fini par partir. Le monde est intéressant. (rires) Eh puis, si vous échouez, vous pouvez tout réessayer plus tard.

Guillaume Erard : Que pensez-vous du vieillissement de la population das l'aikido ?

Kobayashi Yasuo : Il se peut que ce ne soit pas attrayant pour les jeunes car il n'y a pas de compétitions. Ils veulent des matches où les forts gagnent, des choses où il est important de gagner ou perdre. Mais après un certain temps, les gens cesseront de se soucier de choses comme ça et commenceront à faire de l'aikido. À mon époque, l'aikido était rare, mais maintenant c'est l'ère de la technologie de l'information et il y a beaucoup de choses. Le jujutsu est assez populaire en Amérique et en Europe non ? L'aikido est aussi l'une des vagues. Ceux qui aiment ce genre de chose se rassemblent naturellement, donc je ne pense pas que nous ayons trop à nous inquiéter. Mais c'est vrai, les jeunes ne sont pas vraiment intéressés, la population décline aussi. En Amérique et en Europe, ce sont généralement des personnes âgées, vous voyez aussi des personnes âgées lors de stages. Eh bien, je pense que c'est bien aussi. Les jeunes font d'autres choses comme s'entraîner mais je pense qu'ils seront intéressés et commenceront à nous rejoindre. S'inquiéter à ce sujet ne va pas aider de toute façon.

Guillaume Erard : Quel est votre espoir à long terme pour les Kobayashi Dojo ?

Kobayashi Yasuo : À l'avenir, je veux que de plus en plus de gens s'entendent et apprécient la pratique, et aussi que l'on puisse parler de tout ce que l'on veut comme on l'a fait aujourd'hui.

Guillaume Erard et Kobayashi Shihan se replongeant dans les photos d'archive.

Il y a différents niveaux; il y a des gens qui font cela depuis 30 à 40 ans et il y a des débutants complets. Donc je leur donne quelques conseils personnellement mais je ne démontre pas devant eux. Ils peuvent le faire par eux-mêmes et les senpai peuvent aussi leur enseigner. C'est comme ça à l'étranger aussi, un style d'enseignement similaire. Je n'explique pas les choses. Certaines personnes me demandent si je vais expliquer mais je leur dis que c'est déjà explicite. Donc je n'ai pas besoin d'interprète. Et tout le monde l'apprécie et c'est ce qui compte, je suppose. Donc oui je pense que ça deviendra encore plus populaire.

Michael Barrett et Wakata Koichi

Michael Barrett et Wakata Koichi à bord de la Station Spatiale Internationale durant un séjour de mars à octobre 2009.

Et maintenant, il s'agit de la communication. Ce n'est plus comme si les Sensei allaient là-bas pour enseigner. Si vous voulez venir, vous venez apprendre les uns des autres. Il y a beaucoup de Sensei 7e ou 8e dan à l'étranger aussi. Et nous, surtout les plus jeunes, allons et venons, pour en profiter. Comme Ueshiba Sensei l'a dit : « L'aikido est amusant ». En fin de compte, que vous fassiez comme ceci ou comme cela, kote gaeshi est kote gaeshi de toute façon. Nous aurions seulement un problème si vous commenciez à l'appeler shiho nage. (rires) Quoi qu'il en soit, je suppose que c'est bien comme ça. C'est mon opinion. Certaines personnes pourraient la critiquer mais comme les Kobayashi Dojo deviennent de plus en plus populaire, je ne pense pas que je me trompe.

Merci à Matsuoka Hiromi et Mihály Dobróka pour leur aide avec l'organisation de cette interview.

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À-Propos

Site officiel de Guillaume Erard, auteur, instructeur et vidéaste résident permanent au Japon - 5e Dan Aïkido du Hombu Dojo de l'Aïkikai de Tokyo / 5e Dan Kyoshi (professeur) de Daïto-ryu Aïki-jujutsu du Shikoku Hombu Dojo.